Quand le Faucon d'Eléonore règne en maître sur l’Archipel de Mogador, à la quête permanente de survie

Mardi 12 Février 2019

Essaouira - Traversant des milliers de kilomètres à la quête permanente de survie, le Faucon d’Eléonore, rapace identifié "rare pour l’Europe", règne en maître sur l’Archipel de Mogador, comme pour annoncer au monde qu’il a vraiment trouvé un refuge "sûr" et "sécurisé" à même de garantir la pérennisation de son espèce. 

Considéré comme "grand migrateur", cet oiseau connu sous l’appellation scientifique "Falco Eleonorae", est visible, en toute élégance au niveau de cet archipel, qu’il a choisi d’investir et de s’approprier en toute tranquillité, fuyant certainement, ailleurs, les aléas de la nature et les agissements injustes de l’humain. 

Au niveau de ces îles millénaires dressées tout naturellement comme pour protéger la ville d’Essaouira contre les houles maritimes, le Faucon d’Eléonore vit et se reproduit comme pour dire au monde que le Maroc en général et Essaouira en particulier, demeure une terre bénie, et cet espace de paix, de quiétude et de prédilection où êtres humains tout comme les autres êtres-vivants n’hésitent guère à choisir. 

Généralement, le Faucon d’Eléonore est connu pour ses longs périples couvrant une distance supérieure à 9.000 km de ses sites de reproduction qui comprennent la région de la Méditerranée, l’Atlantique du Maroc et les îles Canaries, vers les zones d’hivernage, principalement à Madagascar, en parcourant tout le Continent y compris son Sahara. 

La période de reproduction de ce rapace de plus en plus rare est décalée pour le mois de juillet et ce, contrairement aux autres faucons migrateurs. La raison derrière ce décalage est l’attente de l’arrivée de passereaux migrateurs qui constituent une source de nourriture pour les poussins.

"Au Maroc, il existe deux sites de nidification du Faucon d’Eléonore à savoir les falaises de Sidi Moussa à Salé, et l’Ile de Mogador à Essaouira", a confié à la MAP, M. Hamid Rguibi Idrissi, professeur à l’Université Mohammed V à Rabat, rappelant que le Faucon d’Eléonore qui est de taille moyenne (35 à 42 cm de long pour une envergure de 85 à 105 cm), est un oiseau à la fois élégant et très élancé. 

Après avoir donné un aperçu sur la présence de cet oiseau migrateur dans certains pays du pourtour méditerranéen et en Europe, ainsi que sur le nombre de ces populations, il a tenu à préciser que pour ce qui est de l’Ile de Mogador, il est à signaler une nette augmentation de l’effectif des reproducteurs avec 1835 couples.

"Ces données démontrent clairement que la population du faucon d’Eléonore est nettement non dérangée au niveau de cet archipel et surtout, que la prédation des nids est quasiment absente", a expliqué ce spécialiste. 

Et de faire savoir que le suivi de la reproduction du faucon d’Eléonore sur l’île de Mogador a été réalisé depuis 2013 et jusqu’à 2017 dans la période comprise entre août et octobre, notant que ce travail scientifique a permis de suivre la formation des couples, en se référant à la biologie de reproduction, au suivi des poussins, et au régime alimentaire. "L’objectif quantitatif de ce suivi est l’estimation des valeurs des principaux paramètres démographiques qui régissent la population", a-t-il poursuivi. 

M. Rguibi Idrissi a relevé, dans ce sens, que les premières analyses ont permis de mieux comprendre l’influence des facteurs du milieu sur la dynamique des populations du faucon d’Eléonore en relation notamment, avec leur comportement migratoire. En effet, les résultats ont mis en évidence une corrélation entre l’intensité des flux migratoires des passereaux bien adipeux et la survie des individus juvéniles. 

"On a estimé à environ un million et demi de passereaux migrateurs qui ont été consommés par la colonie de faucons en moment de ponte et nourrissage de jeunes. Cet aspect s’avère potentiellement important pour mieux intégrer cette dimension dans la conception et l’accompagnement des programmes de suivi de la population sur l’Ile de Mogador", a-t-il tenu à préciser.

Sur les enjeux de la conservation de cette espèce, M. Rguibi Idrissi a fait observer qu’ils résident dans l’amélioration du succès de reproduction notamment, en réduisant les dérangements humains, et en luttant contre les prédateurs terrestres et les espèces invasives, ainsi que contre la destruction et le vandalisme dont les nids et les poussins font l’objet au niveau de certaines colonies. 

Dans la foulée, M. Rguibi Idrissi a mis l’accent sur la typologie des actions de conservation mises en place jusqu’à présent notamment, la déclaration du faucon d’Eléonore comme espèce protégée, spécifiquement ou parmi les oiseaux de proie, dans tous les pays hébergeant des colonies reproductrices, mais aussi en le déclarant comme espèce "vulnérable" ou "rare" dans les listes rouges élaborées par certains pays. 

On note également l’inscription de la majorité des sites de nidifications du faucon d’Eléonore (îles et îlots) comme ZICO’s (IBA’s), Aires Protégées, Aires Spécialement Protégées ou Réserve de Chasse, a-t-il ajouté, passant en revue une série d’actions de gestion et de conservation à préconiser, entre autres, la lutte contre l’invasion par des carnivores domestiques des îlots comportant des colonies de Faucon d’Eléonore, la promotion de projets pilotes de développement d’un tourisme durable au niveau des habitats côtiers les plus sensibles, et la garantie, si nécessaire, d’un gardiennage des colonies reproductrices pour éviter les dérangements et/ou le vandalisme. 

M. Rguibi Idrissi s’est prononcé également en faveur de la définition des zones d’accès à interdire du 1er juillet au 1er novembre au niveau des sites de notification, le report de la chasse au-delà du 1er novembre pour les sites de nidification ne jouissant pas d’un statut de protection, la garantie de la protection des habitats au niveau des quartiers d’hivernage ainsi que le long des routes migratoires du Faucon d’Eléonore, la promotion des échanges d’informations et d’expériences sur le suivi et la gestion des sites de nidification entre les experts et les organismes de conservation et la mise en place de protocoles de suivi harmonisés. 

Il serait judicieux aussi d’œuvrer à développer des outils de sensibilisation du public quant à la nécessité de protection du Faucon d’Eléonore et de ses habitats, d’assurer la tranquillité des sites en cas de tentative de reproduction. "Ceci peut être réalisé par une restriction de l’accès des pêcheurs à proximité des falaises côtières et des îlots en période de reproduction (juillet à octobre)", a-t-il expliqué, rappelant que le plan d’action national prévoit une surveillance des activités humaines et de leur développement (tourisme, agriculture, industries…) sur les zones occupées par le faucon d’Eléonore. 

Concernant les actions de recherche, M. Rguibi Idrissi a estimé indispensable, entre autres, d’évaluer la population reproductrice totale du faucon d’Eléonore, à travers la mise en place d’un protocole de recensement standard, de réaliser un recensement annuel à long terme des effectifs reproducteurs au niveau de quelques colonies présélectionnées à travers l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce, d’assurer tous les ans, un suivi du succès de reproduction dans des colonies présélectionnées, ainsi que des activités humaines et des usages sur les îlots comportant des colonies de Faucon d’Eléonore, et de mener des recherches sur l’impact des prédateurs terrestres. 

En matière d’information et de sensibilisation, il a estimé que l’ensemble des outils à mettre en œuvre doivent être élaborés dans le cadre du projet "Faucon Eléonore à Mogador" afin d’informer et sensibiliser les acteurs locaux et le public, tout en soulignant la nécessité de l’élaboration d’affiches dédiées au suivi mais aussi à des fins pédagogiques, l’organisation d’exposition sur cet oiseau et l’installation de systèmes vidéo qui permettent d’observer en direct ou en différé les scènes de vie du faucon sur les colonies de reproduction à Mogador. 

In fine, le nom du Faucon d’Eléonore se trouve intimement lié à celui de l’Archipel de Mogador, un site qui, au-delà de son importance historique et civilisationnel, se veut également une zone à haute valeur écologique, en tant que réserve naturelle abritant une faune et une flore assez riche et diversifiée dont certaines espèces sont en voie d’extinction. 

MAP - Samir Lotfy