Un réseau associatif demande aux familles des victimes de piqûre de scorpion décédées de porter plainte

Lundi 13 Août 2018

SANTÉ - “Pour nous, une personne qui décède suite à une piqûre de scorpion est victime d’une négligence”. Le président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé et à la vie, Ali Lotfi, ne mâche pas ses mots. Dans une déclaration au HuffPost Maroc, il fustige l’état des lieux en matière de prise en charge des victimes de piqûres de scorpion. “Elles sont une cinquantaine de personnes, en moyenne, à en payer le prix de leur vie chaque année. Et ce chiffre ne reflète que des cas déclarés au Centre anti poison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM). Ce sont tous des décès gratuits!” s’exclame-t-il.

Pour ce dernier, il est donc légitime de lancer un appel auprès des familles des victimes pour les informer de leur droit de saisir la justice. “Elles ont le droit de porter plainte contre le ministère de la Santé pour négligence et non assistance à personne en danger”, soutient-il. Et d’annoncer que les partenaires du réseau, plus principalement les associations des droits de l’homme, seront les relais de ce message au niveau des localités.

Un appel qui traduit, explique le président du réseau, une nouvelle forme de protestation dont les racines remontent à l’arrêt en 2006 de la production par le Maroc du sérum antidote. “Nous contestons depuis 2011 cet arrêt de production. Nous avions saisi le ministère de la Santé, que dirigeait à l’époque le Pr. El Houcine Louardi, en l’appelant à rouvrir l’unité de production de ce sérum à l’Institut Pasteur pour son importance vitale”, rappel Ali Lotfi. 

“Les hôpitaux sont trop éloignés des lieux où se produisent les piqûres de scorpion”

Une revendication restée sans suite. Le ministère de la Santé avait adopté une nouvelle stratégie dans laquelle il avait mobilisé les services de réanimation des hôpitaux. “Les hôpitaux sont trop éloignés des lieux où se produisent les piqûres de scorpion et les services des soins intensifs se trouvent uniquement dans les grandes villes. Comment déplacer un enfant d’un douar vers un hôpital alors que le venin impose une intervention d’urgence?”, s’interroge le président du réseau.

Ce dernier évoque des difficultés de moyens et de logistique liées à l’enclavement de certaines régions rurales. “L’écrasante majorité des cas, soit plus de 70%, concerne le milieu rural et le périurbain”, tient à souligner Ali Lotfi. Mauvais choix, la fermeture de l’unité de fabrication des sérums l’est incontestablement pour ce militant associatif. “L’ancien ministre nous avait répondu que ce sérum anti-scorpion s’était révélé inefficace selon une étude scientifique. On lui a alors demandé de publier cette étude pour en informer le grand public, mais il ne l’avait jamais fait. Pour nous, c’est irresponsable!” fustige Ali Lotfi, assurant que plusieurs pays dans le monde, dont “la Tunisie, l’Arabie saoudite, l’Égypte et l’Iran, continuent à produire ce sérum” et que ce dernier “a démontré parfois une efficacité de 100%”. 

“Nous avons adressé notre message au chef du gouvernement, il y a une dizaine de jours, mais nous n’avons aucune suite à ce jour. Nous avons également tenté d’interpeller, à plusieurs reprises, l’actuel ministre de la Santé Anass Doukkali notamment en lui adressant le même message, mais sans réponse aucune”, regrette le président du réseau estimant que l’alternative judiciaire pourrait faire bouger les choses.

Un sérum “inefficace et dangereux” selon le CAPM

En tout cas, l’éventualité d’une reprise de l’unité de fabrication du sérum antidote contre le venin du scorpion est peu probable. “Ce n’était pas du tout efficace! En 2001, nous avions déjà constaté cette inefficacité. Raison pour laquelle une stratégie avait été élaborée et des moyens de traitement se basant sur les signes cliniques du piqué avaient été mis en place”, déclare au HuffPost Maroc Dr. Sanae Benlarbi, toxico-pharmacologue au CAPM.

Cette dernière précise aussi que cet arrêt de production n’a pas été dicté uniquement par l’inefficacité mais aussi par “sa dangerosité”. “Il n’était pas pur (correspondant au venin) et des études scientifiques l’ont démontré selon des consensus internationaux. Nous avions reçu, à l’époque, des experts qui nous avaient donné leur avis et tous étaient unanimes”, affirme-t-elle. Et de préciser que le sérum ne répondait pas exactement au type de venin du scorpion se trouvant au Maroc et suscitait des allergies. “En plus, c’était un sérum utilisé en ambulatoire, or, nous avions estimé nécessaire que cette utilisation soit hospitalière”, souligne-t-elle.

Au Maroc, environ 30.000 cas de piqûre et d’envenimation scorpionique sont enregistrés chaque année. Si 90% d’entre elles ne nécessitent aucun traitement, parce qu’il s’agit de piqûres sans injection de venin, la victime doit tout de même être prise en charge. Et en cas d’infection, cette prise en charge devient une mesure d’urgence dès que des symptômes estimés graves par le CAPM apparaissent, notamment la fièvre, la diminution de la température, les douleurs abdominales ou encore les vomissements. Le pronostic vital peut être engagé.



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/un-reseau-as...

Leïla Hallaoui