Allocution de Ferhat Mehenni
A l’occasion de l’hommage qui lui a été rendu par
La Fondation TIREGWA et l'association ACOAH
(17/12/2016 à Ottawa, Canada)
Je suis sincèrement ému par ce témoignage de reconnaissance et par l’honneur que me font ces deux excellentes structures que sont la Fondation Tiregwa et l’association ACOAH pour saluer, aujourd’hui à partir d’Ottawa, l’homme que je suis, mon combat et mon apport autant à l’universel, aux Amazighs que, surtout, à la Kabylie que j’aime par-dessus tous les plaisirs et tous les trésors de la Terre.
Je suis d’autant plus touché par la cérémonie que vous savez tous que ni ma carrière ni ma vie ne finissent à 65 ans. Je suis de toutes les façons à trois mois d’un autre âge. Mais si, pour ce qui me reste à vivre, je venais à être diminué physiquement et surtout mentalement, ma dernière volonté est qu’on l’abrège, qu’on m’euthanasie. Le fulgurant et traumatisant épisode d’Alzheimer de mon frère m’en a définitivement persuadé. Je refuse d’être un mort-vivant.
Toutefois j’espère que ma vie de création, de réflexion et d’action a encore de beaux jours devant elle.
Dans le domaine de l’action, les épreuves sont quotidiennes. Je sais qu’il y aura toujours des femmes et des hommes que le pouvoir grise, j’avoue que, pour ce qui me concerne, l’exercice de la responsabilité m’épuise.
N’était mon amour du défi, j’aurais déjà raccroché les crampons. Ce besoin de faire face au danger et de réinventer pour les miens le devoir de se surpasser m’a appris à ne jamais céder devant l’adversité, le fait accompli, la pression ou le chantage.
Rester lucide, prendre la Kabylie par la main et la tirer des ténèbres vers la lumière, du fond du ravin vers l’espace libre a toujours été, consciemment ou non, mon crédo.
Les qualités d’un homme d’action peuvent lui faire gagner une bataille, voire plusieurs, accidentellement ou par chance. Mais pour gagner la guerre il est tenu d’avoir aussi les qualités d’un homme de réflexion, de stratège et de décision, les qualités d’un homme d’Etat.
Ses décisions, parce que sous-tendues par ses capacités d’analyse et de prospective, peuvent choquer, heurter sur le moment. Les interférences parasitant ses messages induisent les siens en erreur. Mais c’est à long terme que se récoltent les fruits de ses positions et de son action. L’Histoire finit toujours par lui donner raison.
Connaissez-vous la différence entre l’homme de réflexion et l’homme d’action ? Le premier doute, le deuxième non.
Or si on doute, on est voué à la paralysie qui sera fatale à son sujet. L’Histoire n’attend jamais. Mais si on ne s’en tient qu’à des certitudes, non revisitées à la lumières de l’évolution du temps, de leur usure, du contexte sociopolitique et des conditions qui leur ont donné naissance, on va dans le mur.
Il faut cumuler beaucoup de qualités pour faire un acteur efficace de l’Histoire.
L’homme de culture est intuitif, émotionnel, chaleureux, angélique. Il se laisse envahir par ses sentiments, fluctue au gré de ses états d’âme. Il cherche au fond de lui-même les mots correspondant aux couleurs de l’arc-en-ciel de son cœur. Il est poésie, mélodie, esthétique visuelle, monumentale, architecturale… L’homme de culture est une âme qui s’adresse à l’âme d’autrui.
La recherche du beau n’est pas qu’esthétique. Elle est philosophie de la vie et pousse l’humanité à se dépasser dans un effort perpétuel d’imagination et de création.
La création artistique porte en elle-même l’invisible, l’indicible de l’imaginaire, de l’humain.
Dans mon cas, c’est à 17 ans, en composant ma première musique et en écrivant mon premier poème, que je me suis rendu compte de la nécessité d’articuler les sons, les mots et les idées. Très vite je me suis dit que j’ai pour obligation de joindre l’utile à l’agréable, la beauté et l’engagement au service de mon peuple ; et pourquoi pas, plus tard, de l’humanité ?
C’est probablement cette impérieuse volonté de jumeler ces extrêmes qui m’a insufflé la détermination dont je fais preuve depuis. Il y a des faiblesses en moi, comme il en existe chez chaque être humain. Et l’une d’entre elles est le fait que je considère que malgré ma foisonnante production (littéraire, chansonnière et aujourd’hui musicale) je me sens encore trop oisif.
Je puise mon énergie dans l’amour que je porte à mon peuple, à ma terre et à ma langue kabyles. Je le vois dans tous vos regards et dans tout ciel non assombri par une météorologie capricieuse.
Je puise ma force au plus profond de moi-même à travers la quête de liberté, de justice et de respect des valeurs.
Je me ressource dans votre estime et votre reconnaissance. Je me dis que je ne vous le rendrai jamais assez. Je suis donc prêt non pas à un autre compagnonnage de 50 ans mais de ce que mes limites biologiques me permettront, si d’ici là, les assassins ne viennent pas nous séparer.
Je vous aime !
Ferhat At S3id (MEHENNI)
A l’occasion de l’hommage qui lui a été rendu par
La Fondation TIREGWA et l'association ACOAH
(17/12/2016 à Ottawa, Canada)
Je suis sincèrement ému par ce témoignage de reconnaissance et par l’honneur que me font ces deux excellentes structures que sont la Fondation Tiregwa et l’association ACOAH pour saluer, aujourd’hui à partir d’Ottawa, l’homme que je suis, mon combat et mon apport autant à l’universel, aux Amazighs que, surtout, à la Kabylie que j’aime par-dessus tous les plaisirs et tous les trésors de la Terre.
Je suis d’autant plus touché par la cérémonie que vous savez tous que ni ma carrière ni ma vie ne finissent à 65 ans. Je suis de toutes les façons à trois mois d’un autre âge. Mais si, pour ce qui me reste à vivre, je venais à être diminué physiquement et surtout mentalement, ma dernière volonté est qu’on l’abrège, qu’on m’euthanasie. Le fulgurant et traumatisant épisode d’Alzheimer de mon frère m’en a définitivement persuadé. Je refuse d’être un mort-vivant.
Toutefois j’espère que ma vie de création, de réflexion et d’action a encore de beaux jours devant elle.
Dans le domaine de l’action, les épreuves sont quotidiennes. Je sais qu’il y aura toujours des femmes et des hommes que le pouvoir grise, j’avoue que, pour ce qui me concerne, l’exercice de la responsabilité m’épuise.
N’était mon amour du défi, j’aurais déjà raccroché les crampons. Ce besoin de faire face au danger et de réinventer pour les miens le devoir de se surpasser m’a appris à ne jamais céder devant l’adversité, le fait accompli, la pression ou le chantage.
Rester lucide, prendre la Kabylie par la main et la tirer des ténèbres vers la lumière, du fond du ravin vers l’espace libre a toujours été, consciemment ou non, mon crédo.
Les qualités d’un homme d’action peuvent lui faire gagner une bataille, voire plusieurs, accidentellement ou par chance. Mais pour gagner la guerre il est tenu d’avoir aussi les qualités d’un homme de réflexion, de stratège et de décision, les qualités d’un homme d’Etat.
Ses décisions, parce que sous-tendues par ses capacités d’analyse et de prospective, peuvent choquer, heurter sur le moment. Les interférences parasitant ses messages induisent les siens en erreur. Mais c’est à long terme que se récoltent les fruits de ses positions et de son action. L’Histoire finit toujours par lui donner raison.
Connaissez-vous la différence entre l’homme de réflexion et l’homme d’action ? Le premier doute, le deuxième non.
Or si on doute, on est voué à la paralysie qui sera fatale à son sujet. L’Histoire n’attend jamais. Mais si on ne s’en tient qu’à des certitudes, non revisitées à la lumières de l’évolution du temps, de leur usure, du contexte sociopolitique et des conditions qui leur ont donné naissance, on va dans le mur.
Il faut cumuler beaucoup de qualités pour faire un acteur efficace de l’Histoire.
L’homme de culture est intuitif, émotionnel, chaleureux, angélique. Il se laisse envahir par ses sentiments, fluctue au gré de ses états d’âme. Il cherche au fond de lui-même les mots correspondant aux couleurs de l’arc-en-ciel de son cœur. Il est poésie, mélodie, esthétique visuelle, monumentale, architecturale… L’homme de culture est une âme qui s’adresse à l’âme d’autrui.
La recherche du beau n’est pas qu’esthétique. Elle est philosophie de la vie et pousse l’humanité à se dépasser dans un effort perpétuel d’imagination et de création.
La création artistique porte en elle-même l’invisible, l’indicible de l’imaginaire, de l’humain.
Dans mon cas, c’est à 17 ans, en composant ma première musique et en écrivant mon premier poème, que je me suis rendu compte de la nécessité d’articuler les sons, les mots et les idées. Très vite je me suis dit que j’ai pour obligation de joindre l’utile à l’agréable, la beauté et l’engagement au service de mon peuple ; et pourquoi pas, plus tard, de l’humanité ?
C’est probablement cette impérieuse volonté de jumeler ces extrêmes qui m’a insufflé la détermination dont je fais preuve depuis. Il y a des faiblesses en moi, comme il en existe chez chaque être humain. Et l’une d’entre elles est le fait que je considère que malgré ma foisonnante production (littéraire, chansonnière et aujourd’hui musicale) je me sens encore trop oisif.
Je puise mon énergie dans l’amour que je porte à mon peuple, à ma terre et à ma langue kabyles. Je le vois dans tous vos regards et dans tout ciel non assombri par une météorologie capricieuse.
Je puise ma force au plus profond de moi-même à travers la quête de liberté, de justice et de respect des valeurs.
Je me ressource dans votre estime et votre reconnaissance. Je me dis que je ne vous le rendrai jamais assez. Je suis donc prêt non pas à un autre compagnonnage de 50 ans mais de ce que mes limites biologiques me permettront, si d’ici là, les assassins ne viennent pas nous séparer.
Je vous aime !
Ferhat At S3id (MEHENNI)
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SIWEL 181155 DEC 16