Le Bras de fer Pologne-UE se durcit, la menace de sanctions inédites se fait de plus en plus craindre

Mardi 19 Décembre 2017

Varsovie - La Pologne s'est retrouvée cette année sous le feu des critiques de l'Union européenne qui a haussé le ton dans une tentative d'infléchir les mesures entreprises par le pays autour de plusieurs dossiers litigieux en particulier la réforme de la justice, les quotas d'accueil des migrants et le différend environnemental lié à l'une des dernières forêts protégées d'Europe.


Durant cette année, ce sont surtout les réformes du système judiciaire, menées par le gouvernement conservateur au pouvoir, qui ont suscité les vives critiques et préoccupations des institutions européennes.

Depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2015, le gouvernement conservateur du parti Droit et justice (PiS) a engagé une série de réformes judiciaires portant sur la refonte du Tribunal constitutionnel, des tribunaux de droit commun et du Conseil national de la magistrature, qui se trouvent dans le viseur de la Commission européenne.

Alors que les milieux judiciaires polonais estiment que ces réformes constituent une tentative de soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, les conservateurs soutiennent qu'elles visent à mettre fin à l'impunité et la corruption des juges et à améliorer l’efficacité du système judiciaire.

Le Parlement européen (PE) a fait monter la pression sur Varsovie en adoptant, le 15 novembre dernier à une large majorité, une nouvelle résolution sur "la situation de l'État de droit et de la démocratie en Pologne", dans laquelle il s'est dit profondément préoccupé par ces réformes.

Le PE s'est, ainsi, dit craindre que les réformes de la justice entreprises par le gouvernement conservateur ne portent atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire de manière structurelle et n'affaiblissent l'État de droit.

La Commission, qui a ouvert cette année une procédure d'infraction contre Varsovie pour violation des principes communautaires, devra se prononcer prochainement sur ces textes sur la base du dernier rapport de la Commission de Venise.

De nombreux analystes s'interrogent si le Rubicon sera franchi à travers la possible décision de la Commission d'activer le processus de sanction prévu par l'article 7 du traité de l'UE si la Pologne ne se soumet pas à son injonction. Même si elle n’a encore jamais été utilisée dans l’UE, cette procédure complexe, considérée comme la plus lourde procédure de sanctions possibles au sein de l’UE, peut aboutir à terme à une suspension des droits de vote d'un pays au sein du Conseil de l'Union.

Or, la Hongrie a déjà fait savoir qu'elle refuserait toute sanction contre la Pologne et qu'elle opposerait le moment venu son veto. Et pour cause, elle aussi est visée par une procédure pouvant aboutir à des sanctions.

Quelques jours seulement après avoir été épinglée par le Parlement européen, la Pologne a été rappelée à l'ordre par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui l'a menacé de sanctions financières si elle ne cesse pas immédiatement les abattages d'arbres dans la Forêt de Bialowieza, la dernière forêt primaire d’Europe, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

La CJUE a sommé la Pologne, à travers une ordonnance émise le 20 novembre, de cesser immédiatement l'abattage d'arbres dans la forêt de Bialowieza, affirmant qu'en cas de constat de violation de cette injonction, la Cour ordonnera à la Pologne de payer à la Commission une astreinte d'au moins 100.000 euros par jour, sauf cas exceptionnel et strictement nécessaire pour assurer la sécurité publique.

La forêt de Bialowieza, un sanctuaire de la biodiversité au nord-est du pays qui s’étend sur près de 140.000 hectares, inclut notamment un parc national, abrite une faune variée dont la plus grande population de bisons d'Europe, plus de 60 autres espèces de mammifères et des centaines d'espèces végétales.

Bialowieza, l’une des forêts naturelles les mieux conservées d’Europe, est au cœur d’un bras de fer entre le gouvernement polonais et la Commission européenne, qui s’oppose aux coupes qu’elle juge illégales.

L’exécutif européen reproche à la Pologne d'y mener une exploitation forestière à grande échelle, affirmant que ces coupes vont à l’encontre des règles européennes de protection de l'environnement, alors que Varsovie soutient qu'il s'agit de mesures "de protection" pour enrayer une invasion d’insectes xylophages touchant l’épicéa.

La procédure sur l’État de droit ou encore la menace d’une lourde astreinte financière en cas de violation des recommandations de la CJUE dans l’affaire de Biolowieza, ne sont pas les seules mesures à viser la Pologne.

Outre ces deux points de discorde, le pays fait également l'objet d'un recours pour son refus d'appliquer les quotas d'accueil de demandeurs d'asile depuis l'Italie et la Grèce.

Face à l’afflux de demandeurs d’asile dans ces deux pays au plus haut de la crise migratoire de 2015, l'UE avait décidé, à l’automne 2015, de répartir sur deux ans 160.000 personnes vers le reste de l'Union, en partie en fonction de quotas contraignants fixés pour chaque pays. Mais la Pologne rechigne à participer au programme européen.

La Pologne s'est engagée à accueillir 7000 réfugiés. Or, quelques mois après l'arrivée au pouvoir du parti Droit et justice de Jaroslaw Kaczynski, Varsovie a revu sa position, refusant d'installer les migrants sur son territoire.

Le ministre polonais de l’Intérieur Mariusz Blaszczak avait affirmé, en octobre dernier, que son pays n’a pas l’intention d’accueillir des migrants dans le cadre de ce programme européen car il a déjà accueilli beaucoup d’Ukrainiens, soulignant que le programme en question devrait fonctionner à titre bénévole.

Le ministre avait fait valoir que la Pologne compte à l'heure actuelle plus d'un million d'Ukrainiens qui «à la différence des musulmans, se sont très bien adaptés».

Depuis que des conflits opposent le gouvernement conservateur à la Commission, et alors que le scénario de déclenchement de l’article 7 risque de ne pas aboutir puisqu'il exige l'unanimité des États membres, nombreux sont les pays de l’UE à suggérer de conditionner l’accès aux fonds européens au respect de l'État de droit.

Les négociations sur les fonds de cohésion devraient débuter officiellement au printemps prochain, une fois que la Commission européenne aurait présenté ses propositions relatives au nouveau budget pluriannuel de l’Union.

Une telle mesure risque de toucher durement la Pologne puisque le pays est parmi les plus grands récipiendaires de fonds européens, avec une enveloppe totale de plus de 82,5 milliards d’euros pour la période 2014-2020.


MAP - Nadia El Rhzaoui