C’est probablement l’un des papiers d’humeur qui m’a été le plus difficile d’écrire en 15 ans de carrière. Après quelques jours, j’ai enfin réussi à comprendre les raisons de cette procrastination inhabituelle.
Que de fois ce conseil se voulant bienveillant nous a été asséné par des consœurs ou des amis. Jouer les amazones féministes quand on tant d’autres entraves sournoises qui minent notre ascension professionnelle du seul fait de notre genre, quelle idée suicidaire ! Le milieu de la presse après tout n’est-il pas un microcosme de notre société misogyne et phallocrate, où les talents et les talons des femmes sont appréciés, tant qu’ils ne gênent pas dans leur marche les bottes conquérantes des hommes ?
Difficile avec une telle donne ne pas admirer l’intrépidité de femmes qui ont enfin osé révéler au grand jour la désolante réalité du harcèlement sexuel dans le monde des médias au Maroc. Mais, dit-on, s’il y a quelque chose que journalistes et policiers partagent, c’est bien le scepticisme, cette manie de douter de tout, surtout des belles choses.
Si les autorités marocaines ont effectivement décidé du jour au lendemain de prendre très au sérieux les plaintes pour harcèlement et agressions sexuelles, dans le sillage du mouvement hollywoodien MeToo, c’est que notre pays n’aura désormais plus rien à envier aux grandes démocraties en terme d’égalité des sexes et de protection des droits des femmes. Si ce n’est que du cinéma à la sauce locale destiné à faire taire un canard trop bavard, alors ça ne présage rien de bon pour l’avenir de la presse indépendante au Maroc, déjà mise à mal par un lectorat rare, le gavage informationnel des réseaux sociaux et un marché publicitaire moribond.
Les journalistes, épuisés déjà à force de slalomer entre des lignes rouges aussi floues que mouvantes, doivent-ils en plus composer en permanence avec l’épée de Damoclès d’un Code pénal autorisant toutes sortes d’interprétations et donc d’abus ? Après l’affaire Bouachrine, ne risque-t-on pas de tomber dans le règlement de comptes sous couvert d’infraction aux lois pénales, sachant qu’on en a tous enfreint au moins une fois dans sa vie ? Se faire servir de l’alcool en tant que musulman « notoire », recevoir des amis de sexe opposé chez soi, vivre en concubinage, casser la croûte au Mac Do pendant ramadan ou encore commettre un « outrage public à la pudeur » en sortant en maillot de bain en pleine canicule chercher un soda à l’épicerie du coin…
Car si cette affaire a le mérite de questionner en profondeur les rapports hommes/femmes dans la société marocaine, elle interroge aussi sur toutes ces lois anachroniques et vagues portant atteinte aux libertés individuelles et qui menacent de prison chaque Marocain. Car avant d’être des professionnels de l’information, les journalistes sont des citoyens comme les autres.
Donner son opinion sur le « scandale Bouachrine », c’est donc aussi prendre le risque de se faire accuser de corporatisme.
Femme ou journaliste, faut-il choisir son camp ? Et si on choisissait celui de la Justice ?
Source : https://ladepeche.ma/du-sexisme-au-quotidien/...