Polémique – L’homme d’affaires Karim Tazi reproche au leader du PJD Abdelilah Benkirane : « 7 ans d’occasions ratées et d’immobilisme » au Maroc

Dimanche 16 Décembre 2018

Un vrai pavé dans la mare des barbus au pouvoir. L’homme d’affaires et membre du Parti Socialiste Unifié (PSU) Karim Tazi a adressé une lettre à l’ancien chef du gouvernement AbdeliIlah Benkirane à la suite de leur conversation téléphonique au cours de laquelle l’ex-responsable gouvernemental et ancien secrétaire général du Parti justice et développement (PJD) a exprimé « sa colère » par rapport au bilan tiré par Tazi (dans un journal) relatif à l’expérience du Parti justice et développement (PJD) au pouvoir. Et sans laisser son interlocuteur lui répondre Benkirane lui raccrocha la ligne au nez, affirme-t-on.

Voici, par ailleurs, le texte traduit de l’arabe de cette lettre qui a été publiée par le site arabophone alaomk :

« Mon respectable ami,

J’ai choisi dans cette lettre de partager avec vous et avec les lecteurs une discussion à laquelle les échecs accumulés et le malentendu ne lui ont pas donné l’occasion de mûrir.

Après la publication par le quotidien Almassae du 7 et 8 décembre du bilan économique des 7 années pendant lesquelles le PJD a dirigé le gouvernement, vous m’avez contacté pour me faire part de votre colère et protester contre mon point de vue exprimé dans le journal.

Permettez-moi d’informer, en résumé, ceux qui n’ont pas pu voir le dossier de presse, que j’ai exprimé l’idée selon laquelle un certain nombre d’observateurs et de spécialistes ont remarqué qu’après les élections de 2011 votre parti n’avait pas les compétences nécessaires pour gérer la chose économique, ce qui explique sans doute l’attribution des principaux portefeuilles ministériels économiques à des cadres n’appartenant pas à votre groupe.

Par conséquent, tenir votre parti comme seul responsable des 7 années maigres n’est pas correct. Mais cela signifie-t-il que le parti islamiste n’assume pas une partie importante de responsabilité dans ce résultat décevant ? Bien sûr que non, le parti est grandement impliqué et assume une grande part de responsabilité dans ce résultat.

Ma conviction, et je parle ici en tant qu’acteur économique et investisseur, est que si votre parti aurait tenu ses promesses électorales, notamment la promotion de la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et l’économie de rente, le Maroc aurait gagné des points importants au niveau du rythme de sa croissance et crée des dizaines de milliers d’emplois et aussi les premières bases de l’édification démocratique auraient été posées.

Malheureusement, votre parti a préféré enfouir sa tête dans le sable de l’exécutif et ne l’a relevée que pour alerter contre les crocodiles et les diables qui ne sont pas visibles ou pour dire à ceux qui le critiquent en employant des expressions comme « nous sommes la soupape de sécurité du pays et le garant de sa stabilité ». Et Il (PJD) a tenté de justifier son abandon des luttes pour la réforme par le slogan la réforme dans la stabilité.

Mon respectable ami,

 Vous avez déversé sur moi votre colère parce que je n’ai pas mentionné la loi sur les prélèvements des jours de grève des salaires des fonctionnaires grévistes parmi les réalisations à propos desquelles vous vous êtes armés de courage politique, vous vous êtes énervé parce que je n’ai pas mis en exergue vos efforts visant la réforme de la caisse de compensation et les régimes de retraite.

Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon regret car j’ai négligé le sujet, et je vous ai assuré que je suis prêt à le faire devant l’opinion publique. Mais comme je vous l’ai dit, ceci ne changera rien au fait que les initiatives entreprises par le PJD pour mettre le pays sur la voie des réformes sont restées limitées. Vous avez raté des occasions qui nous ont fait perdre les acquis du Mouvement du 20 février, du discours du 9 mars et les points positifs de la nouvelle constitution.

Votre réponse n’était que le prolongement des ses précédentes. Vous m’avez répété à nouveau que, en refusant de rejoindre le Mouvement du 20 février et en dirigeant le gouvernement après les élections de 2011, le Maroc avait échappé au chaos et à la destruction. J’étais en train de discuter votre affirmation et de répondre à votre point de vue sur la question mais vous avez décidé de raccrocher votre téléphone sans permission ni avertissement.

Au début, j’ai interprété votre étrange comportement comme l’énervement d’un homme qui est descendu du cheval dans des circonstances ayant porté atteinte à sa dignité, mais j’ai trouvé mon explication incorrecte. Dans votre comportement il y a aussi une expression d’amertume légitime suspendue dans la gorge d’un homme qui a servi son pays fidèlement et qui sent que sa sincérité a été accueillie avec ingratitude.

Ssi AbdeliIlah,

L’interruption de la ligne téléphonique ne signifie pas la rupture ou la fin de la discussion ou du débat. Permettez-moi de continuer publiquement, à l’occasion de cet article, ce que je n’ai pas pu compléter par téléphone, car j’estime que le débat public dans cette circonstance critique de l’histoire de notre pays, loin de la rhétorique, de la calomnie et de la comparaison, est utile pour comprendre et diagnostiquer notre maladie aujourd’hui.

Causes, symptômes et traitement

Disons-le franchement, la tentative de séparer complètement les questions politiques, économiques et sociales, comme l’ont fait certains de ceux qui ont tenté d’évaluer l’expérience du gouvernement du PJD, est non seulement artificiel, mais également dangereuse. C’est l’une des principales faiblesses de notre « modèle de développement » actuel, qui invoque les handicaps sociaux et économiques comme entravant les réformes politiques et les contraintes politiques pour justifier l’échec des réformes économiques et sociales.

Ce n’est pas une fatalité de regarder l’avenir du seul point de vue de l’économie au point de devenir une obsession, comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Chine, et créer des sociétés de consommation qui ne font qu’accumuler des richesses et aggraver la course aux biens matériels. Nous ne sommes pas obligés de transformer la préoccupation sociale en obsession, comme cela a été le cas récemment à Cuba ou au Venezuela, qui est tombé dans la pauvreté et a rendu l’Etat incapable de réaliser ses objectifs sociaux. Il n’est pas acceptable que la stabilité devienne elle aussi une obsession, comme dans le cas du Maroc, et reporter toutes les réformes à une date indéterminée, permettant à la rente de s’enraciner et de constituer un Etat au sein de l’Etat.

Mais le plus dangereux, Ssi Benkirane, est le fait que vous aviez proposé comme alternative aux Marocains le choix entre la stagnation et l’immobilisme d’un côté et le chaos de l’autre.

Non, mon cher maître, la stagnation précède le malheur même si elle est entretenue par un parti populaire doté de la légitimité électorale et soutenu par le discours d’un tribun tenant à sa lampe. Et vous avez la meilleure preuve dans le Hirak du Rif et de Jerada et le boycott populaire des biens de consommation. Ce qui est arrivé est l’expression de la plus grande crise qu’ait connu le Maroc indépendant.

Ne pensez pas Ssi Benkirane que c’est votre renvoi du gouvernement qui a enflammé la colère dans le Rif, dans le désert de Zagora et dans les mines de la misère dans l’oriental, mais la poursuite par vos frères de votre démarche marquée par les concessions, l’avortement des initiatives et le report des réformes urgentes devant redresser la performance de l’Etat qui en sont la cause la plus importante. Le parti a été récompensé pour sa servilité et pour sa survie miraculeuse au prétendu tremblement de terre politique comme ont survécu ceux qui sont critiques parmi vous, du moins jusqu’à présent, de toutes les répliques sismiques.

Ceux qui ont milité et militent pour l’Etat de droit et le lien effectif entre responsabilité et reddition des comptes contre la rente et la corruption ne sont ni nihilistes ni des révolutionnaires. Il est regrettable que vous contribuez à cette confusion entre réforme et chaos, entre des hommes politiques responsables et partisans de la sédition. Ils constituent une mosaïque composée de citoyens réformateurs courageux et d’autres, non moins courageux, mais qui ont choisi la prudence.

La majorité des Marocains auxquels ont été collés l’étiquette de l’extrémisme ne cherchent pas la révolution dans la rue et ne préparent pas la sédition dans l’ombre.

Les Marocains n’ont pas attendu l’écoulement du sang en Syrie ou la colonne de fumée en Libye pour exprimer leur attachement à la stabilité de leur pays et le caractère pacifique de leurs revendications. Ils ont été et sont toujours les défenseurs de la paix et de la stabilité réelles.

L’édifice solide qui rassemblera les citoyens marocains sous le toit de la dignité ne sera réalisé qu’en démolissant la construction anarchique qui a bloqué les voies du droit, où s’est développé la rente, où se sont fermées les fenêtres des libertés, où la corruption a occupé tous les domaines et où le développement du capital humain a été troqué contre la construction de structures en béton.

Je voudrais dire que le mouvement islamiste, et votre parti et l’un de ses piliers, est un élément important et inévitable de la scène partisane marocaine et qu’il n’y a pas d’avenir pour un modèle de développement qui cherche à vous marginaliser, à un moment où l’un de vos dirigeants est confronté à la justice et que des maisons des membres du mouvement Justice et bienfaisance sont mises sous scellées. Mais l’équité et la raison exigent également la reconnaissance du statut des autres forces avec leurs tendances conservatrices et laïques, leurs progressistes et leurs libéraux.

Ce pays africain, ancré dans son continent noir et ouvert sur son horizon européen, qui a pris des initiatives lesquelles méritent d’être saluées envers les migrants de l’Afrique subsaharienne, n’est pas seulement une mosaïque ethnique et culturelle, comme le prétend le discours officiel. C’est aussi une mosaïque ethnique et religieuse dans laquelle des laïcs, des non-musulmans et des non-religieux cherchent une place au soleil aux côtés de leurs concitoyens majoritairement sunnite. Le défi d’accepter l’autre, se pose de manière importante pour le mouvement islamiste et vous êtes l’une de ses figures les plus en vue, plus encore que pour le régime, malgré son autorité, qui a parfois fait montre de tolérance envers le pluralisme politique, culturel, religieux même si c’est à contrecœur.

Un certain nombre de membres du mouvement islamiste estiment à juste titre que la volonté du pouvoir de les réduire à une portion minime est injuste et injustifiée.

Mais ils ne savent pas que le rejet par le mouvement islamiste des droits des femmes et des droits des minorités sexuelles et religieuses sur la base de leur compréhension des textes religieux crée chez les autres courants sociaux une crainte légitime de leur tentation à imposer un modèle d’exclusion à l’ensemble de la société ! Ce déni des droits des femmes et des minorités est non seulement inacceptable, mais donne également une légitimité à ceux qui souhaitent vous éradiquer, à ceux qui se présentent, malgré toutes leurs lacunes, comme un rempart insurmontable contre votre domination et votre obscurantisme.

Les gens demandent davantage de réformes, meilleures et plus rapides, ce qui est normal. Cependant, votre parti se plaint constamment de l’absence d’un allié et reproche aux gens que leurs critiques l’affaiblisse. Les citoyens ne donnent pas de chèque en blanc et n’attendent pas indéfiniment. Sept ans d’occasions ratées et d’impasse mortel, il est temps de revoir les engagements, de clarifier les stratégies et de fournir les clés d’une réforme à moyen-terme.

Le Maroc ne se développera pas sans la convergence des points de vue de ses réformistes ayant le sens de l’histoire, conscients de la responsabilité morale et indépendants dans leur décision organisationnelle quelque soient leurs références et leurs positions. Que chacun de nous prenne ses responsabilités qu’il soit réformiste ou contre la réforme.

Nous pourrons être en désaccord, nous disputer, nous mettre en colère et nous réconcilier. Ce n’est pas grave. L’important est que nous soyons intelligents et honnêtes. C’est avec l’honnêteté que nous construirons la démocratie souhaitée.

N/B: cette lettre a été traduite

 intégralement par les soins d’Article19, toutefois son contenu n’engage que son auteur.

Article19.ma

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Achraf