Pollution: Le combat de deux franco-marocaines contre les pailles en plastique

Lundi 13 Août 2018

ENVIRONNEMENT - “C’est pas la mer à boire, juste une paille en moins”. Voici le slogan du mouvement “Bas les pailles”, né en 2017 à travers une pétition avant de se constituer en association. Initié en France par deux soeurs franco-marocaines et une de leurs amies, le mouvement qui vise à interdire l’utilisation des pailles en plastique en raison des désastres écologiques qu’elles provoquent commence à prendre de l’ampleur. Yasmine El Kotni, 29 ans, cofondatrice de “Bas les pailles” qui a grandi au Maroc avant de partir étudier en France, explique au HuffPost Maroc la genèse de ce projet, les actions entreprises pour interpeller les pouvoirs publics et les différentes alternatives à l’utilisation des pailles en plastique.

HuffPost Maroc: Quand et comment avez-vous eu l’idée de créer cette association?

Yasmine El Kotni: Une paille en trop dans un verre de l’une, une volonté de protéger notre planète à notre échelle pour toutes: le mouvement “Bas les pailles” est né en tant que pétition en avril 2017 pour la journée de la Terre et s’est depuis constitué en association (pour nous soutenir, c’est par ici!). La prise de conscience globale et le développement de modes de vie alternatifs qui prouvent que l’on peut vivre sans déchets et donc sans plastique nous a aussi aidées dans le lancement de ce mouvement anti-pailles en plastique. Nous sommes 3 co-fondatrices actives dans cette association, ma soeur Mounia, notre amie Johanna et moi-même et nous avons également un réseau d’une petite dizaine d’ambassadrices entre Strasbourg, Lille et La Ciotat. On espère encore que d’autres nous rejoindront pour faire grandir le mouvement et sensibiliser le maximum de personnes!

Pourquoi ce combat contre la paille en plastique en particulier?

Nous utilisons la symbolique de la paille en plastique afin d’induire une prise de conscience et un changement des comportements vis-à-vis de tous les petits objets à usage unique: touillette, bâtonnets de sucette, couverts... Pour nous, tout cela pose le même problème qu’une paille en plastique! Celle-ci représente l’illustration parfaite de l’objet en plastique superflu: elle est non recyclable donc après 15 minutes d’utilisation, elle finira soit incinérée soit dans les océans. Dans les océans, elle nuit à la faune et à la flore marine (si vous n’avez pas encore vu la vidéo de la tortue qui a une paille coincée dans le nez, il est peut-être temps, âmes sensibles s’abstenir) et ne se dégrade jamais, puis au bout de centaines d’années, elle se décompose en micro plastique ingéré par les poissons que nous-mêmes consommons en bout de chaîne.

(Attention, la vidéo ci-dessous peut choquer)

Quelles actions avez-vous menées depuis la création de “Bas les pailles”? 

Un des gros axes d’action de notre projet vise à sensibiliser le grand public et les professionnels aux conséquences de la pollution plastique sur notre environnement. La sensibilisation peut prendre plusieurs formes selon la cible. Pour le grand public, nous organisons des projections de documentaires, des débats-rencontres, des actions spécifiques également. Par exemple, pour citer les dernières actions à date: en juin, nous avons organisé un “plogging” (jogging en ramassant des déchets) à Paris en partenariat avec la mairie du 19ème arrondissement, le long du canal Saint Martin. Début juillet, nous avons lancé à Strasbourg et Paris l’opération Ma Dernière Paille en partenariat avec Surfrider Paris: elle consistait à aller sensibiliser les personnes en les invitant à s’engager à ce que la paille qu’ils étaient en train d’utiliser soit leur dernière paille.

Du côté des professionnels, on essaye de démarcher au maximum autour de nous et d’inviter les gens à faire de même en leur fournissant les informations clés. C’est en ce sens que nous avons lancé en février la première Journée internationale sans paille où de nombreuses associations, organisations et individus nous ont suivis et ont sensibilisé les professionnels autour d’eux dans près de 30 pays différents, ça a été un énorme succès! Le discours que nous tenons aux professionnels que nous sensibilisons ou qui nous contactent spontanément est personnalisé et, selon le profil de l’établissement, nous les mettons en contact avec des fournisseurs de pailles écologiques: bambou, inox, carton... Il ne faut pas oublier que les alternatives existent, nous venons tout juste de recevoir des échantillons de pailles comestibles à tester!

Enfin, la sensibilisation passe aussi par nos actions quotidiennes comme nos posts sur les réseaux sociaux, notre présence médiatique et le lobbying auprès du gouvernement que nous exerçons via notre pétition en ligne qui a récolté à ce jour près de 170.000 signatures. Par nos actions multiples, nous souhaitons vraiment créer une prise de conscience globale en posant cette question: qui a vraiment besoin d’une paille en plastique pour boire?

Ces actions ont-elles porté leurs fruits?

Certaines, oui! On note surtout un engagement citoyen de plus en plus conséquent. Il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’une personne ne nous envoie un mail pour nous demander des informations supplémentaires, s’engager à son échelle, nous demande une liste des alternatives, veuille nous soutenir... C’est également le cas de grands groupes qui souhaitent agir avant qu’une interdiction ne soit prononcée. Nous avons fait une lettre ouverte à Disney il y a 2 mois et le groupe a ensuite acté pour l’interdiction des pailles dans ses parcs autours du monde. C’est aussi le cas de McDonald’s et Starbucks, bien que la solution de remplacement ne soit pas encore totalement définie. Attention, remplacer des pailles en plastique par un autre type de plastique est complètement inutile: il faut choisir des alternatives écologiques. 

Nous avons également constaté que les médias relayent de plus en plus l’information. Il y a un an, très peu d’articles évoquaient le sujet et aujourd’hui quasiment tous les jours à travers le monde, des papiers, vidéos, podcasts relayent ce combat. Cela permet de diffuser le message plus largement et d’induire une prise de conscience. 

Et du côté des responsables politiques?

Côté gouvernement, les choses sont plus délicates. Malgré nos lettres, mentions et emails auprès du ministre de la transition énergetique Nicolas Hulot et du président Emmanuel Macron, nous restons sans réponse à ce jour. Bien que Nicolas Hulot ait annoncé en ce début d’été de façon assez vague vouloir “bientôt” signer un décret, il ne s’est pas donné la peine de consulter la seule association nationale qui relaie la demande de centaines de milliers de citoyens. Nous avons en revanche été en contact avec le groupe EELV (Europe Écologie Les Verts) qui a relayé notre demande auprès de la mairie de Paris. Résultat: celle-ci a annoncé une interdiction des pailles en plastique dans les établissements municipaux de la capitale dès septembre et sur son évènement Paris Plage dès 2019. Une petite avancée donc. Nous ne perdons pas espoir car de nombreux pays ont montré l’exemple en interdisant les pailles en plastique comme le Royaume-Uni, l’Irlande, le Kenya, le Costa Rica... Par ailleurs, une directive européenne visant à interdire certains objets à usage unique comme les pailles est actuellement à l’étude. Nous restons donc positives et plus que jamais motivées dans nos intentions.

Êtes-vous en contact avec d’autres associations (plus ou moins) similaires dans le monde?

Comme je le disais ci-dessus, nous avons en février lancé la première Journée internationale sans paille et avons donc été à la recherche d’associations engagées en ce sens. Quelle surprise quand nous avons découvert le nombre d’associations engagées dans le même combat que le nôtre à travers le globe: du Brésil à l’Australie en passant par la Gambie et la Lettonie... Par la suite, nous avons été contactées par d’autres associations notamment “No More Plastic” en Algérie. Nous n’avons pas encore travaillé avec des associations anti plastique au Maroc mais espérons que cela se fera rapidement.

Quelles alternatives proposez-vous aux pailles en plastique?

Il existe de nombreuses alternatives au plastique qui sont soit à usage unique soit réutilisables et durables. Dans les alternatives durables, il y a les pailles en inox, en bambou, en verre, en sillicone... Pour les alternatives à usage unique, il existe des pailles en carton, comestibles, mais aussi de nombreuses matières étonnantes comme par exemple les pailles en pâtes! Ce marché laisse place à l’innovation et avec les interdictions prochaines, il semble qu’il soit en pleine expansion!

Beaucoup de pays ont interdit l’usage de sacs en plastique. Mais pourquoi, selon vous, la sensibilisation autour des dangers des pailles en plastique est encore “timide”?

Le problème des pailles en plastique est qu’elles sont un objet “invisible” du quotidien. Elles sont peu visibles: logées au creux d’un trottoir, flottant sur une rivière ou rejetées sur le rivage, il faut les chercher pour les voir. Ce n’est pas aussi visible qu’un sac en plastique noir accroché à un arganier mais pourtant leur visibilité moins flagrante n’en fait pas un objet moins dangereux. Justement leur petite taille va faire que les animaux les confondront plus facilement avec de la nourriture. Et faites de plastique, elles mettront plus de 500 ans à se transformer en micro plastique dans l’océan. Je pense cependant que la prise de conscience grandit car ces pailles ne sont pas des objets dont on a réellement besoin, et il est facile de décider de s’en passer à l’exception de certaines personnes présentant un handicap pour lesquelles il existe des alternatives.

Si vous deviez convaincre un citoyen ou un restaurateur d’arrêter d’utiliser des pailles en plastique, que lui diriez-vous?

Généralement on adapte le discours à l’interlocuteur.rice, cependant on essaye de commencer par donner un chiffre impactant comme le milliard de pailles en plastique utilisées chaque jour dans le monde. On essaye ensuite d’avoir un discours assez pédagogique en expliquant qu’une paille en plastique ne peut pas être recyclée et finira donc certainement soit incinérée soit dans les océans où elle nuira à la flore et à la faune marine. Généralement, les restaurateurs sont assez réceptifs et on peut alors leur présenter nos échantillons d’alternatives. Le frein principal est souvent économique et c’est pourquoi on précise toujours qu’une première étape dans cette transition est de ne servir que les pailles à la demande plutôt que de les mettre automatiquement dans les verres: les faits montrent que seuls 20% des clients en réclament a posteriori. Avec cette baisse de consommation de pailles, cela permet de faire des économies et d’investir dans des pailles légèrement plus chères mais qui ne finiront pas dans le nez d’une tortue! 



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/pollution-le...

Anaïs Lefébure