Archive de 1824 : Le consul des Etats-Unis à Alger témoigne de l'indépendance de la Kabylie

31/07/2016 12:59

AZEFFUN (SIWEL) — Dans la contribution ci-dessous, Salem At Seyd, un passionné de l'Histoire de la Kabylie, revient sur un épisode où un consul américain a dû faire face à un pays kabyle indépendant, en 1824. « Ils (les kabyles, ndlr) ne reconnaissaient ni la juridiction, ni l'autorité du Gouvernement algérien » a-t-il écrit. Il était question d'une goélette américaine qui a menacé la côte kabyle et dont l'équipage a été capturé et fait prisonnier. Le consul sollicita alors le Dey d'Alger qui a dû payer une rançon pour libérer les prisonniers avant d'envoyer une expédition punitive pour se venger.


Qu’est-il arrivé en ce mois de novembre 1824 pour que William Shaler, le Consul Général des Etats-unis d’Amérique à Alger en vienne à consigner dans son rapport :

« Le consul s'est donc rendu chez le ministre de la Marine (de l’Etat d’Alger) pour offrir la rançon exigée et faire prendre des mesures promptes pour rendre ses compagnons à la liberté. Le Ministre a assuré qu'on n'avait rien négligé pour les délivrer, que les Kabyles au pouvoir desquels ils étaient en ce moment ne reconnaissaient ni la juridiction, ni l'autorité du Gouvernement algérien ; et que même, si les prisonniers étaient des Turcs, il faudrait payer la rançon ou les abandonner à leur destinée. »

Amar n At Belkacem U Amar dit S. A. Boulifa nous l’apprend dans son ouvrage. Il écrit son livre sur le Djurdjura et relatif à l’ « ORGANISATION ET INDEPENDANCE DES ZOUAOUA » en citant notamment Adrien Berbrugger ceci :

« Dans le courant du mois de novembre 1824 - il arriva que la goélette américaine « The Harriet » fit naufrage sur la côte kabyle, en face de Thamgout' (environs d'Azeffoun). L'équipage recueilli par la population riveraine fut gardé prisonnier. Le consul américain, le nommé Shaler, résidant à Alger, averti de l'accident, fut en même temps invité par les montagnards (At Jennad) à leur faire parvenir 6.000 francs, montant de la rançon qu'ils exigeaient pour la libération de ses compatriotes.»

Le pauvre consul a du se montrer très insistant auprès du Dey d’Alger. D'abord afin de réunir la forte somme dans la monnaie exigée par les At Jennad. Le Dey d’Alger fut contraint par les circonstances et malgré son avarice d’échanger via le Trésor cette somme au Consul. Il nourrira une haine tenace envers les kabyles et les At Jenand en particulier. Car cet événement fut l’occasion pour le Consul Général de mesurer la réelle étendue du pouvoir d’Alger. Sur les aveux de son ministre de la Marine, un pouvoir quasi nul vis-à-vis de l’Etat kabyle voisin. Une haine surtout car dans l’opération de change avec le consul, il perdra 20% de la valeur. Le Dey Houssaïen, organisera une forte expédition punitive afin de châtier la pauvre tribu des At Jenanad. Mais pas si pauvre que cela quand on songe qu’à elle seule, elle ne comptait pas moins de « 2 500 fusils » recensés en 1847. Autrement dit 2 500 soldats.

C’est Yahia Agha qui sera chargé de l’expédition punitive. Il réunit, au printemps 1825, 600 janissaires et environ 1 millier de fusils parmi les tribus maxzen (à ce moment là) des Thour et des Thaourga. Ainsi que de nombreux contingent de goumiers. Dans un premier temps, il essuiera un sérieux revers de la part des At Wagnun appuyés par les At Jennad. Le très habile Yahia Agha profitera des dissensions au sein des partis politiques kabyles de l’époque pour isoler les At Jennad. C’est ainsi que les At Jennad auront chèrement payé l’avarice du chef de l’Etat d’Alger.

Pendant trois siècles, l’Etat d’Alger cherchera en vain à islamiser la Kabylie avec son Code Khellil. Il cherchera en vain à s’accaparer la Terre Kabyle. Il cherchera toujours à semer les germes de la division, mais ne parviendra jamais à bout de l’indépendance kabyle. La Kabylie dans sa partie basse défendra sans relâche avec l’appui inébranlable du Adrar n Nif son indépendance. C’est la France coloniale, forte de sa puissance industrielle, qui accomplira ces desseins nourris par la régence d'Alger. Ce qui fait dire à Boulifa avec une certaine fierté à propos des kabyles :

« Ces « têtes de bronze » étaient vraiment difficiles à dompter, surtout dures à cuire et à accommoder à la sauce turque ! ».

Il semblerait que les choses aient peu changé depuis. Malgré la colonisation pendant 91 années de la Kabylie. Malgré la colonisation pendant 132 ans de l’Algérie. Pour l’Algérie turque, française, et arabe : les kabyles seront toujours des têtes de bronze, des dures à cuir difficilement accommodables à la sauce algérienne !

Salem At Seyd

SIWEL 311322 JUL 16



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