Mohammed Benhammou: "Le service militaire peut répondre à la faiblesse du système éducatif"

Vendredi 24 Août 2018

SOCIÉTÉ - Le projet de loi sur le rétablissement du service militaire obligatoire pour les citoyennes et citoyens marocains de 19 à 25 ans fait l’objet d’un vaste débat national depuis son adoption lundi 20 août en conseil des ministres. Alors que le texte doit encore être débattu au Parlement, le HuffPost Maroc s’est entretenu avec Mohammed Benhammou, politologue, expert en sécurité, président de l’Observatoire marocain pour la citoyenneté et la démocratie et du Centre marocain des études stratégiques, pour discuter de ce projet qui peut répondre, selon lui, à la faiblesse du système éducatif.

HuffPost Maroc: Pourquoi selon-vous, douze ans après avoir été supprimé, le service militaire obligatoire devrait être rétabli?

Mohammed Benhammou: Ma première réponse serait: pourquoi pas? Surtout à un moment où il y a beaucoup de changements dans les paradigmes de sécurité et de défense, et où le contexte géopolitique régional et international est très agité. Nous assistons également à l’émergence d’une multitude de menaces et d’acteurs criminels. Par ailleurs, beaucoup de pays qui ont remis en cause le service militaire, l’ont supprimé ou l’ont allégé, sont en train de repenser sa formule voire son rétablissement, ou trouvent d’autres formes comme le service civil. Aussi, les concepts de la défense et de la sécurité, de l’ennemi, de la souveraineté et de la guerre ont changé aujourd’hui. L’ennemi est beaucoup plus à l’intérieur qu’à l’extérieur, la guerre est beaucoup plus asymétrique, et il est important pour les jeunes citoyens de comprendre cela et d’être outillés pour faire face à ces menaces.

Au-delà du contexte international, pourquoi la société marocaine a-t-elle besoin du rétablissement du service militaire? 

La société marocaine connaît des mutations sociales importantes, avec parfois certaines fractures, à l’instar de l’ensemble des sociétés à l’échelle internationale. Il faut également avouer que le système éducatif marocain ne produit pas ce qu’on attend de lui, il est très largement dépassé, et il est même devenu contreproductif. Il y a aussi une démission dans la société, au sein de certaines familles, en termes d’éducation. Des acteurs éducatifs ont parfois démissionné de leur rôle et de leur mission, ce qui a eu un impact négatif sur le sens du civisme, de la citoyenneté, et sur le respect et la pérennité des valeurs nationales. Autant d’éléments qui, malheureusement, ne sont plus aujourd’hui inculqués comme il se doit.

En quoi le service militaire peut-il renforcer le “sens de la citoyenneté”?

Loin bien sûr de tout nationalisme ou chauvinisme, il s’agit d’éduquer le citoyen à certaines règles de base que l’on retrouve dans à peu près toutes les sociétés, à savoir la tolérance, le respect de l’autre et de certaines règles de vie commune. On constate malheureusement de plus en plus d’actes d’incivilité. Le service militaire peut également être une période durant laquelle ces jeunes garçons et filles peuvent bénéficier de formations spécifiques, en réponse à la difficulté du système éducatif à s’inscrire dans une dynamique de développement et à répondre aux besoins du marché, notamment en termes d’emploi. Cette faiblesse du système éducatif a eu des résultats néfastes, puisqu’un jeune sur quatre est frappé par le chômage. Ce sont eux qui ont fait les frais de ce système. Peut-être que lors du service militaire, il peut y avoir la possibilité de rattraper cela, par des formations qualifiantes, et permettre à certains jeunes de trouver leur vocation, pour continuer dans l’armée ou dans d’autres services.

Certains estiment que des “passe-droits” seront accordés aux jeunes de familles aisées pour échapper au service militaire. Qu’en pensez-vous?

Je pense qu’il faut cesser de juger des intentions, ou d’emblée de se lancer dans une lecture négative. Le projet de loi définit clairement quels sont les jeunes citoyens et citoyennes concerné-e-s, et les modalités d’exemption du service militaire pour certains, notamment pour des raisons d’inaptitude physique, de charge familiale ou de poursuite des études. La loi est claire, et c’est la même chose partout dans le monde. Est-ce qu’il y aurait des moyens pour certains d’échapper au service? Je ne veux pas verser dans le nihilisme, mais je dirais que tout simplement, une loi est faite pour qu’elle soit appliquée, et ceux qui ne l’appliquent pas doivent être punis. Des sanctions sont d’ailleurs prévues dans le projet de loi. Maintenant, au Maroc comme partout dans le monde, nous ne sommes pas dans une société d’anges mais d’humains. Le tout est que ça ne soit pas une pratique large, mais il y aura toujours des gens qui vont chercher à se dérober.

Certains se demandent aussi pourquoi ce projet de loi n’a pas fait l’objet d’un débat national ou de consultations auprès d’associations de jeunes. Pensez-vous que cela aurait été nécessaire?

Non. Si l’on devait organiser un débat national avant de passer toutes les lois, on n’en finirait jamais. Une loi est faite pour réglementer une situation, elle est bien sûr soumise au Parlement, et les institutions font leur travail. Le Parlement est une institution élue, donc représentative des citoyens, et il doit jouer son rôle. On ne peut pas passer à ce que certains appellent une “démocratie directe” comme en Suisse, où certains projets de loi passent par des référendums. La Suisse, par sa taille, son architecture sociale et institutionnelle, et par l’expérience qu’elle a en la matière, n’est pas comparable au Maroc ni même à d’autres pays européens ou ailleurs. Enfin, rappelons que c’est un projet de loi qui ne date par d’aujourd’hui, cela fait trois ans que le travail est mené sur ce projet. C’est ensuite aux représentants du Parlement, que les citoyens ont élus, de débattre de ce projet. Sinon à quoi sert le Parlement?



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/mohammed-ben...

Anaïs Lefébure