La place de la femme dans le Coran et la tradition soufie post-révélation

Mardi 12 Juillet 2016

La place de la femme dans le Coran et la tradition soufie post-révélation
Mystère et initiation soufie : la place de la femme dans le message coranique et la tradition soufie post-révélation

بِسْمِ اللَّهِ الرَّحْمَنِ الرَّحِيمِ و الْحَمْدُ لِلَّهِ رَبِّ الْعَالَمِينَ. اللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ الَّذِي مَلأْتَ قَلْبَهُ مِنْ جَلاَلِكَ وَعَيْنَهُ مِنْ جَمَالِكَ فَأَصْبَحَ فَرِحاً مُؤَبَّداً مَنْصُوراً وَعَلَى آلِهِ وَصَحْبِهِ وَسَلِّمْ تَسْلِيماً، وَالْحَمْدُ لله عَلَى ذِلِكَ.
Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux.
Que la paix et la bénédiction soit sur son messager qui est Sa lumière grâce à laquelle Il a guidé Ses élus vers les chemins du bonheur et a éclairé leurs cœurs pour qu’ils contemplent les signes de Sa beauté et de Sa majesté.

Le soufisme constitue le cœur de la tradition islamique inaugurée par le Prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui). Son objectif est l’accomplissement de l’homme sur Terre, dans le cadre de la religion de l’Islam et sa réunion avec la Source de la Création. L’Islam en tant que spiritualité comprend trois niveaux, ou étapes importants : الإسلام (la soumission et l’allégeance à Dieu), الإيمان (la foi, croire en Dieu, en Ses anges, en Ses livres, en Ses messagers et en la réalité du jour dernier et en la réalité de la destinée, qu'elle soit relative au bien ou au mal), et الإحسان (l’excellence dans la foi et le comportement).

La femme dans la société arabe préislamique était l’objet d’un mépris général et une victime constante de l’oppression : ses droits étaient piétinés et ses biens ravis. Elle était considérée comme un simple objet et n’héritait pas, car l’héritage était réservé à ceux qui pouvaient se maintenir en selle, combattre et rapporter le butin. Pire encore, on héritait d’elle après le décès de son mari comme on héritait des autres biens.

Le livre saint, le Coran ainsi que les paroles du Prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui) véhiculent le principe d’égalité du féminin et masculin dans le culte c’est-à-dire les actes d’adoration et dans la vie quotidienne. Le coran dit à l’homme : « les femmes sont un habit pour vous et vous êtes un habit pour elles » (sourate Al-Baqarah-la vache, verset 187) ce qui signifie que chacun est l’alter ego de l’autre. Dans la tradition soufie, la reconnaissance de cette vérité a encouragé la maturation spirituelle des femmes. Elles ont joué, dès le départ, un rôle important dans le développement du soufisme suivant les enseignements du Prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui).

Le soufisme renferme des caractères féminins très prononcés. Le langage métaphorique utilisé par cette science, surtout celui des soufis arabes, est formé à partir du modèle classique de l’amour pour une femme inaccessible (Layla). De même, la figure la plus célèbre des débuts de l’histoire du soufisme est une femme, Rabi’a al ‘Adawiyya. Selon la tradition, elle introduisit dans le soufisme extrêmement ascétique du 8ème siècle la notion de l’amour absolu envers Dieu, et occupe une place importante dans l’histoire de l’amour mystique du monde musulman.
L’équation femme-âme joue un rôle important dans la littérature mystique. Le mot nafs-âme ou soi est du genre féminin, on le rencontre avec trois sens spécifiques dans le coran :

« l’âme qui incite au mal sourate Youssef-Joseph, v 53 »
[Je ne m'innocente cependant pas, car l'âme est très incitatrice au mal, à moins que mon Seigneur, par miséricorde, ne la préserve du péché]
[وَمَا أُبَرِّئُ نَفْسِي ۚ إِنَّ النَّفْسَ لَأَمَّارَةٌ بِالسُّوءِ إِلَّا مَا رَحِمَ رَبِّي],

« l’âme grande réprimandeuse sourate Al Qiyamah-la résurrection, v2 »
[Mais non ! Je jure par l'âme qui ne cesse de se blâmer]
[وَلَا أُقْسِمُ بِالنَّفْسِ اللَّوَّامَةِ]

et « l’âme apaisée sourate L’aube-Al Fajr, v27-28 »
[Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée]
[ يَا أَيَّتُهَا النَّفْسُ الْمُطْمَئِنَّة ارْجِعِي إِلَىٰ رَبِّكِ رَاضِيَةً مَّرْضِيَّةً ].

Cette existence à trois niveaux constitue le fondement de ce qui permet d’attribuer à la femme des possibilités d’évolution spirituelle.

Le thème de la mère joue aussi un rôle central dans l’islam. Les mots Rahma-miséricorde et Rahem-sein maternel (ou la matrice, dans le sens de l’utérus) proviennent de la même racine, on pourrait parler ici de « l’amour maternel du Créateur » dans le sens le plus large. Le prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui) disait aussi « le paradis se trouve sous les pieds des mères ».

Ibn Arabi, (mystique théosophe d’Andalousie du 13ème siècle et un des théoriciens de l’ésotérisme musulman, considéré comme le pivot de la pensée métaphysique de l’islam, mort en 1240 JC), écrivit dans son livre « Al Futuhat Al Makiyya - Les révélations de La Mecque » que les femmes pouvaient atteindre le plus haut degré mystique et attira l’attention que le mot Nafs-âme presque toujours chargé de connotation négative était du genre féminin, mais aussi le mot Dhat-essence-être l’est également. Pour lui, Dieu renferme l’élément créateur masculin aussi bien que l’élément réceptif féminin.
Un autre mystique célèbre, Abu Yazid Bistami soufi persan du 9ème s, mort en 874 JC disait «les saints sont les fiancées de Dieu».

Les biographies des soufis énumèrent des centaines d’«Hommes de Dieu». Notamment les œuvres hagiographiques de Abu ‘Abd al-Rahman al-Sulami écrivain et biographe soufi du 9ème, mort en 1021 JC écrites après l’an 1000 et qui servirent plus tard de modèle aux auteurs persans. On cite également «Tadhkirat al Awliya» de Farid Uddîn ‘Attar poète mystique persan écrit vers la fin du 12ème siècle JC. Et l’ouvrage « Nafahat al uns » écrit par Djami poète mystique du 15ème siècle JC qui est une version élargie du premier recueil persan sur la vie des saints consigné par ‘Abdallah Al Ansari mystique hanbalite du 11ème siècle JC. Tous ces textes ne contiennent que très peu de noms de femmes connues comme mystiques. Et rendent compliqué pour les générations suivantes le fait d’imaginer une égalité spirituelle homme-femme. De plus l’utilisation du terme «Homme de Dieu» rend difficile la compréhension du rôle de la femme dans la théorie et la pratique mystique. Mais il faut savoir que le mot Homme peut s’appliquer à toute personne aspirant passionnément à Dieu sans que le sexe y joue un rôle. Le poète mystique du Sindh (province du Pakistan actuel) Shah ‘Abdul Latif Bhittai décrit au 18ème siècle JC une des héroïnes de ses poèmes qui se met courageusement en route pour rejoindre son bien-aimé, et la qualifie de «virile», référence aux qualités de chevalerie spirituelle ou futuwah.

De nos jours, on a tendance à qualifier l’islam de religion anti féminine. C’est une erreur puisque le prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui) a dit dans une célèbre phrase «de votre monde, Dieu m’a fait aimer les femmes et les parfums agréables et la prière est la consolation de mes yeux » [حُبِّبَ إِلَيَّ مِنَ الدُّنْيَا ثَلاثٌ : الطِّيبُ ، وَالنِّسَاءُ ، وَجُعِلَتْ قُرَّةُ عَيْنِي فِي الصَّلاةِ ]
La notion de parfum est importante puisque ce mot englobe et le concept de féminité et celui de la sainteté. C’est le seul nom du genre masculin ici et il est placé entre les deux noms féminins femmes et prière. Bien sûr cela incita beaucoup de soufis à méditer sur cette énigme. Tenant compte de cette citation, il est impossible de considérer l’islam comme une religion misogyne. Pourtant, l’évolution a fait que sous l’effet de différents courants légalistes et ascétiques, la femme soit placée dans une position très éloignée de celle occupée du temps du prophète et de ses successeurs.

Dans l’entourage du prophète Mohammad (Paix et bénédictions sur Lui), on note plusieurs exemples de ce traitement égalitaire : Dame Khadija, riche marchande veuve, mère de plusieurs enfants qui offrit sa main au prophète (alors son employé et son cadet de plusieurs années) et lui donna des enfants. Elle fut sa 1ère épouse pendant 25 ans en monogamie, lui procura soutien et consolation au milieu du désarroi psychique dans lequel le plonge la révélation de son Message et de son statut de Messager. Elle porte le titre de mère des croyants (Oum al Mouminines) et meilleure des femmes (Khaïru Nnisa). Cet exemple fut d’ailleurs utilisé par plusieurs modernistes notamment en Inde au 19 et 20ème siècle JC comme argument important en faveur du remariage des veuves, ce que les musulmans indiens avaient oublié sous l’influence des coutumes hindouistes qui préconisaient l’isolement de ces veuves sinon leur mise au bûcher avec leurs maris morts.

Le prophète eut quatre filles avec Dame Khadija, avoir des filles n’était plus considérées à cette époque comme une tare grâce au message du Coran, alors que dans l’Arabie préislamique quelques années plus tôt, les filles étaient enterrées vivantes. Une de ses filles, Dame Fatima fut investie d’un rôle important dans la tradition musulmane. Elle eut plusieurs titres Zahra-éblouissante, Batul-vierge, Ma’suma-celle qui est à l’abri des péchés, (et aussi la meilleure des femmes-Khaïru Nnisa titre qu’elle partage avec sa mère), tant chez les sunnites que chez les chi’ites où elle est vénérée autant que le prophète et son cousin ‘Ali.

Une des épouses du Prophète Dame Aïcha, est l’une des figures les plus importantes dans les sciences des hadiths (paroles et actes du prophète), non seulement en terme de transmission d’un grand nombre de hadiths, consignés dans le recueil Sahih Al-Boukhari, mais également l’une des interprètes les plus consultées. Elle était connue pour son érudition en matière de Coran, de sciences de la religion, de poésie et d’histoire. ‘Urwa Ibn Az-Zoubeir rapporte: «Jamais je n’ai vu personne de plus instruit en matière de fiqh-jurisprudence, de médecine ou de poésie que Aïcha».

Les descendantes du prophète furent célèbres aussi par leur piété et leurs sciences. Nafissa Bint el Hassan : née à la Mecque (en 762 JC), arrière-petite-fille du prophète Mohammad. Sa mère est Zayneb bint al Hassan. Elle a grandi à Médine où durant toute sa jeunesse elle a étudié dans la cour des grands Ulémas-savants de l’époque et dans l’enceinte même de la mosquée du prophète. Elle a étudié les sciences du hadith et le Fiqh-jurisprudence, elle a dans ce sens était surnommée « la précieuse de la science et de la gnose» Nafissatou al ‘Ilm. Elle a dû s’exiler en Egypte sous les pressions politiques de l’époque et elle a été reçue dans ce pays par un accueil triomphal, preuve que sa réputation l’avait précédé dans cette région. Elle a d’ailleurs été dépassée par le nombre impressionnant de personnes qui assistait tous les jours à ces cours, ce qui pour un moment motiva son désir de retour à Médine et c’est finalement l’intervention du wali-maire de la ville qui, en lui réservant deux jours par semaine pour le public, a fini par la convaincre de rester au Caire. Dame Nafissa est aussi connue pour sa grande relation fraternelle et académique avec l’imam Ashafi’i, fondateur d’une des quatre grandes écoles juridiques islamiques. En effet, entre ces deux savants il y a eu une grande solidarité et une estime intellectuelle réciproque. L’Imam Ashafi’i rendait souvent visite à Dame Nafissa et durant le mois de Ramadan, dirigeait les prières des Tarawih (de ramadan) dans sa mosquée. Ashafi’i a été sans conteste l’un des savants qui a le plus côtoyé et connu Nafissa et qui a beaucoup appris d’elle et de son savoir religieux, alors que lui-même était un grand érudit connu de son époque. Il assistait d’ailleurs souvent à ses cours, où ensemble ils débattaient des questions diverses sur des questions juridiques (Fiqh) et les fondements juridiques (Oussoul al Fiqh) et leur solide fraternité a atteint un tel degré que lorsqu’il était malade, il lui demandait de prier pour lui. Il est remarquable que, à la mort d’Ashafi’i en 819 JC, c’est Dame Nafissa en personne qui dirigea la prière mortuaire.
Il est à noter que l’Imam ibn Hanbal autre fondateur d’une des quatre grandes écoles juridiques islamiques a aussi étudié chez Dame Nafissa. Elle écrivait de la poésie mystique, et elle-même a fait l’objet de nombreux poèmes d’éloge de la part de savants et de soufis réputés (notamment al-Busîrî, auteur de la fameuse Burda, panégyrique du Prophète).

Récemment, Dr. Mohammed Akram Nadwi, savant du hadith et chercheur au centre des études islamiques d'Oxford a répertorié les biographies des femmes savantes dans le domaine du hadith, dans l'enseignement du Coran, dans le Fiqh, en remontant aux débuts de l'islam. Au tout début de son initiative, il pensait en trouver seulement une vingtaine, mais à sa grande surprise, il en a répertorié huit mille, classées dans pas moins de quarante volumes et qu’il a intitulé : « al-Muhadditates : les femmes savantes en islam », encyclopédie de 40 volumes produite par l’université d’Oxford (Al- Muhaddithat : the women scholars in islam, 2007). Dans cette vaste étude, il parle des femmes qui transmettaient le savoir religieux, qui émettaient des avis juridiques ou fatwas, qui enseignaient la critique du hadith. Ces femmes dont on nous parlait de temps en temps, comme des faits historiques exceptionnels, selon son étude, n’étaient justement pas l'exception mais La norme. Si l’on prend pour seul exemple l’élaboration des sciences islamiques, on sait pertinemment qu’il y a eu des milliers de femmes qui lors des premiers siècles ont été à l’origine, entre autres, de l’édification des sciences islamiques et particulièrement celles des sciences du Hadith considérées depuis toujours comme étant l’une des spécialités les plus élaborées des sciences islamiques.

Déjà les anciennes compilations d’histoire comme celles très connues du savant Al Hafid Ibn Hajjar al ‘Asqalani (15ème siècle JC) rapportaient la participation de plus de 500 femmes et notamment lors de la période de la Révélation où les femmes surnommées « sahabyates mubayi’ates- compagnonnes ayant prêté allégeance au prophète » ont participé à l’instauration politique de la cité de Médine. Ibn Hajjar a été d’ailleurs l’un des rares savants à avoir constitué une compilation comprenant la biographie de pas moins de 170 femmes savantes célèbres au 8ème siècle. La majorité d’entre elles étaient des spécialistes dans le hadith et parmi elle nombreuses ont été ses propres enseignantes. Il a mis en relief l’importance d’un grand nombre de ces femmes devenues des références incontournables dans les sciences du Hadith à leur époque à l’instar de Juwairya Bint Ahmed et Aisha bint Abdelhadi dont les causeries attiraient de nombreux étudiants qui venaient de très loin afin d’apprendre les sciences du hadith.

On retrouvera des listes de femmes dans d’autres anciens ouvrages historiques comme ceux du savant Imam Anawawy « Tahdib al asmaa wa al lughat » au 13ème siècle JC, Al Khatib el Baghdadi « tarik Baghdad » au 11ème sicèle JC, ainsi que de nombreux autres auteurs qui vont citer les femmes dans leurs compilations. L’étude historique des compilations de hadiths montre aussi que les plus importants compilateurs de hadith des premières générations recevaient leurs titres de distinction ou certificats (ijazas) en la matière de la part de femmes traditionnistes. D’ailleurs, chaque majeure compilation d’un auteur donné était sous l’autorité académique directe de plusieurs femmes (shuyukhs-maîtres). De nombreuses femmes savantes traditionnistes donnaient des cours et enseignaient à un très large public d’étudiants qui recevaient directement de ces femmes leurs certificats-ijazas. Le très célèbre historien de Damas Ibn ‘Assakir (12ème siècle JC) a étudié chez plus de 1200 hommes et 80 femmes. Il a obtenu son certificat-ijaza sur le Mouata de l’imam Malik (un autre fondateur d’une des 4 écoles juridiques) d’une enseignante savante femme Zaynab bint Abderrahmane. Le très connu exégète Jalal Eddine al Sayouti (15ème siècle JC) a étudié la Rissala de l’Imam Ashafi’i avec une femme Hajjar bint Muhammed.

Les compilations de Hadith par exemple rapportent le plus souvent des noms d’hommes alors que les anciens textes sont là pour démontrer que les sciences du hadith ont été le fruit de la collaboration intense et fructueuse d’un travail commun entre les savants et savantes musulmans. On remarque aussi que dans les chaînes de transmission des hadiths on fait toujours référence aux « hommes du hadith » rijal ahl al hadith alors que dans la chaîne de transmission Isnad (la chaîne des garants d'une information) on retrouve le nom de nombreuses femmes, non pas uniquement comme simples personnes-relais mais en tant qu’autorités incontournables pour l’authentification du recueil des hadiths. Le grand chercheur orientaliste Goldziger (19ème siècle), a estimé que 15% des savants de hadiths de l’époque médiévale étaient des femmes.

Après le 16ème siècle, le nombre de femmes savantes a drastiquement diminué, elles ont été peu à peu marginalisées car, entre autres, la fonction des Ulémas était devenue de plus en plus officielle. Ce déclin de l’apport des femmes reflète le déclin de la civilisation islamique en général. Si la position de la femme s’était détériorée dans de nombreux domaines depuis l’époque du prophète, elle continua néanmoins à jouer un rôle primordial dans la spiritualité musulmane (soufisme), 100 ans après la mort du prophète. Ce mouvement fut au début amené à opposer une résistance à la sécularisation grandissante des musulmans et à leur rappeler leurs obligations spirituelles, sachant que l’empire islamique s’étendait de plus en plus (en 711, les armées musulmanes à l’ouest avaient franchi le détroit de Gibraltar-Jabal Tariq du nom de son conquérant Tariq ibn Ziad, et à l’est le Sindh et l’Indus, une partie du Pakistan actuel et continuaient vers l’asie centrale). Les soufis ascètes avançaient eux dans la conquête de « l’empire de l’âme et du cœur ».

Une des femmes les plus importantes dans cette « guerre » fut Rabi’a de Basra ou Rabi’a Al ‘Adawyyia (8ème siècle). On lui attribue la transformation d’un ascétisme sinistre en véritable mysticisme d’amour. Elle courait dans les rues de Basra avec un seau plein d’eau et une torche et expliquait à ceux qui lui posaient des questions : « je veux verser de l’eau dans l’enfer et mettre le feu au paradis afin que disparaissent ces deux tentations et que les hommes cessent de prier Dieu par peur de l’enfer ou par espoir d’entrer au paradis, mais uniquement pour sa beauté éternelle ». De nombreuses biographies lui furent consacrées car « elle était dans sa perfection humaine nettement supérieure à beaucoup d’hommes, c’est pourquoi le nom de ‘’couronnement des hommes’’ lui fut donné » ainsi que le dit Mohammad Dhihni Arroumi (19ème siècle JC) dans son ouvrage sur les femmes célèbres « Machahir Annisa ». Le poète mystique Farid Uddîn ‘Attar évoque la lumière de Dieu, il écrit : « si durant quelque temps, elle éclairait une vieille femme, elle la changerait en merveilleuse comme Rabi’a.». D’autres femmes suivirent dans cette voie. Parmi elles, la compagne de Rabi’a Mariam al Basriyya qui mourut en extase, Bahriya al Maoussiliya qui pleurait de piété jusqu’à en devenir aveugle.

Il y eut par la suite un grand nombre d’adoratrices anonymes de Dieu qu’on retrouve un peu partout dans la littérature. On cite ainsi Rabi’a Aschamiyya la syrienne ascète du 8ème siècle : « Un être cher à qui aucun autre être cher ne ressemble Lui seul a trouvé le chemin de mon cœur Absent certes de mon regard et de mon corps Il ne quitte pourtant jamais mon cœur ». Une autre figure majeure est Fatima de Nissapur au 9ème siècle JC. Elle était mariée à un soufi ascète persan très réputé Ahmad Khidruya et l’aurait guidé dans la voie mystique. La légende raconte qu’elle entretenait une correspondance avec le maître soufi célèbre Dhu NNun al Misri. Elle aurait eu aussi des discussions savantes avec Abu Yazid Bistami.

La tradition des femmes soufies se perpétua pendant les siècles suivants non seulement au Moyen Orient mais aussi sur le subcontinent indien où de nombreuses femmes furent disciples de Farid Uddîn Chakargandj maître soufi au Pendjab au 13ème siècle JC. Louis Massignon cite des exemples de femmes hanbalites de l’entourage du soufi Hallaj (9ème siècle JC) qui consignèrent pendant longtemps les traditions concernant ce mystique, par exemple Zaïnab al Kamaliyya. Un autre cas mentionné par Massignon, Karima de Merw (10ème siècle JC), qui apparaît dans une chaîne de traditions importantes citées par Abu Najib As-Suhrawardi (12ème siècle JC) et également de son neveu Abu Hafs Omar As-Suhrawardi dans son ouvrage qui constitue un des manuels d’apprentissage les plus répandus du mysticisme étudié dans le monde arabe.

Dans la famille de Jalal Uddîn Rûmi (13ème siècle Jc) (fondateur de la confrérie des Derviches Tourneurs, savant, théologien, maître éducateur, poète), on notera la présence de nombreuses femmes importantes : sa 2ème femme Kira Khatun appelée aussi 2ème Rabi’a ou semblable à Marie. Certaines de ses descendantes contribuèrent activement à la propagation de l’ordre Mevlevi des derviches tourneurs créé par son fils Sultan Valad et auquel la propre fille de ce dernier Şeref Hatun appartenait et où elle avait de nombreux disciples hommes. Actuellement, une femme, Shayka Nur Artiran (descendante de Rûmi) dirige l’ordre Mevlevi en Turquie.

Ibn ‘Arabi cite aussi plusieurs femmes qui l’ont marqué depuis son jeune âge à Séville. Fatima bint al Muthanna mystique du 13ème siècle à Séville est décrite par le maître comme « la miséricorde des habitants de cette terre ». Cette dame se considérait comme sa mère spirituelle et l’a apparemment préparé à ses futures rencontres avec des saintes. Il cite également Shams «la mère des pauvres», mystique de haut rang qui était douée d’une intuition peu commune mais qui cachait son niveau spirituel. Sans oublier Nizam, une mystique persane, fille de l’imam du maqam d’Ibrahim (un lieu dans le Haram de la Mecque) qui lui fit composer un recueil de poèmes célèbres « Turjuman al Ashwaq- l’interprète des désirs ». Quatorze des quinze personnes à qui Ibn ‘Arabi a accordé la «tunique mystique-al khirqa» sur le plan spirituel étaient des femmes. Il était convaincu que les femmes pouvaient occuper une position à tous les niveaux spirituels y compris des rangs très élevés dans la hiérarchie des saints. Jusqu’à la fin de sa vie, il permit aux femmes d’assister à son enseignement.
L’attitude d’Ibn ‘Arabi envers les femmes constitue un grand chapitre du soufisme qui montre que les femmes, comme les hommes, peuvent être considérées comme réceptacles des manifestations les plus gracieuses de l’Unique.

Je finis mon intervention en évoquant une des figures contemporaines importantes qui démontre l’apport des femmes tant sur le plan livresque que spirituel : Eva de Vitray-Meyerovitch qui a beaucoup contribué à ouvrir les horizons du monde occidental sur la spiritualité musulmane authentique. Administratrice au laboratoire de Frédéric Joliot-Curie, docteur en islamologie, chercheuse au CNRS dont elle dirigea le service des sciences humaines, traductrice et écrivaine. Elle a été précurseur sur un bon nombre de questions relatives à la relation entre la Tradition Judéo-chrétienne et l’Islam.

Eva de Vitray-Meyerovitch entreprit des études approfondies de théologie afin de comprendre ce qui lui échappait dans le sens de la vie. Parallèlement à cela, elle découvrit, en particulier à travers l’œuvre de Mohammed Iqbal, poète et philosophe du 20ème siècle qui publia entre autre « Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam », une pensée métaphysique, une expression spirituelle et rationnelle qui l’a bouleversée et ébahie. A travers lui, elle a aussi découvert Rûmî le grand saint du 13ème siècle, fondateur de la confrérie des Derviches Tourneurs, celui qu’on appelle Mawlana Jalâl Uddîn Rûmî. Elle fut frappée par la force de ses textes et, en même temps, par leur poésie, textes qui conciliaient une pensée très structurée, une métaphysique rigoureuse et, en même temps, une très belle expression poétique. Tout cela l’a naturellement amenée à s’intéresser à la personnalité et à l’itinéraire de Rûmî dont il était question de façon récurrente chez Iqbal. Après trois années d’études de théologie chrétienne, elle se consacra pendant trois autres années à l’étude du persan afin de lire les œuvres de Rûmî, dont elle fut finalement l’une des principales traductrices en langues occidentales.

Outre Le Livre du Dedans, recueil de paroles révélant un enseignement spirituel direct, elle traduisit de nombreux poèmes que Rûmî composa à l’adresse de son propre maître, Chams Uddîn de Tabriz, et surtout les 50 000 vers du Mathnawi, soit 10 années de travail acharné et 1100 pages. Elle publia et traduisit aussi les livres d’Iqbal ainsi que différents livres de poésie et de littérature soufies. Au total, à peu près une quarantaine d’ouvrages ont été soit écrits par sa main, soit traduits du persan ou de l’arabe.

Sa soif d’absolu trouva à travers le soufisme le prolongement naturel à une éducation chrétienne dont elle était pétrie. Ainsi, parallèlement à son parcours d'intellectuelle, elle poursuivit une quête personnelle qui la conduisit à rencontrer de nombreux maîtres soufis jusqu’à celui qui sera son maître spirituel lors de son cheminement au sein de la Voie mystique musulmane, mon maître Sidi Hamza al Qadiri al Boutchichi.

Planète Soufie



Source : https://www.lebulletin.top/veille/La-place-de-la-f...

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