L’offre de dialogue du roi Mohammed VI et le dilemme algérien

Mercredi 14 Novembre 2018

DIPLOMATIE - À l’occasion du 43e anniversaire de la Marche verte, le roi Mohammed VI a surpris les observateurs avec le ton de son discours annuel. Contrairement au passé, lorsque le roi consacrait l’essentiel de ses discours à défendre la position marocaine sur le Sahara et à dénoncer les manigances de l’Algérie pour contrecarrer les efforts du Maroc pour mettre fin au conflit, le souverain a adopté un ton plutôt conciliant et amical et montré sa disposition à ouvrir un dialogue constructif, sans conditions préalables et de bonne foi avec l’Algérie.

Le ton du discours a été salué par plusieurs pays, tels que la France, l’Espagne, le Qatar, les Émirats arabes unis, la Mauritanie, la Jordanie ainsi que le secrétaire général des Nations Unies.

L’Algérie n’a toujours pas publié de déclaration officielle sur l’offre marocaine. Entre temps, les analystes se demandent si l’offre marocaine est authentique et cherche à apaiser les tensions entre les deux pays et à ouvrir la voie à une normalisation de leurs relations ou s’il s’agit d’une ruse destinée à embarrasser le gouvernement algérien.

Le roi Mohammed VI croit fermement au Maghreb

Bien que le roi Mohammed VI ait mis le Maghreb en veilleuse dans ses récents discours, il a toujours été fermement convaincu de la nécessité de réaliser l’unité et l’intégration des pays du Maghreb, principalement le Maroc et l’Algérie. Dans sa thèse de doctorat qu’il a soutenue alors qu’il était encore prince héritier en 1993, le roi Mohammed VI affirmait que la construction d’un Maghreb unifié et la fin de la rivalité entre le Maroc et l’Algérie étaient le seul moyen pour les pays du Maghreb de bénéficier d’un traitement équitable de la part de l’Union européenne.

Depuis son intronisation en 1999, le roi Mohammed VI a plaidé à plusieurs reprises pour la réouverture des frontières entre les deux pays, exprimé la volonté du Maroc de normaliser ses relations avec l’Algérie et exhorté les responsables algériens à ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre les deux pays.

À l’été 2004, le gouvernement marocain a levé l’obligation de visa pour les voyageurs algériens souhaitant se rendre au Maroc. Depuis lors, le Maroc a appelé à maintes reprises à la réouverture des frontières terrestres entre les deux pays. Cependant, les responsables algériens ont fait la sourde oreille et n’ont fait montre d’aucune volonté de tourner la page du passé.

Le ton apaisant du roi et le contexte dans lequel il a tendu la main à l’Algérie donnent une signifiance particulière à son offre de dialogue. Cette offre a été faite à la suite de l’adoption de la résolution 2440, qui a prorogé le mandat de la MINURSO au Sahara pour six mois. Pour la première fois depuis 2002 et depuis le début du processus politique sous l’égide de l’ONU en 2007, l’Algérie est mentionnée dans une résolution du Conseil de sécurité sur le conflit, quasiment sur un pied d’égalité avec le Maroc.

Bien que l’Algérie ne soit toujours pas considérée comme une partie au conflit, le nouveau libellé de la résolution pourrait progressivement ouvrir la voie au Conseil de sécurité pour faire de l’Algérie une partie prenante au conflit. En outre, la résolution ajoute un nouveau libellé mettant davantage l’accent sur la nécessité pour les États voisins, l’Algérie et la Mauritanie, de participer au processus politique.

Le Maroc montre sa volonté de tourner la page

À la lumière du nouveau libellé de la résolution et des préparatifs de la table ronde qui se tiendra à Genève les 5 et 6 décembre sous les auspices de l’envoyé personnel des Nations Unies pour le Sahara, Horst Kohler, Rabat cherche à montrer d’une manière solennelle sa disposition à ouvrir un dialogue sincère et honnête avec Alger pour dissiper les tensions entre les deux pays et préparer les conditions propices à l’instauration de la confiance entre leurs responsables.

Ce faisant, le Maroc exprime au Conseil de sécurité sa volonté de s’engager dans un dialogue constructif avec l’Algérie afin de parvenir à un accord sur les moyens de surmonter tous les obstacles pour résoudre le conflit du Sahara. Au cas où l’Algérie rejetterait l’offre du Maroc, celui-ci pourrait affirmer qu’il a fait de son mieux pour détendre l’atmosphère entre les deux pays, mais l’autre partie a refusé.

A l’heure actuelle, le doute plane toujours sur la nature de la réponse des autorités algériennes. Il existe deux scénarios de réaction de l’Algérie à l’offre du Maroc: l’un est très optimiste et pourrait se révéler un vœu pieux, l’autre, plus réaliste, a plus de chances de se réaliser. Dans le premier scénario, l’Algérie suivrait la logique de l’histoire, de la géographie, de la langue et de la religion communes et tendrait ses bras au Maroc. Ces dernières années, de nombreux anciens responsables algériens ont déploré la fermeture de la frontière entre les deux pays et ont exhorté leurs dirigeants à mettre fin à cet anachronisme.

En outre, de nombreuses initiatives populaires organisées de part et d’autre des frontières ont exhorté les deux pays à normaliser leurs liens. Le 22 juillet dernier, des associations marocaines et algériennes ont organisé une marche à partir de la ville marocaine d’Oujda et de la ville algérienne de Maghniya vers la frontière de Zouj Bghal.

L’Algérie rejettera l’offre de dialogue du Maroc

Dans le deuxième scénario, qui me semble le plus probable, l’Algérie rejettera l’offre du Maroc et insistera sur le fait que l’ouverture du dialogue ou de la frontière dépendrait de l’acceptation par le Maroc des conditions définies par l’Algérie en 2013.

Réagissant à l’appel lancé par le Maroc à l’Algérie pour la réouverture de la frontière en 2013, le porte-parole du gouvernement algérien a souligné que cela ne se produirait qu’avec “la cessation de la campagne de diffamation contre l’Algérie; une coopération sincère, efficace et productive contre l’agression que nous subissons quotidiennement dans le domaine de l’infiltration de drogue; ainsi que le respect de la position du gouvernement algérien en ce qui concerne la question du Sahara occidental, que nous considérons comme une question de décolonisation qui doit trouver un règlement conforme au droit international au sein des Nations unies.”

Il est également possible que l’Algérie ne réagisse jamais à l’offre du Maroc. Alors que les responsables algériens n’ont pas officiellement réagi à la demande du roi Mohammed VI, certains anciens responsables algériens et une “source autorisée” ont déclaré aux médias algériens que l’offre marocaine était un “non-évènement”.

Sommes toutes, rien n’indique que l’Algérie est prête à ouvrir un nouveau chapitre dans ses relations bilatérales avec le Maroc. Le même leadership continue de gouverner le pays, et l’armée et les services de renseignement gardent toujours le contrôle sur le processus décisionnel. De plus, l’Algérie n’a ménagé aucun effort pour contrecarrer tous les efforts du Maroc visant à mettre fin au conflit du Sahara. L’Algérie a poursuivi ses efforts pour porter atteinte aux intérêts du Maroc et s’est opposée dans les coulisses à son retour à l’Union africaine.

Décalage entre allégations et faits sur le terrain

Alors que le gouvernement algérien continue de prétendre qu’il n’a aucun intérêt dans le conflit du Sahara et qu’il n’est qu’un pays voisin, les faits sur le terrain et les informations disponibles dans le domaine public démentent ces allégations. C’est un secret de polichinelle que l’Algérie est le principal bailleur de fond du Polisario et, sans elle, le groupe séparatiste n’aurait aucune chance de survivre.

Par ailleurs, il va de soi que l’Algérie soutient le Polisario aux niveaux financier, politique, diplomatique et militaire. Une comparaison rapide entre la Mauritanie, un autre pays voisin concerné par le conflit, et l’Algérie montre la différence entre un pays voisin au vrai sens du terme et une partie prenante au conflit. En dépit de certaines périodes de tension avec le Maroc, rien n’indique que la Mauritanie a fourni un soutien militaire, diplomatique, financier ou politique au Polisario. Rien ne prouve non plus que la Mauritanie a fait pression sur des gouvernements étrangers pour le compte du Polisario.

En revanche, l’Algérie non seulement accueille le Polisario et le soutient financièrement, militairement et diplomatiquement, mais elle fait également du lobbying auprès des gouvernements étrangers pour défendre la thèse du groupe séparatiste. Au cours des 27 dernières années, le gouvernement algérien a principalement fait appel aux services de la société de lobbying Foley Hoag pour l’aider à obtenir le soutien des États-Unis au Front Polisario.

Depuis qu’elle a renouvelé son contrat avec Foley Hoag en 2007, le gouvernement algérien a dépensé 400.000 dollars par an pour s’assurer que le Maroc ne mette pas fin au conflit en sa faveur. Récemment, Foley Hoag figurait parmi les signataires d’une lettre adressée au Conseil de sécurité le 28 septembre, l’exhortant à faire pression sur le Maroc pour qu’il entame des négociations directes avec le Polisario et à préserver le droit des Sahraouis de choisir leur avenir.

De plus, les récents développements au Conseil de sécurité ont fourni davantage de preuves que l’Algérie est une partie prenante au conflit du Sahara. À la suite de la nouvelle dynamique créée par la résolution 2440 du Conseil de sécurité, l’Algérie a décidé de signer un nouveau contrat de lobbying d’une valeur de 360 ​.000 dollars par an avec Keene Consulting. David Keene, président de la firme, est l’ancien président de la puissante National Rifle Association et est un ami du conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton.

Il est très révélateur que le nouveau contrat ait été signé trois jours à peine après l’adoption par le Conseil de sécurité d’une nouvelle résolution dans laquelle l’Algérie est mentionnée pour la première fois et dans laquelle elle est appelée à participer au processus politique sans conditions préalables et de bonne foi. Selon le site d’informations et d’analyses américain Al Monitor, Keene a déclaré qu’il “travaillera sur des questions liées au Sahara ainsi qu’à la coopération militaire et de défense”.

Ce ne sera pas la première fois que Keene travaillera au nom du gouvernement algérien. Keene avait déjà fait du lobbying auprès de l’administration Bush et du Congrès au nom de l’Algérie dans le cadre du contrat de lobbying signé entre le gouvernement algérien et le groupe Carmen entre 2006 et 2007. De plus, en 2010, il a publié un article d’opinion sur le site d’informations et d’analyses The Hill dans lequel il s’en est pris au Maroc et a utilisé les mêmes allégations et contrevérités que le gouvernement algérien utilise concernant le conflit.

Par conséquent, je suis intimement convaincu que l’Algérie est déterminée à poursuivre la même politique étrangère agressive à l’égard du Maroc et donnera une fin de non-recevoir à l’offre de dialogue du roi Mohammed VI. L’Algérie étant gouvernée par la même oligarchie politique et militaire, il serait illusoire de penser qu’il est possible d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre les deux pays. Dans la doctrine de politique étrangère de l’Algérie, le Maroc n’est pas considéré comme un partenaire, mais un adversaire et une menace existentielle pour son rêve d’hégémonie sur la région.

Néanmoins, quelle que soit la réaction de l’Algérie à l’offre du Maroc, le roi Mohammed VI aura réussi à mettre sa duplicité et ses contradictions flagrantes à nu. Le monarque marocain est sans doute conscient que son offre ne changera pas la nature des relations entre les deux pays mais il s’est, néanmoins, efforcé d’embarrasser l’Algérie et d’exposer ses contradictions.

L’Algérie est maintenant confrontée à un dilemme. Si elle acceptait l’offre du Maroc sans conditions préalables, elle laisserait la porte ouverte à de futurs entretiens bilatéraux sur le Sahara. Si elle rejetait l’offre et persistait à exiger que le Maroc respecte sa position sur le conflit et à prétendre qu’elle n’en est pas partie prenante, elle serait contredite par les contrats de lobbying visant à obtenir le soutien de l’administration américaine et du Congrès au Polisario.

Le silence assourdissant du gouvernement algérien une semaine après l’offre du roi Mohammed VI est très révélateur sur la confusion dans laquelle les responsables algériens se sont retrouvés à la suite de l’offre marocaine.



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/loffre-de-di...

Samir Bennis