Les noms des ‘souwar’ coraniques, Pistes de réflexion suite à l'atelier de VSMB

Lundi 22 Juin 2015

du 16.05.2015 : Islam et Nature, par Dr. Omar Van den Broeck, Philologue, Secrétaire général de l’Exécutif des Musulmans de Belgique
Les noms des ‘souwar’ coraniques, Pistes de réflexion suite à l'atelier de VSMB
"J'ai beaucoup aimé l’atelier du VSMB le 16.05.2015 et j’ai félicité les organisateurs pour les raisons suivantes :
1. Le choix du thème et la façon dont il a été traité. En effet, l'atelier nous a permis de repenser la relation entre la 'nature' et 'islam', et de recomprendre celle-ci à partir du soufisme. Certains a priori causés par une interprétation trop anthropocentrique (fût-elle à connotation islamique) ont été remis à leur place. Si Dieu a assigné une place pour l’homme à la nature, celui-ci en est également responsable. Il ne peut pas agir en une espèce de ‘tyran aveugle’ et devra en rendre compte au Créateur. Dans ce sens un dialogue intéressant a été créé avec le monde contemporain.
2. Le caractère collégial de l'organisation.
3. La grande générosité et simplicité de celle-ci.
4 Le caractère intime et chaleureux des invocations et chants après le samâ.
Le thème m’a rappelé un texte que j’ai écrit. Comme il présente pas mal de parallélismes avec le sujet abordé lors de l’atelier, je me permets de le présenter.

Les noms des ‘souwar’ coraniques

Le lecteur averti sait que ‘souwar’ est le pluriel de ‘sourate’, que l’on traduit parfois par ‘chapitre’. Le mot signifie en fait ‘mur’, ‘rangée de pierres’.  Le Coran en compte 114 qui sont plus ou moins classées en ordre de grandeur (et non pas en ordre chronologique).

L’importance du nom propre dans le Coran est soulignée par leur présence entre les ‘noms’ des souwar :
2 «Al-Imran », 10 « Yoûnous », 11 « Hoûd », 12« Yoûsouf », 14 « Ibrahîm », 17 « Bânî Isrâ°îl », 19 « Maryam », 30 « Ar-Roûm », « Les Romains », 31 « Louqmân », 34 « Sabâ’ », 71 « Noûh », 106 « Qouraych ». Il s’agit parfois de noms qui participent à un processus en cours ‘d’appellation’ : 77 « Al-Moursalât », « Les Envoyés » ; 79 « An-Nâzi°ât », « Les anges qui arrachent les âmes ». Et puis il y a le surprenant nom de la sourate 5 : « Al-Mâ’ida », « La Table » qui se réfère à la ‘Cène’ du Prophète °Îsâ, lui-même toujours nommé par le Coran : « °Îsâ fils de Maryam ». Reprenons aussi des noms de ‘lieux’ : 7 « Al-°arâf »  (lieu surélevé entre le Paradis et l’Enfer ; éventuellement à comparer avec le« Purgatoire » chrétien); 18 « Al-Kahf », « La Caverne »; 70, Al-Ma°ârij », « Les voies d’ascension » .

En dehors du nom propre du Prophète de l’Islam, 47 « Mouhammad », signalons les ‘noms-épithètes’ qui se réfèrent à lui : 73 « Al-Mouzzammil » (« Le recouvert d’un manteau " ), et  74 « Al-Moudatthir » ; aussi étonnants ces noms qui se réfèrent à des événements de la vie du Prophète : 58 « Al-Moujâdala », « celle qui s’est plainte » (au Prophète concernant le comportement de son mari) ; 60  « Al-Moumtahana » (« l’Examinée » concernant son adhésion à l’islam). Le nom de la sourate 17« Al-Isrâ », « Le voyage nocturne » se réfère à l’ascension du Prophète ; celui de la sourate 48 « Al-Fath » « La victoire éclatante » à la rentrée victorieuse à la Mecque.

Arrêtons-nous plus longuement auprès de la sourate 94 : « ach-Charh »,« L’ouverture ». Cette ‘ouverture’ se réfère à l’épanouissement du ‘cœur’ du Prophète.
{1} N’avons-Nous pas épanoui ton cœur?

 Le mot « sadr », traduit par cœur, ou « poitrine » se réfère à un aspect de la troisième dimension de l’être humain : celle de ‘l’esprit’. Ici aussi le Coran présente une multitude de noms renvoyant à des dimensions différentes de cette réalité : le concept d’ « esprit », « roûh », de « cœur », « qalb » et de « vision », « basîra ».
Cette ’ouverture’  a une conséquence physique :
[2] Ne t’avons-Nous pas soulagé du fardeau
[3] qui te pesait sur le dos,
[4] et n’avons-Nous pas rehaussé ton prestige?
[5] Certes, à côté de la difficulté, il y a la facilité.
[6] Certes, à côté de l ’adversité, il y a la félicité.
[7] Alors, chaque fois que tu as un moment de loisir, tourne-toi vers ton Seigneur
[8] et aspire à Sa grâce avec ferveur !


L’épanouissement ou ouverture, « charh », du cœur est d’ailleurs une caractéristique du processus de la foi :
{6/125] Dieu ouvre à l’islam le cœur de celui qu’Il veut diriger ; mais celui qu’Il veut égarer, Il lui comprime la poitrine et lui coupe le souffle, comme à qui tenterait d’escalader le ciel. C’est ainsi que Dieu couvre d’opprobre les incrédules.

Revenons à nos noms où il faut mentionner les acteurs de la cartographie décrite sous le point précédent : 21« Al-Anbiyâ », « Les Prophètes » ; 23 « Al-Mouminoûn », « Les croyants » ; 33 « Al-Ahzâb », « Les coalisés » ; 63 « Al-Mounâfiqoûn », « Les hypocrites » ; 109 « Al-Kâfiroûn », « Les infidèles ».

Tous les ‘noms’ de souwar sont très courts, ce qui confirme leur statut de nom (et non de ‘titre’) : à part les ‘noms propres’ ils sont tous composés d’un article et d’un substantif. Il s’agit parfois de ‘noms’ d’événements. Le nombre le plus impressionnant est celui du « Jour du Jugement dernier » :  56  « Al-Wâqi°a », « l’Evénement » ; 64 « At-Taghâboun » ; « La grande perte » ; 75 « Al-Qiyâma », « La Résurrection » ; 81 « At-takwîr », « L’obscurcissement » ; 82 « Al-Infitâr », « La Rupture » ; 84 « Al-Inchiqâq », « La Déchirure » ; 88 « Al-Ghâchiya »,« L’Enveloppante » ; 99 « Az-Zalzala », « La Secousse ». La multiplicité de ces noms – il s’agit d’une véritable ‘explosion sémantique’ - souligne l’imminence et l’importance de cet événement aux yeux d’Allah qui, selon le cas, met en exergue certaines des caractéristiques de ce Jour. Il s’agit pour les savants musulmans d’une des preuves du caractère divin du texte coranique.

Il y a bien sûr des Noms d’Allah : 40 « Ghâfir », « Le Pardonneur », 55 « Ar-Rahmân », « Le Tout Miséricordieux », 87 « Al-°ala », « LeTrès-Haut ». Remarquons qu’il n’y pas de sourate portant le nom l’Allah Lui-même.
Citons aussi des noms inspirés d’états religieux : 9 « At-Tauba », « Le repentir » ; 32 « As-Sajda », « La Prosternation » .

Certaines souwar portent des noms d’animaux :  2« Al-Baqara », « La Vache », 6 « Al-An°âm », « Les bestiaux », 16 « An-Nahl », « Les Abeilles », 27 « An-Naml », « Les Fourmis ».

Prenons cette sourate pour entrer dans son intimité, et se familiariser avec certains de ses timbres. En effet, elle s’y prête ‘comme par magie’, ou ‘par langage’. Les soufis se sont longuement inspirés du présent ‘langage des oiseaux’ (Attar) relayé par celui des fourmis :

16. Et Salomon hérita de David et dit : "Ô hommes ! On nous a appris le langage des oiseaux; et on nous a donné part de toutes choses. C'est là vraiment la grâce évidente.17. Et furent rassemblées pour Salomon, ses armées de djinns, d'hommes et d'oiseaux, et elles furent placées en rangs.18. Quand ils arrivèrent à la Vallée des Fourmis, une fourmi dit : "Ô fourmis, entrez dans vos demeures, [de peur] que Salomon et ses armées ne vous écrasent [sous leurs pieds] sans s'en rendre compte". ! 19. Il sourit, amusé par ses propos et dit : "Permets-moi Seigneur, de rendre grâce pour le bienfait dont Tu m'as comblé ainsi que mes père et mère, et que je fasse une bonne œuvre que tu agrées et fais-moi entrer, par Ta miséricorde, parmi Tes serviteurs vertueux".

Comme nous voici dans le ‘détour’ des ‘noms propres’ remarquons que, dans son langage, la fourmi connaît le nom de Salomon. Pourtant il semble ne pas y avoir de communication directe entre celui-ci et la fourmi. Comme si l’important pour Salomon était de pouvoir parcourir ces ‘détours’ qui donnent d’ailleurs lieu à un accroissement de son adoration du Seigneur. A moins qu’il faille attendre l’expérience des soufis pour avoir un début de compréhension du sens de ces détours.

J’ai déjà cité le nom de la sixième sourate : « Les bestiaux » ou « Le bétail ». Le verset suivant mérite une attention particulière :
6/38 Nulle bête rampant sur terre, nul oiseau volant de ses ailes, qui ne vive en société à l’instar de vous-mêmes. Et Nous n’avons rien omis dans le Livre éternel. Puis c’est vers leur Seigneur qu’ils feront tous retour.

Les animaux tiennent ainsi une place spéciale dans le Coran ; ils sont en général mentionnés en relation avec l’être humain. Les citations précédentes pourraient indiquer que leur fonctionnement communicationnel est semblable au nôtre. Pourtant très souvent la comparaison est utilisée pour exemplifier les manquements du comportement humain. Ceci se fait  parfois en négatif :
[7/175] Raconte-leur l’histoire de celui à qui Nous avions communiqué Nos signes, mais qui s’en est volontairement écarté et qui, marchant dans le sillage du démon, alla grossir le rang des égarés.
[176] Et si Nous avions voulu, Nous l’aurions sauvé, grâce à Nos signes ; mais il avait opté pour la vie matérielle de ce monde et obéi à ses instincts, donnant ainsi l’exemple du chien qui ne cesse de haleter, qu’on le traque ou qu’on le laisse en paix.Telle est l’image de ceux qui traitent Nos signes de mensonges ! Raconte-leur ces récits ! Peut-être les feront-ils réfléchir?


Ces versets sont suivis de près par le suivant que nous lisons en écho avec, à la fin du premier chapitre, les citations concernant la cécité et la surdité spirituelles de l’homme :
[7/179] Nous avons destiné à l’Enfer un grand nombre de djinns et d’hommes qui ont des cœurs pour ne pas comprendre, des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre. Comparés à des bestiaux, ils sont plus égarés encore. Tels sont ceux qui vivent dans l’insouciance !

Parfois la comparaison se fait en positif :
[24/41] Ne vois-tu pas que tous les êtres vivants, dans les Cieux et sur la Terre, célèbrent la gloire du Seigneur, jusqu’aux oiseaux quand ils déploient leurs ailes? Chaque être asa manière de Le glorifier et de Le bénir, et Dieu comprend parfaitement leurs prières.

Pour clôturer la liste des noms de souwar inspirés par des animaux, il y a ceux déjà cités : 105« Al-Fîl », « L’éléphant », et 29 « Al-Ankaboût », « L’araignée ».
29/41. Ceux qui ont pris les protecteurs en dehors de Dieu ressemblent à l'araignée qui s'est donnée maison. Or la maison la plus fragile est celle de l'araignée. Si seulement ils savaient!

Dans la liste des noms des souwar, il y a ceux des corps célestes : 53 « An-Najm », « L’étoile », 54 « Al-Qamar », « La lune », 85 « Al-Bouroûj », « Les constellations », 86 « At-Tariq », « L’astre nocturne », 91« Ach-Chams », « Le soleil ».
[91/1] Par le Soleil et son premier éclat,
[2] par la Lune quand elle lui succède,
[3] par le jour quand il éclaire le monde,
[4] par la nuit quand elle l’obscurcit,
[5] par le Ciel et son édification,
[6] par la Terre et son nivellement,
[7] par l’âme et Celui qui l’a façonnée harmonieusement
[8] et qui lui a inspiré son libertinage et sa piété !
[9] En vérité, l’homme qui purifie son âme sera sauvé
[10] et celui qui la corrompt sera réprouvé !


Mettons l’accent sur ce serment divin par lequel le Créateur prend le soleil à témoin de façon ‘dénudée’ à degré zéro. Le  caractère affirmatif, apodictique résorbe tout type de récupération littéraire humaine dans sa proclamation même (qui explique d’ailleurs l’utilisation des majuscules dans la traduction). C’est dans ce contexte que Dieu prend également à témoin l’ego humain.

Revenons à notre liste des ‘noms de sourates’ : il y a le nom de la sourate 76 : « Al-Insân », « L’homme » ; il y a aussi les noms tout simples comme : 8 « Al-Anfâl », « Le Butin » ;  13 « Ar-Ra°d », « Le tonnerre ». Certaines souwar commencent par des ‘lettres mystérieuses’. Dans certains cas elles sont le nom de la sourate : 20 « Tâ-Hâ » ; 36 Yâ-Sîn ; 38 Sâd ; 50 « Qâf », et se hissent ainsi au niveau du ‘nom’. Ceci se confirment par la fait que ‘Tâhâ’ et ‘Yâsin’ sont devenus des noms du Prophète lui-même.  Ces lettres doivent être récitées selon des règles strictes de prosodie qui déclenchent ainsi une  tonalité liée à l’intimité de la sourate.

Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans les détails de l’historique de l’établissement du texte coranique et de l’établissement des noms de souwar. Ceux-ci sont des éléments de la parole d’Allah par lesquels Il instaure un lieu d’intimité qui recèle des particularités et des secrets. Cette relation est à la base de plusieurs noms pour certains souwar, par exemple la première : « Al-Fâtiha », « Celle qui ouvre », également nommé « Al-Hamdou », «Louange».

Comment comprendre cette connivence intime réalisée dans les noms du Coran et des souwar ? C’est peut-être que les ‘noms’ sont un des secrets d’Allah vis-à-vis de Sa création. Le Coran relate qu’Allah a assigné des ‘noms’ (‘asmâ’) à toutes Ses créatures, et les a enseignés à Adam avant même son séjour au Paradis, et son expulsion de celui-ci. C’est la mise en matière du point suivant.  Je me baserai sur les récits coraniques concernant la création d’Adam, sa position particulière vis-à-vis des anges, la tentation par Iblis et la chute.

Des noms d’Allah, des ‘noms’ et de la création

2/30. Lorsque Ton Seigneur dit  aux Anges : "Je vais établir sur la terre un vicaire "Khalifa". Ils dirent : "Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ?" - Il dit : "En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas !".31. Et Il apprit à Adam tous les noms (de toutes choses), puis Il les présenta aux Anges et dit : "Informez-Moi des noms de ceux-là, si vous êtes véridiques !" (dans votre prétention que vous êtes plus méritants qu'Adam). 32. - Ils dirent : "Gloire à Toi ! Nous n'avons de savoir que ce que Tu nous as appris. Certes c'est Toi l'Omniscient, le Sage". 33. - Il dit : "Ô Adam, informe-les de ces noms;" Puis quand celui-ci les eut informés de ces noms, Dieu dit : "Ne vous ai-Je pas dit que Je connais les mystères des cieux et de la terre, et que Je sais ce que vous divulguez et ce que vous cachez ?"

L’on se rappelle l’histoire biblique : nous voici loin d’un ‘Adam déchu’ et du ‘péché originel’. Le but d’Allah est d’instaurer Adam comme Son lieutenant sur terre qui est l’endroit de la destination plutôt que celui de la chute. Comme ‘nous’ habitons cette ‘vieille terre’, comprenons l’antériorité du récit d’Adam en termes de notre situation actuelle, c’est-à-dire en termes de destin, et d’encadrement spatio-temporel. Nous ‘lisons’ également que pour les anges, en principe absolument obéissants, la création de l’homme pose problème : ils sont créés pour adorer Allah, et ne comprennent pas le sens de la création d’une créature qui apportera le désordre et répandra le sang… Comme si la louange des anges devait suffire ; quel peut être l’apport de l’être humain? Entre parenthèses : l’interrogation des anges ressemble, à s’y méprendre, à celle exprimée par exemple par Dostoïevski dans « Les frères Karamazov » où la méchanceté humaine, illustrée par des articles de journaux, conduit l’un des frères au refus de croire en Dieu.

Mais revenons aux anges et remarquons à ce stade qu’ils réagissent à partir du registre ‘nous’, qui est d’ailleurs celui sur lequel Allah s’adresse à eux. Tandis qu’Iblis marquera le ‘je’ dans son refus de se prosterner devant Adam. La perplexité existentielle des anges provoque une ‘ruse’ divine : Il enseigne les Noms de ‘toutes les choses’ à Adam, qui devient ainsi l’instructeur des anges… Mais quels sont ces ‘noms’. S’agirait-il de ‘noms propres’? Quoi qu’il en soit, ils sont également une clef du message d’Allah vis-à-vis des anges, puisque c’est Adam qui les leur enseigne. Si j’opte pour ‘nom propre’, c’est que ‘ces choses’ sont traitées comme des ‘êtres animés’ ayant une personnalité. C’est pourquoi l’utilisation du pronom personnel ‘ceux-là’ est proche du texte coranique : "Informez-Moi des noms de ceux-là, si vous êtes véridiques !" « Ceux-là » est la traduction du pronom personnel pluriel : ‘Ha’oulâ’ qui indique en langue arabe des êtres animés, des personnes. Pour le pluriel d’un ‘neutre’, l’arabe utiliserait ‘hâdziihi’. Si Allah avait  désigné les noms de ces choses, Il aurait donc utilisé « Asmâ’ hâdzihi » ; une traduction plus correcte de  « asmâ’hâ’oulâ’’ » pourrait être les « noms propres de tous ces êtres» (plutôt que simplement les « noms de ces êtres »). A moins qu’il ne faille comprendre ‘asmâ’’ dans le sens de secrets spirituels qui ne peuvent être dévoilés que par une structure langagière.

Allah a créé Adam entre autres pour qu’il enseigne ces Noms aux anges. Cet enseignement  devait se faire à partir de ce détour. Une des conséquences de ce dernier est la prosternation devant Adam. Allah instaure donc le ‘détour’ dans l’apprentissage. Mais en fait les ‘noms’ eux-mêmes ne sont-ils pas déjà un ‘voyage impossible’ pour les anges, puisque ce sont des êtres de lumière et de transparence. Par contre les ‘noms’ présentent un détour par rapport aux choses. Le rapport des anges avec celles-ci ne doit-il pas être direct, sans intermédiaire ? La question même des ‘noms’ ne devait-elle pas être relativement incompréhensible en tant que telle. L’homme par contre, créé d’argile et d’opacité devait découvrir les secrets de la distance, du détour et des noms… Et du langage… Tout le passage se présente comme une version quasi théâtralisée de ce dialogue entre Allah, les anges, Adam et Iblîs. Dans ce contexte, la question se pose quel est le langage utilisé par Dieu vis-à-vis des anges (2/30. Lorsque Ton Seigneur dit  aux Anges :") ; ou cette grille de communication est-elle liée à la création de l’être humain, la louange permanente des anges ne nécessitant pas un autre type de langage ? Ou existe-t-il d’autres types de détresse, de détours, d’obéissance et de désobéissance entre le Créateur et Ses créations (le Coran parle ainsi des jins) ? Dans le message de Dieu aux anges, l’homme apparaît  comme dans un nouveau film en tant que personnage central dans le décor de la terre, ‘en interactif’ puisque la communication avec les anges est désormais en marche.

A partir de mes propres concepts, nous déchiffrons l’histoire d’Adam sur l’écran de notre propre ‘antériorité’, c’est-à-dire qu’elle fait sens dans le contexte de notre propre parcours. Nos ‘promenades’ se situent dans un espace-temps d’après la chute alors que certains d’entre nous sommes mus par une nostalgie de retrouver l’Adam qui enseigne les noms aux anges. L’espace-temps de cet Adam devient ainsi paradigmatique, ainsi que l’endroit paradisiaque.

Il y a l’antériorité du paradis, et au-delà celle de création même de l’homme en tant qu’instrument d’enseignement aux anges. Devons-nous comprendre cet enseignement comme une dimension ‘évolutionniste’ du texte coranique ? Il s’agirait de ‘compléter’ l’acte créationnel ? Et l’homme moderne est-il toujours engagé dans le processus vis-à-vis des anges ? La double antériorité trouverait alors son sens également dans le moment actuel et son enracinement spatio-temporel,et ce en écho avec les conceptions islamiques et soufies du destin (avec les concepts de « qadar », « destin » et de « qadâ »,« réalisation de ce destin »). Ou devons-nous nous méfier d’une interprétation trop linéaire du déroulement temporel, et vaut-il mieux comprendre ce message en termes paradigmatiques.

Remarquons au passage que certains ont relevé d’autres exemples pour soutenir une vision évolutionniste dans le Coran.
Par exemple le verset 84/19 :
[84/16] Non ! J’en jure par le crépuscule,
[17] par la nuit et tout ce qu’elle enveloppe,
[18] et par la lune quand elle atteint sa plénitude,
[19] que vous êtes appelés à passer par des stades successifs !
[20] Mais qu’ont-ils donc à refuser de croire
[21] et à ne pas se prosterner quand le Coran leur est récité?


Le mot ‘atouaran’ a été traduit par ‘stades successifs’. Il est de la même racine que ‘at-tatauour’, ‘l’évolution’… D’autres savants y voient des « épreuves successives », voire les différentes phases de l’embryon. La âya suivante (71/17) va elle aussi dans le sens de cette interprétation évolutionniste.
[71/13] Qu’avez-vous à ne pas espérer en la magnanimité du Seigneur,
[14] alors qu’Il vous a créés par phases successives?
[15] N’avez-vous pas constaté comment Il a créé sept Cieux superposés?
[16] Comment Il y a placé la Lune comme une clarté et le Soleil comme un luminaire?
[17] Ne vous a-t-Il pas fait croître de la terre comme des plantes,
[18] pour vous y faire retourner ensuite et vous en faire de nouveau surgir?


Conclusion

Pour enchaîner avec l’atelier du VSMB : la responsabilité de l’homme n’est-elle pas liée à ce processus créationnel par lequel Allah l’invite continuellement à participer, pour en récolter les fruits dans l’ici-bas et l’au-delà. Beaucoup de matière à explorer, peut-être en relation avec les ‘rencontres mondiales du soufisme’ à Madagh."



Source : https://www.lebulletin.top/veille/Les-noms-des-sou...

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