Tahar Ben Jelloun raconte sa «punition»

Vendredi 23 Février 2018

«La punition» est le dernier livre, aux éditions Gallimard, de l’écrivain Tahar Ben Jelloun. Il y revient sur les dix-neuf mois de redressement subi à l’école militaire d’Ahermoumou.

«La punition» est un récit personnel réel de votre service militaire à Ahermoumou. Service militaire ou incarcération ?
En principe c’est un service militaire. Sauf que cela n’existait pas à l’époque des faits. Il était plus question d’une punition avec maltraitance et humiliation, suite à la participation de plusieurs jeunes aux manifestations de mars 1965. A l’époque j’étais au Bureau national des étudiants du Maroc. Je ne pouvais pas ne pas assister aux manifestations qui étaient pacifiques, mais sauvagement réprimées.  Il y a eu des tirs à balles réelles. Le Maroc était dans une situation politique incertaine. Et en 1966, le général Oufkir a décidé de nous punir. Pour nos familles, il était question d’un service militaire. Mais c’était un camp de redressement à la chinoise. On a été reçu par un colosse nommé l’adjudant Aqqa qui a fait l’Indochine et qui nous a fait subir toutes les humiliations possibles. Ce qui était terrible, c’est qu’on avait vingt ans, l’âge où l’on rêvait, où l’on avait des ambitions. C’était terrible.

Vous avez été à un doigt d’être embarqué dans le terrible coup d’Etat conduit par le colonel Ababou. Vous l’avez échappé belle!
En effet, ça aurait pu être nous qui aurions été conduits là-bas. Et là ça aurait été Tazmamort… Après avoir passé dix-neuf mois horribles avec des militaires horribles, on découvre qu’ils ont tenté un coup d’Etat et le pire c’est qu’on savait de quoi ils étaient capables. D’ailleurs, je me souviens que Ababou convoquait chez lui, parfois, quelques éléments politisés pour leur poser des questions sur Lénine et sur Marx. Aujourd’hui, je pense qu’il cherchait une certaine légitimité de gauche pour garder le pouvoir après son coup. Ce qui est regrettable, c’est que les gens qui ont vécu cela avec moi, n’en ont jamais témoigné.

D’un point de vue littéraire, «La Punition» diffère de vos autres textes…?
En effet. J’ai essayé de faire de la littérature en faisant un témoignage. J’ai énormément travaillé le style. Il est assez sec, sans fioritures.  Je raconte les choses telles qu’elles sont. Et j’ai été impressionné par ma mémoire qui m’a aidé à restituer des souvenirs, des noms des gens et jusqu’aux odeurs, d’il y a cinquante ans. C’est aussi un récit très personnel, sur qui j’étais à l’époque.

Vous le dites dans la fin du livre: il vous a fallu cinquante ans pour raconter l’histoire de votre punition à l’école militaire d’Ahermoumou. Pourquoi maintenant ?
Il y a deux raisons. Je me suis longtemps demandé l’utilité de sortir de ma mémoire un épisode aussi douloureux et de mauvais goût. Mais j’en avais marre d’entendre des voix me reprocher mon asservissement du régime de l’époque, alors que j’étais dans une opposition claire, bien que non acharnée, à la répression liberticide, d’où ma punition d’ailleurs. Et puis je tenais absolument à montrer que le Maroc a bien changé. Surtout à l’attention de cette jeunesse qui n’a pas connu le Maroc de l’époque et qui ne voit pas le progrès et le développement qu’il y a eus. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes ou de difficultés, mais aujourd’hui on a la liberté d’en parler. Il faut parfois reconnaître ce qui est. 


Source : http://lavieeco.com/news/culture/tahar-ben-jelloun...