Zakia Khairhoum: Une plume aux facettes multiples

Jeudi 5 Mars 2020

Oslo – Zakia Khairhoum est une femme de lettres. Elle préfère la force des mots à la portée des voix. Lentement, elle glisse sur un voile de vérité, son imaginaire, et se laisse (em)-porter. Entre son métier d’écrivaine et sa passion de calligraphe, elle explore bien des domaines… mais sans trop s’éloigner du monde qui l’a toujours fascinée : l’encrier.


Son amour pour l’écriture se révélera dès sa plus tendre enfance. Native d’Agadir, d’une mère marocaine institutrice et d’un père mauritanien juge et poète, Zakia a grandi dans une famille où la culture tient le haut du pavé. Agée d’à peine 11 ans, elle relate son quotidien qu’elle agrémente d’humour et d’anecdotes … seul moyen pour elle d’échapper alors à une torpeur ambiante.

Au fil des ans, son goût prononcé pour les lettres se cristallise sous forme de dizaines de créations littéraires, de traductions et d’articles qui lui ont valu la reconnaissance de ses pairs. Installée à Oslo depuis une vingtaine d’années, cette auteure multilingue déploie ses écrits en arabe, en anglais comme en norvégien. Son premier roman, “La fin de mon secret dangereux” (2004), a été traduit en trois langues. Un livre fort qui happe, bouscule. Et émeut, aussi.

Avec un style vif et épuré, le mot alerte et l’écriture incisive, ce roman fait découvrir, voire redécouvrir, les affres d’une réalité amère que subit la femme arabe en raison des stéréotypes et préjugés sexistes, mais révèle surtout l’immense talent de son auteure.

On la retrouve co-auteure du livre “Typiquement norvégien pour être impoli” (2005), un ouvrage qui, décortiquant le comportement sociétal de l’individu, a été amplement discuté par les médias. Son recueil de nouvelles “Les étrangers au pays des Vikings” (2008), inspiré de faits réels, est d’une ironie telle qu’il fait réveiller bien d’émotions.

Qualifiée de romancière avertie et engagée, Zakia apporte avec humilité une dimension morale qui puise sa sève dans le décor d’une société individualiste, avec son lot de travers et de préjugés. Au-delà de l’aspect ludique, elle plonge dans les méandres des cultures d’ici et d’ailleurs et permet à ses lecteurs de se rapprocher, de s’enrichir…

“Différentes nationalités et couleurs de peau se croisent dans ce pays, le point de rencontre du chacun pour soi. Ici, la question des étrangers est mienne indépendamment des origines”, confiera à la MAP cette maman d’une jeune fille.

“Depuis mon arrivée dans ces contrées, je nourris un attachement profond à la mère-patrie, le Maroc, et je prends à cœur les préoccupations du monde arabe en général”, dira encore cette dame qui, du haut de sa cinquantaine à peine accomplie, les cheveux toujours noirs frisés, l’allure assurée, le regard pétillant, se qualifie déjà de…”mère du monde arabe”.

C’est qu’au milieu des années 90 que Zakia, brillant de sa sensibilité humaine, s’est envolée en Norvège, où elle rencontra son mari Mustapha et décida de s’y installer, après avoir décroché un master en littérature anglaise à l’Université de Saint Francis, aux Etats-Unis.

Le feu au ventre, elle a rapidement appris le norvégien grâce à des cours intensifs, la voie royale d’une intégration réussie dans une société scandinave individualiste, mais profondément humaniste, lui ayant permis d’alterner une myriade d’emplois.

D’abord enseignante de linguistique dans une école privée d’Oslo, puis au Centre culturel irakien, elle rejoint la chaîne de librairies Norli où elle traduit des documents vers le norvégien, principalement à l’adresse de membres de la communauté arabe, dont un certain…. Yasser Arafat.

Huit ans plus tard, elle est au centre de littérature norvégienne Norla où elle exerce à ce jour. Elle s’occupe de la traduction de livres littéraires de l’anglais ou du norvégien vers la langue arabe.

Dans l’escarcelle, on compte pêle-mêle “Henrik Ibsen : Tout ou rien” de Stein Erik Lunde, “Les yeux à Gaza” de Mads Gilbert et Erik Fosse, “La philosophie des explorateurs polaires” d’Erling Kagge et “Barsakh – Emilie, Samuel et Gran Canaria” de Simon Stranger, qui lui a valu en 2006 le prix de la meilleure traduction à Ramallah.

En 2008, elle co-écrit une pièce théâtrale intitulée “Formidable” avec la dramaturge suédoise Lena Staimler. Inspirée de l’œuvre “Une maison de poupée” d’Henrik Ibsen (1828-1906), cette création a connu un succès tout aussi formidable auprès du public.

Romancière, membre du syndicat des écrivains norvégiens et ex-présidente de la Ligue des écrivaines du Maroc -section Scandinavie- durant près de trois ans, Zakia Khairhoum est une écrivaine insatiable.

Malgré des douleurs de jambes, elle ne perd ni de verve ni de vivacité. Elle organise régulièrement des salons littéraires et répond présente à de nombreuses invitations au Maroc, en Europe et dans le monde arabe.

A présent, elle peaufine un roman au titre évocateur de “Gémissement”, ainsi que deux recueils de nouvelles sur le comportement humain en puisant toujours dans sa propre expérience et ses multiples rencontres de divers horizons.

A cela s’ajoute une traduction du livre “Nous avons combattu pour la Norvège” de son auteur Arvid Bryne, un ouvrage qui, dit-elle, dresse un portrait de Svein Blindheim et Bjørn Østring, deux hommes qui ont combattu de l’autre côté pendant la Seconde Guerre mondiale.

Zakia Khairhoum a également écrit nombre d’articles dans la presse norvégienne, en l’occurrence sur la question du Sahara marocain. En 2006, elle a été distinguée “ambassadeur de la paix” par la Fédération pour la paix universelle, en consécration de ses efforts pour la promotion des valeurs humaines. Elle a été aussi primée en 2014 à Rabat lors d’une cérémonie en hommage aux “Marocaines du monde aux différents talents”.

Et ce n’est pas tout ! La calligraphie est un autre arc dans l’attirail de cette dame plurielle. Si, l’écriture lui permet à la fois de se consoler en déversant ce qui pèse sur le cœur sans réprimande et de questionner le monde tout en transmettant un message d’humanité, son approche, en tant que calligraphe semble plus artistique. Il s’agit, selon elle, de renvoyer des émotions, de s’évader de l’actualité pesante.

“Mon père a découvert ma passion pour la calligraphie arabe dès mon jeune âge et m’a, dès lors, offert un énorme livre pour m’initier. En possession d’un calame et d’un tableau où que j’allais, je dessinais jusqu’aux moindres détails”, se remémore-t-elle, un large sourire nostalgique aux lèvres.

Ce fut son coup de cœur après avoir organisé son premier salon de calligraphie arabe à Agadir, l’année où elle a passé le baccalauréat, suivi par d’autres à Tunis et à Indianapolis, aux Etats-Unis.

Ses calligraphies, qui ornent sa demeure, sont des œuvres quasi picturales, en noir ou colorées, mais assurément d’une beauté remarquable.

Pour Zakia Khairhoum, “l’Homme doit se hisser au-dessus de lui-même, jusqu’au rang qu’il se doit d’occuper en raison de l’humanité qui l’habite”.

Le peintre français Eugène Delacroix (1798-1863), chef de file du romantisme, a dû certainement voir juste en disant que “le plus beau triomphe de l’écrivain est de faire penser ceux qui peuvent penser” !

Wahiba RABHI - MAP