Le Maroc n’a pas encore atteint le stade de maturité de la budgétisation sensible au genre

Lundi 15 Octobre 2018

L’effectivité de la budgétisation sensible au genre (BSG) dans le processus budgétaire n’est pas encore atteinte. Analyse de Dr. Hassane El Arafi, Professeur de finances publiques à l’Université Mohammed V Rabat, sur l’enjeu de la BSG et sur les points d’entrée qui conditionnent son succès.  EcoActu.ma : Quelles sont les particularités du projet de LF 2019 ? Hassane...

L’effectivité de la budgétisation sensible au genre (BSG) dans le processus budgétaire n’est pas encore atteinte.

Analyse de Dr. Hassane El Arafi, Professeur de finances publiques à l’Université Mohammed V Rabat, sur l’enjeu de la BSG et sur les points d’entrée qui conditionnent son succès.

 EcoActu.ma : Quelles sont les particularités du projet de LF 2019 ?
Hassane El Arafi : En termes de politiques publiques le PLF (d’après le Conseil des ministres du 10 octobre 2018) s’inscrit dans le prolongement des autres LF antérieures  avec certains aménagements non influentes sur le plan macro. A mon sens, il n’empreinte pas un infléchissement remarquable : la relance économique, le développement régional, l’emploi, le package social sont des leitmotivs et refrains habituels à tous les gouvernements. D’ailleurs, les contraintes structurelles qui pèsent constamment sur le budget de l’Etat (poids des dépenses non discrétionnaires et des dépenses de transfert, pesanteur de la dette, la limite du potentiel fiscal, etc.) ne permettent guère des marges de manœuvre importantes.
Or, en termes d’approche budgétaire l’année 2019 est l’année de la généralisation de la « gestion budgétaire axée sur les résultats et tenant compte » qui constitue l’Alpha et l’Omega de toute la réforme budgétaire instituée par la LOLF n°130-13. Seulement, si la gestion budgétaire axée sur les résultats a fait l’objet de débat et de sensibilisation de part et d’autres, ce n’est pas le cas malheureusement pour la budgétisation sensible au genre (BSG). Elle reste encore insuffisamment débattue au niveau du grand public !
A quoi sert, au juste, cette budgétisation sensible au genre (BSG)  ?
De prime abord, laissez-moi éclaircir, même d’une manière nécessairement synthétique le concept de BSG pour dissiper toute confusion éventuelle. La BSG n’est pas un budget intrinsèquement réservé aux femmes ou une ségrégation budgétaire, avec des dotations affectées aux femmes et aux hommes dans le budget ou une modalité de budgétisation qui suppose des arbitrages  pour réguler la rivalité entre les femmes et les hommes. Loin de là,  la BSG  est une approche qui vise à relier les politiques publiques, les programmes et les budgets d’une part et les exigences de l’égalité et la parité entre les deux sexes aussi bien dans l’affectation des ressources que dans les chances d’y accéder. Elle consiste à faire correspondre la mobilisation des moyens budgétaires aux résultats (des outputs, des effets ou des impacts).
Par ailleurs, la BSG reste une approche exigeante en termes méthodologiques puisqu’elle requiert une analyse de la situation des femmes et des hommes, sans présumer, au premier abord, qu’une telle situation doit être symétrique et que toutes les femmes et tous les hommes sont identiques.
Où on en sommes-nous aujourd’hui en termes de BSG ?
Au niveau juridico-institutionnel l’adhésion à la BSG est déjà gagnée je présume : la Constitution  (art.19), l’adoption le protocole facultatif à la CEDAW en 2015, les engagement du Maroc pour la réalisation des Objectifs de Développement Durables (ODD), la LOLF n°130-13 (art.5 et 38), etc.. Mais en réalité son effectivité dans le processus budgétaire n’est pas encore atteinte. Il faut reconnaître que malgré les avancées enregistrées (premier pays à avoir adopté dans l’ élaboration des LF l’approche genre, création d’un centre d’excellence de la BSG au niveau du ministère des Finances, etc.) on a pas encore atteint le stade de maturité de la BSG. Autrement dit, il est temps de dépasser le stade de déclaration des principes pour aller à l’opérationnalisation de la démarche.
Et quels en sont les remparts à votre avis ?
Au lieu de parler des remparts, je préfère plutôt parler de « points d’entrées» du fait que la BSG est un monument perfectible, qu’il se construit progressivement, mais sûrement.
Bref, à mon avis, on peut déjà s’arrêter sur sept points d’entrée, intimement liés, qui conditionnent le succès de la BSG : 1) parfaire la budgétisation axée sur les résultats parce que sans laquelle la BSG reste une lettre morte ; 2) renforcer les capacités des gestionnaires publics en matière de BSG et notamment les responsables de programmes budgétaires prévus par la LOLF n°130-13 ;  3) revisiter la texture du rapport actuel sur le genre en mentionnant des indicateurs intelligents sur le genre au lieu de s’en tenir à de simples commentaires rétrospectives ; 4) intégrer l’approche genre dans le projet de annuel de performance (PDP) annexé au projet de la LF de l’année ; 5) faire de la BSG un axe central et omniprésent dans les débats politiques (parlement), médiatique et populaires (société  civile) sur les politiques publiques et les programmes et les budgets. ; 6) lutter contre les plafonds de verre et les stéréotypies des mentalités masculanistes qui caractérisent certains décideurs publics ; 7) faire de la BGS un élément de la reddition de compte, notamment à travers le rapport annuel de Performance (PAP) annexé au projet de Loi de Règlement.
Au demeurent, la BSG ne doit pas se réduire à une technique budgétaire il s’agit, dans ma conviction, d’une stratégie, d’une approche, voire une culture de management budgétaire de demain.
PLF 2019 : Le Maroc n’a pas encore atteint le stade de maturité de la budgétisation sensible au genre was last modified: octobre 14th, 2018 by lamiae Boumehrou
 
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EcoActu.ma - lamiae Boumehrou