La voie tracée pour une indépendance effective du pouvoir judiciaire

Dimanche 3 Mars 2013

L’avis consultatif du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) rendu au sujet du Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire tombe à point nommé. En effet, le Maroc vit, depuis quelques années, au rythme d’une réforme globale et profonde de la justice, impulsée par le Roi du Maroc à l’occasion de son discours, en date du 20 août 2009, et rendue nécessaire par la mutation profonde que vit la société marocaine. Six lignes directrices ont été alors tracées par le roi à l’occasion de ce discours fondateur :

• La consolidation des garanties de l’indépendance de la justice.
• La modernisation de son cadre normatif.
• La mise à niveau de ses structures et de ses ressources humaines.
• L’amélioration de l’efficience judiciaire.
• L’ancrage des règles de moralisation de la justice pour la prémunir contre les tentations de corruption et d’abus de pouvoir.
• La mise en œuvre optimale de la réforme.

Dans le même esprit, la nouvelle Constitution marocaine de juillet 2011 a accordé à l’indépendance du pouvoir judiciaire un intérêt crucial. Il s’agit en l’occurrence de l’une des garanties d’un procès équitable qui, aux termes de l’article 23 de ladite Constitution, constitue l’un des piliers d’une justice intègre et impartiale. Dans un même ordre d’idée, un dialogue national sur la réforme de la justice a été initié au début de l’année 2012. Il doit déboucher sur la mise en place d’un pouvoir judiciaire davantage autonome.

L’avis du CNDH rendu à propos de la loi organique relative au Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire intervient donc dans un contexte d’accélération des réformes. Précisément, la Constitution de juillet 2011 prévoit l’adoption de plusieurs lois organiques, dont celles en rapport avec le Conseil précité. La réforme préconisée s’inscrit dans une vision globale liée à une séparation effective des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. Il faut en effet rappeler que la justice, qui était assimilée à une « autorité » dans le cadre de la Constitution antérieure de 1996, a été promue au rang de « pouvoir » à part entière dans la Constitution actuellement en vigueur, plus précisément dans le titre VII, articles 107 et 112 de ladite Constitution. L’article 107 en est la référence axiale. Il prévoit que le pouvoir judiciaire soit indépendant du pouvoir exécutif et que le roi soit le garant de cette autonomie. D’ailleurs, c’est le roi qui a été investi par la Constitution pour la présidence du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Les décisions individuelles dudit Conseil ne sont pas pour autant inattaquables puisque l’article 114 de la Constitution prévoit la possibilité d’un recours pour excès de pouvoir devant la plus haute juridiction administrative du royaume.

Chaque fois que le juge estime que son indépendance est menacée, il pourra saisir, conformément aux dispositions de l’article 109, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Cette instance remplit donc un rôle majeur car c’est elle qui est chargée de l’application des mesures de garantie accordées aux magistrats et des mesures disciplinaires y afférentes.

Les propositions formulées dans le cadre de l’avis rendu par le CNDH ont été conçues à partir d’un référentiel normatif et déclaratif dont, entre autres, les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985. Les dispositions pertinentes de la Constitution marocaine et les recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation ont également nourri les propositions contenues dans le mémorandum établi par le CNDH au sujet de la future loi organique du Conseil supérieur de la justice. Parmi les recommandations émises par les rédacteurs du mémorandum figure, en outre, la création d’un Institut des métiers de la justice. Celui-ci est appelé à renforcer les compétences humaines nécessaires à un fonctionnement optimal de la justice.

Par ailleurs, l’indépendance du Pouvoir judiciaire acquiert son sens car ce dernier étant articulé à un projet de loi organique autre que celui organisant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, dont s’est également saisi le CNDH. Il s’agit de la loi organique relative à la création d’une Cour constitutionnelle. Le passage est en effet de taille d’un Conseil constitutionnel à une véritable juridiction constitutionnelle qui, désormais, sera chargée, en plus du classique contrôle de constitutionnalité des lois qui lui seront présentées, d’instruire des requêtes présentées par les justiciables. Il s’agit de l’exception d’inconstitutionnalité, qui pourra être soulevée par ces derniers. Et il s’agit là d’une autre voie permettant de renforcer l’ancrage citoyen de l’Etat de droit au Maroc.

Zakaria ABOUDDAHAB
Professeur à la faculté de droit de Rabat-Agdal

Zakaria ABOUDDAHAB