L’héritage théologique et philosophique d’Eboussi Boulaga, ancien prêtre jésuite retourné à l’état laïc

Mercredi 17 Octobre 2018

 
Fabien Eboussi Boulaga, célèbre philosophe et théologien camerounais, est mort samedi 13 octobre, à l’âge de 84 ans. Depuis cette date, les témoignages sur la vie et l’héritage de cet ancien prêtre jésuite retourné à l’état laïc, affluent. Trois intellectuels africains, les philosophes camerounais Achille Bembe et François-Xavier Akono et le théologien jésuite tchadien Rodrigue Naortangar expliquent à La Croix Africa son héritage humain, philosophique et théologique.
« Le premier contact avec Eboussi Boulga, c’était avec sa pensée dans le cours de philosophie que j’ai eu au Petit Séminaire Saint Paul de Nylon de Douala, raconte le prêtre jésuite François-Xavier Akono, docteur en philosophie. Monsieur Ntep, notre professeur d’alors, nous enseignait dans un cours de philosophie, sa pensée et celle d’autres philosophes d’Afrique. »
Comme lui, de nombreuses générations de Camerounais et plus généralement d’Africains ont étudié, au secondaire ou à l’université, l’œuvre d’Eboussi-Boulaga, philosophe et théologien, ancien prêtre jésuite sorti de l’état clérical. « C’était un homme d’une extraordinaire probité et droiture, un véritable esthète, témoigne un autre philosophe camerounais, Achille Bembe. Il aura mené une vie ascétique, se contentant de très peu, et pratiquant une exigeante hygiène de l’esprit. »
Comme théologien, Fabien Eboussi Boulaga s’est surtout illustré pour ses prises de position qui, parfois, dérangeaient. Il était, en effet, un grand critique de la théologie des missionnaires ce qu’il a exprimé dans son célèbre article « La démission » publiée en 1974 et dans son livre « Christianisme sans fétiche » (1970).
« Quand il parlait de ’’christianisme sans’’ fétiche, il voulait dire qu’il y a, dans le christianisme, quelque chose qui fonctionne comme nos religions traditionnelles. C’est-à-dire, si mon fétiche est plus fort que le tien, alors, j’ai droit à un certain nombre de privilèges et de droits », explicite le père Rodrigue Naortangar, théologien jésuite qui a consacré sa thèse de théologie (1) au modèle christique d’Eboussi Boulaga comme base africaine pour le questionnement sur la théologie de la révélation.

Boulaga n’avait pas perdu sa foi, il la questionnait

Aux yeux du père Rodrigue Naortangar, Boulaga a nourri la théologie africaine de deux apports essentiels. Tout d’abord, il a pensé le concept de Révélation, en contexte africain, de manière radicale. Ensuite, il a lancé l’idée d’un Concile africain exprimant la nécessité d’une réflexion en profondeur sur le christianisme en Afrique, en lien avec les défis qui se posent au continent.
Pour le philosophe jésuite François-Xavier Akono, le projet philosophique de Fabien Eboussi Boulaga est centré sur la question de l’autodétermination. « Celle-ci se vérifie par la proposition introductrice de son ouvrage « La crise du Muntu », explique-t-il. Il faudrait à l’Africain-e, la capacité de se doter d’un principe de vérification interne de ses actions individuelles et collectives ». Mais le penseur, selon Achille Bembe, ne perdait jamais de vue l’essentiel, la vérité en particulier, à laquelle il tenait sans jamais se compromettre et qu’il pouvait défendre de manière radicale. « En même temps, il avait cultivé une capacité hors-pair de tout questionner, jusqu’à la foi en Dieu ». Et de fait, à cause de ce questionnement permanent de la foi chrétienne, certains ont affirmé que le philosophe-théologien avait quitté la prêtrise parce qu’il avait perdu la foi.
Le père Naortangar, qui l’a personnellement connu et a traduit en allemand son livre « Christianisme sans fétiche » estime qu’il n’en est rien. « Il m’a dit qu’il n’a jamais dit cela », explique-t-il. Pour ce prêtre jésuite, si Boulaga a quitté l’état clérical, c’est peut-être parce qu’il ne se retrouvait pas dans « une manière de penser l’Église qui n’accepte pas les autres façons de croire ». « Eboussi Boulaga considérait que le théologien est celui qui répète ce qui a toujours été dit et qu’il n’y a plus de possibilité d’ouverture dans la réflexion », ajoute-t-il.

L’art d’être humain

La perte de l’état clérical chez Boulaga se situe en 1980. Depuis les années 1970, le pape Paul VI avait demandé aux Africains de « penser un christianisme africain ». « Mais dans les faits, avoir une grande liberté de penser par rapport à la nécessité de fonder un christianisme africain n’était pas une parole acceptée », commente encore le père Naortangar.
Après son retour à l’état laïc, Boulaga vivait à Mimboman, à Yaoundé avec sa famille. Dans ce quartier, il recevait de nombreuses visites. « De lui, je retiens surtout que la philosophie est une manière de vivre ; et de vivre avec raison, simplicité, humilité. S’il y a une chose à garder et que nous devons fructifier, c’est l’appel au respect de l’autre, résume le père Akono qui l’a côtoyé pendant les dernières années de sa vie. S’il est un art auquel Fabien Eboussi Boulaga, nous convie, c’est bien l’art d’être-humain. »
Lucie Sarr
(1) Rodrigue Naortangar, L’interculturalité de la révélation. La Constitution dogmatique Dei Verbum en dialogue avec le modèle christique d’Eboussi Boulaga., Innsbruch (Autriche), Tyrolia Edition, septembre 2018.


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