Soixante ans après le Traité de Rome, l’Europe plus que jamais divisée sur l’essentiel

Jeudi 14 Décembre 2017

Bruxelles - Brexit, migration, glyphosate,…l’Europe n’a pas été épargnée cette année en crises qui divisent ses Etats, accentuant les signes de fragilité d’un projet européen plus que jamais en besoin de redynamisation, 60 ans après la signature du Traité de Rome fondateur de l’Union européenne.


Malgré une reprise économique confirmée, l’avenir de l’UE à 27 après le départ du Royaume Uni en mars 2019 est au cœur des préoccupations de ses dirigeants, dont les plus ambitieux appellent à une Europe "à deux vitesses". Défendu notamment par la France, la Belgique et le Luxembourg, ce concept vise à dépasser l’immobilisme politique actuel et faire en sorte que la prise de décision ne soit plus l’otage d’un ou de pays qui ne veulent pas avancer vers plus d’intégration européenne.

Le président français Emmanuel Macron qui en a fait son cheval de bataille notamment lors son fameux discours fin septembre à l’Université Sorbonne à Paris, peine à rallier ses pairs autour de son projet de "refonder l’Union", du moins pour le moment.

Il faut dire que les alliés sur lesquels il pourrait compter ont aujourd’hui d’autres priorités, préférant, pour la plupart, se concentrer sur les développements politiques dans leurs pays respectifs : la crise catalane en Espagne, les préparatifs pour les prochaines élections en Italie et les délicates négociations pour la formation d’une coalition gouvernementale en Allemagne.

Le sommet anniversaire de l’UE, tenu en mars dernier à Rome, avait déjà permis aux leaders européens de débattre des perspectives de cette vision d’une Europe "à deux vitesses", mais les discussions ont révélé alors une opposition farouche particulièrement auprès des pays d'Europe centrale et orientale.

Le président polonais Andrzej Duda a mis en garde récemment contre le risque "de nouveaux brexits" et de décomposition de l’UE si celle-ci « se met à se diviser formellement en des unions à plusieurs vitesses, avec des pays à plus grande capacité de développement, de décision, qui pourront formellement décider du sort des autres".

L’un des principaux fronts qui opposent également les pays de l’est à Bruxelles est la gestion du flux migratoire. Vendredi, la Commission européenne a renvoyé trois pays, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, devant la Cour de justice de l'UE (CJUE), pour avoir refusé leurs quotas d'accueil de réfugiés ces deux dernières années.

Le recours concerne le plan de répartition de dizaines de milliers de demandeurs d'asile depuis l'Italie et la Grèce, en vigueur de 2015 à 2017.

Le principe d'accueil obligatoire étant remis en cause, les négociations piétinaient sur de nouvelles règles pour garantir une future solidarité avec les pays en première ligne face à des arrivées massives de migrants. En guise de compromis, la présidence estonienne de l'UE a proposé fin novembre que la solidarité soit "volontaire" jusqu'à un certain point, mais qu'en cas de crise majeure, des mesures de "relocalisations obligatoires" pourraient être imposées par une majorité.

La discorde n’implique pas uniquement les pays de l’est. Sur plusieurs de dossiers de controverse, les 28 pays de l’UE, y compris les plus influents, n’hésitent pas à afficher leurs divisions lorsqu’il s’agit de protéger leurs intérêts ou leur industrie. C’est le cas notamment avec la crise du glyphosate, l’herbicide controversé dont le renouvellement de la licence d’utilisation a nécessité de longues négociations entre les Etats membres, sous la pression de lobbyistes de l’industrie agroalimentaire et des militants écologiques. La voix de l’Allemagne était déterminante pour prolonger de cinq ans cette licence, un revirement de position qui a été déploré notamment par la France, la Belgique et l’Italie qui ont voté contre.

Autre exemple illustrant le manque d’unité, ou du moins d’homogénéité, au sein de l’UE : le scandale des œufs contaminé à l’insecticide Fiprnol qui a secoué en été l’Europe, où les pays s’accusaient mutuellement de la mauvaise gestion de la crise, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore la France, pointant les défaillances de partage des informations cruciales en matière de sécurité alimentaire.

Dans son discours annuel sur l'état de l'Union européenne, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a dévoilé en septembre un programme ambitieux pour "bâtir une Europe plus unie, plus forte et plus démocratique d'ici à 2025", prévoyant une série d’initiatives concrètes immédiatement adoptées par la Commission — sur le commerce, l’examen des investissements, la cybersécurité, l’industrie, les données et la démocratie.

Evoquant l’avenir de l’UE après le Brexit, il a souligné que "le 30 mars 2019, nous serons une Union à 27 », d’où l’impératif de s’y « bien préparer ".

«Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni quittera l'Union européenne. Ce sera à la fois un moment triste et tragique. Nous le regretterons toujours. Mais nous devons respecter la volonté du peuple britannique », a-t-il dit, tout en assurant que «nous allons avancer, parce que le Brexit n'est pas tout, parce que le Brexit ce n'est pas le futur de l'Europe ».

Après avoir ouvert le débat sur l'avenir de l'Union et les différentes perspectives d'intégration en présentant en mars un "livre blanc", qui décline en cinq scénarii le visage que pourrait prendre l'Europe d'ici à 2025, M. Juncker a présenté un "sixième scénario" fondé sur trois principes de base: "liberté", "égalité des droits" et "État de droit".

Sur la question de l’élargissement de l’UE, le patron de l’exécutif européen assure que l’Union gardera toujours la main tendue en direction de "tous ceux qui sont disposés à coopérer avec nous sur la base de nos valeurs", tout en excluant l’adhésion de la Turquie dans un avenir proche.


MAP - Amal Tazi