L'accord de pêche Maroc-UE jette un doute sur la future politique étrangère de l'UE

Vendredi 23 Février 2018

La Cour de Justice de l’Union européenne devra statuer sur l’accord de pêche Maroc-UE le 27 février. CJUE
Selon Jeanne Laperrouze, ancienne conseillère politique au Parlement européen, une éventuelle adoption par la Cour de Justice de l’union européenne (CJUE) du point de vue de l’avocat général Melchior Wathelet, aurait de profondes implications non seulement pour les futures relations entre l'UE et le Maroc, mais pour l'ensemble de la politique extérieure de l'UE

Début janvier, la Commission européenne a proposé d’ouvrir des négociations avec le Royaume du Maroc sur un nouveau protocole de pêche avec l’UE.

L’accord actuel, qui expirera le 14 juillet 2018, autorise les navires européens à pêcher au large des côtes du Maroc en échange d’une compensation financière.

Rien ne semblait jeter le doute sur le succès de ces négociations jusqu’au 10 janvier, date à laquelle le conseiller général de l’UE Melchior Wathelet a conseillé à la Cour de justice de l’UE (CJUE) d’invalider le protocole.

Selon Wathelet, l’accord devrait être rompu car il s’applique aux rives du Sahara occidental, une zone « occupée illégalement ».

Une éventuelle adoption par le tribunal du point de vue de Wathelet aurait de profondes implications non seulement pour les futures relations entre l’UE et le Maroc, mais pour l’ensemble de la politique extérieure de l’UE.

L’affaire concerne une question soumise par un tribunal britannique à la CJUE suite à une plainte de Western Sahara Campaign UK, un groupe de pression soutenu par le Polisario.
Pour la première fois, le tribunal de l’UE est saisi d’une question concernant les accords internationaux de l’UE, qui souligne l’importance capitale de la décision attendue le 27 février.

Quelle que soit la légitimité que nous puissions attribuer à l’administration marocaine au Sahara occidental (également connue sous le nom de provinces du sud), l’ONU considère la région comme un « territoire non autonome ».

Vide juridique

En 2002, un conseiller juridique de l’ONU a même reconnu la possibilité pour le Maroc d’exploiter les ressources naturelles du Sahara Occidental en tant que « puissance administrative » sous certaines conditions.

Tout en reconnaissant que le processus de décolonisation inachevé a créé un vide juridique, il est injustifiable de prétendre que la Cour de justice de l’UE pourrait se substituer au Conseil de sécurité en redéfinissant une situation très complexe, surtout quand même les positions des capitales européennes sur ces décennies de conflit demeurent insaisissables.
L’avocat général Wathelet semble placer avant tout les droits de l’homme, et en particulier le droit des peuples à l’autodétermination.

Cela peut en effet apparaître comme un principe très noble –  en laissant de côté le fait que l’UE doit faire face à la montée du séparatisme et du nationalisme à l’intérieur de ses propres frontières. Cependant, si le respect des droits de l’homme était une condition sine qua non de la conclusion d’un accord international par l’UE, le poids politique de l’Union pour diffuser les droits fondamentaux dans les pays tiers serait paradoxalement affaibli.

Cela entraverait non seulement les futures négociations sur un nouvel accord de pêche avec le Maroc, mais aussi tout accord de coopération ou de partenariat avec des pays tels que la Turquie et l’Arménie.

Suivre la logique de l’avocat général pourrait ainsi priver l’UE de toute manœuvre dans ses relations extérieures tout en compromettant ses priorités de politique extérieure, telles que la politique européenne de voisinage ou l’accord de Cotonou dont le principe même est de renforcer la démocratie et les droits dans les pays partenaires de l’UE.


Pas seulement les droits de l’homme

De plus, les relations entre l’UE et le Maroc ne pouvaient pas être vues uniquement à travers le prisme des droits de l’homme.

Depuis 1960, l’UE et le Maroc ont développé un partenariat stratégique dans un large éventail de domaines, tels que la lutte contre le terrorisme et les migrations.

Le partage de renseignements entre les deux parties a permis à l’UE d’arrêter de nombreuses attaques terroristes, contribuant grandement à la sécurité de l’Union. Les deux parties collaborent également étroitement pour lutter contre l’immigration clandestine en provenance d’Afrique, qui a été qualifiée de « plus grand défi de l’Europe ».

Rappelons également que les régions administratives de Dakhla-Oued Eddabad et Laayoune-Sakia El Hamra, toutes deux situées sur le territoire non autonome du Sahara occidental, ont reçu à elles seules 68 % du soutien sectoriel total prévu par le protocole de pêche actuel, selon le rapport d’évaluation 2017.

Le non-renouvellement de l’accord priverait les populations locales de ces avantages.
Sans préférences tarifaires et soutien sectoriel, il ne serait pas possible de garantir des conditions de concurrence équitables pour les opérateurs locaux, afin de leur permettre d’être compétitifs sur les marchés internationaux.

Comment le peuple sahraoui pourrait-il être mieux alors ? Au lieu de paver la route vers l’enfer avec de bonnes intentions pour le peuple sahraoui, l’UE devrait se concentrer sur l’accélération de la résolution de ce conflit persistant sous les auspices de l’ONU.
Par Jeanne Laperrouze, ancienne conseillère politique au Parlement européen et une étudiante de troisième cycle à la faculté de droit de l’université de Toulouse, en France. Sa chronique est parue initialement en anglais sur EU Observer.


Source : https://ledesk.ma/enclair/laccord-de-peche-maroc-u...

Le Desk