Trois leçons que le Maroc devrait tirer du miracle économique rwandais

Mercredi 15 Août 2018

Une participante au forum économique mondial, organisé à Kigali au Rwanda, le 12 mai 2016, regarde un documentaire en réalité virtuelle.

ÉCONOMIE - Afin de rattraper le retard civilisationnel avec le reste du monde, l’Afrique a besoin en urgence d’une croissance annuelle soutenue de 7 à 8%. C’est exactement ce que le Rwanda est en train de faire. 24 ans après le génocide, une guerre civile dévastatrice, ce pays est aujourd’hui surnommé “le miracle africain”. Une volonté de fer semblable au relèvement du Japon d’après-guerre et un sursaut économique comparable au miracle singapourien.

Le Rwanda, le pays de Afrique de l’est ayant la capitale la plus propre du continent et le parlement le plus féminin, réalise depuis le début des années 2000 un taux de croissance moyen de 8%. À cette allure, le président Paul Kagamé arrivera bien à tenir sa promesse de transformer le Rwanda en un pays à revenu intermédiaire à l’horizon 2020.

Durant la même période, les taux de croissance de l’économie marocaine, largement dépendants des aléas climatiques, évoluent en dents de scie. le taux de croissance moyen se situe à moins de 4%, une prestation qui reste visiblement insuffisante pour hisser le pays au rang des économies émergentes.

Le centre économique de Kigali, la capitale du Rwanda.

Pourtant, le Rwanda n’est pas seul dans cette aventureuse expérience d’accomplissement et d’estime. Actuellement, le Botswana et l’île Maurice arrivent à frôler le niveau de vie des grandes économies émergentes telles que le Brésil et la Turquie. Cependant, c’est l’expérience rwandaise qui mérite tout l’intérêt en raison de plusieurs intersections et ressemblances liant cette dernière à l’économie marocaine.

Les deux pays incarnent un système économique manifestement concentré autour de quelques groupes économiques proches du pouvoir. Le fonds d’investissement Crystal Ventures, en assurant sa mainmise sur la quasi-totalité des secteurs de l’économie rwandaise, reprend la tradition préférée de la SNI au Maroc qui, avec quelques investisseurs institutionnels comme la CDG et la CIMR, dominent la gouvernance des conseils d’administrations des grandes sociétés. Sur un total de 561 sièges existants, 8 des groupes les plus importants s’accaparent 105 sièges.

Sur le plan financier, AWB forme avec 7 autres banques le groupement professionnel des banques marocaines qui s’approprie 90% du capital bancaire. C’est encore la même ossature bancaire au Rwanda dont le leader du secteur “Bank of Kigali” est également très proche des cercles du pouvoir.

Ensuite, exception faite du Botswana qui tire sa suprématie de l’exploitation du diamant, le Rwanda et le Maroc sont tous les deux importateurs d’énergie, une situation qui pèse énormément sur leur balances commerciales, structurellement déficitaires.

A cet effet, s’arrêter sur les limites et les tares de l’économie marocaine à l’image du modèle rwandais paraît davantage un choix captivant et une percée éloquente pour parvenir à comprendre ce qui explique au juste la faiblesse des taux de croissance au Maroc.

1. Émergence d’une bourgeoisie au service de la modernisation

Dans toute transition sociétale, c’est la bourgeoisie qui joue le rôle historique de propulseur de la croissance et du développement. “C’est cette élite qui déclenche en premier la vague de la prospérité qui soulèvera par la suite les autres navires de petites et de moyennes tailles”, selon Simon Kuznets, prix Nobel d’économie. Chez nous, la vague de Kuznets manque d’ardeur et d’énergie ou peut-être sa frappe porte exclusivement les grands bateaux.

En 2017, année de ralentissement économique par excellence (tarissement des emplois, renchérissement du niveau de vie...), certains opérateurs ont pourtant continué, à contre courant, à réaliser des prestations diaboliquement spectaculaires. Les six banques cotées à la bourse de Casablanca, utilisant en majorité un argent gratuit (dépôts à vue), ont clôturé l’année avec un taux de rentabilité moyen de 24,2%. En d’autres pays, la rémunération des dépôts à vue existe, mais pas au Maroc!

A l’inverse, la bourgeoisie rwandaise semble parfaitement consciente de ses devoirs vis-à-vis de sa patrie. À l’image de l’ancien Premier ministre de Singapour Lee Kuan Yew, Paul Kagamé met en avant le combat de la rente et de la corruption, la modernisation de l’administration et la réduction des circuits de l’économie parallèle. À cette évidence, les chiffres ne laissent planer aucun doute: le pays à mille collines est le troisième pays le moins corrompu de l’Afrique, derrière les Seychelles et le Botswana, et à l’échelle mondiale, le rapport de Transparency International de 2017 met le Rwanda à la 48ème place, au moment où le Maroc traîne derrière à la 81ème place.

Pour ouvrir son entreprise, il faut seulement 2 procédures et 3 jours, là où la moyenne de la communauté de l’Afrique de l’est est de 10 procédures et 22 jours. Ensuite, pour le financement, le Rwanda est un exemple en matière d’accès au crédit: il est dans le top 10. Voilà comment Kigali concrétise son slogan “Join the war against corruption” (“Rejoins la guerre contre la corruption”).

Ceci n’est pas vraiment le cas pour le Maroc où, malgré quelques avancées modérées reconnues au niveau de l’environnement des affaires, le combat contre la corruption manque de sévérité et d’enthousiasme. C’est un échec notable qui nous coûte, selon les paroles du chef du gouvernement, la perte de 7% de croissance. Un manque à gagner expliquant approximativement l’écart de croissance entre les deux économies.

2. Une fiscalité efficace et intelligente

Il n’y a pas de théorie fiscale parfaite si ce n’est au sens idéologique. En effet, tout dépend de la vocation des décideurs et de leur volonté à combattre l’évasion fiscale. Un pays économiquement prospère est sans doute celui qui optimise sa fiscalité.

Sur le plan pratique, au moins deux modèles lumineux triomphent, le premier initié par les Scandinaves, les concepteurs de l’Etat providence et champions de la redistribution, qui d’emblée acceptent une fiscalité lourde tout en attendant en retour une efficacité maximale de la part des services publics. Dans l’autre sens, le Rwanda, à l’instar des pays en voie de développement, qui ayant besoin de capitaux étrangers pour combler le faible taux d’épargne nationale et où des formes pré-capitalistes continuent de submerger sous forme d’économie informelle, met en place une politique fiscale allégée qui s’est avérée plus pratique et plus rentable.

Un indice fiable utilisé par le rapport Doing Business pour examiner le poids de la fiscalité sur l’activité économique est “le pourcentage des taxes sur le total des profits”. Il est de 33% au Rwanda contre 50% au Maroc, il ne représente à l’île Maurice et le Botswana que l’équivalent de 22 et 25%, alors que ce taux culmine à 71% en Mauritanie et en Afghanistan.

Encore une fois, il faut rappeler qu’alléger ou alourdir la charge fiscale n’est pas une fin en soi. L’Algérie par exemple pratique un taux extrêmement élevé comparable à celui observé en Chine, pourtant l’écart entre les deux en matière d’efficacité est profond. En revanche, c’est la fermeté de l’appareil de l’Etat et la prédisposition d’aller jusqu’au bout en matière de politique fiscale qui crée la différence et c’est bien en ceci que le Rwanda a pu en tirer profit.

3. Davantage de propulsion de la croissance que d’atténuation de l’inflation

En jetant un œil sur les taux d’inflation enregistrés au Rwanda, le décideur marocain annoncera que ces taux sont effroyables, il argumentera inconsciemment qu’un taux moyen de 9% ruinera l’économie en faisant fuir les capitaux en dehors du pays. C’est pourtant tout le contraire, le taux de fuite des capitaux est le plus bas à l’échelle continentale et les IDE ont continué d’exploser de manière spectaculaire, ils se sont multipliés par 347 en 2017 en passant de 3 millions de dollars à plus d’1 milliard de dollars.

Bien que les taux d’inflation vont de pair avec les niveaux de la croissance économique, les deux trouvent leurs origines dans les taux de croissance du crédit bancaire aux entreprises non financières. Ces derniers, qui nous renseignent sur l’évolution de la masse monétaire et par conséquent sur la distribution de la richesse, dépassent en moyenne 20%, tandis qu’au Maroc, depuis 2011, ce taux évolue dans une fourchette de 2 à 5%. 

À l’encontre de toute idée reçue, l’évolution du crédit bancaire dans nos sociétés modernes est presque le seul moyen pour toute économie désirant se propulser, à condition que le crédit soit destiné à la PME, à l’investissement et à la création d’emploi. En revanche, avec des taux de croissance de 2 ou 3%, le financement de l’économie demeure très faible et la masse monétaire circulante reste restreinte, voire même contrôlée. A vrai dire, on a l’impression que le système est fait pour que les riches restent riches et les pauvres restent pauvres. C’est parmi les raisons pour lesquelles le rapport de Doing Business de la Banque mondiale place le Maroc en 105e position en matière d’obtention du crédit, alors que le Rwanda est classé 6e. 

Sur ce point, plusieurs partisans de cette politique monétaire conservatrice, et qui sont très nombreux, riposteraient en mettant en avant la primauté de la stabilité des prix dans le cadre de la politique de ciblage de l’inflation. Bien que ce constat est très correct lorsqu’il s’agit d’une économie développée qui utilise toutes les ressources financières et humaines disponibles, il est en réalité peu éloquent de défendre une telle politique dans le cas marocain, lorsque l’on sait que la part de la population active dans la population totale ne dépasse pas 50% et que la majorité des surfaces agricoles utiles, attendant d’être irriguées, dépendent toujours de la bonne volonté du ciel.

Dorénavant, Bank Al-Maghrib devra orienter sa politique vers la croissance économique et non combattre infiniment l’inflation.



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/trois-lecons...

Youssef Mahassin