"Emmanuel Macron veut marquer un tournant dans les relations de la France avec l'Afrique", selon un chercheur de l'Ifri (INTERVIEW)

Lundi 5 Février 2018

La nouvelle tournée du président français Emmanuel Macron sur le continent africain, qui s'est achevée samedi au Sénégal, s'inscrit dans la continuité de sa volonté de "marquer un tournant majeur dans les relations de Paris avec l'Afrique", estime, dans une interview accordée à Xinhua, le chercheur associé au centre Afrique subsaharienne de l'Ifri (Institut français des relations internationales), François Gaulme.

Après le Burkina Faso, la Côté d'Ivoire et le Ghana fin novembre, le président français a terminé samedi une nouvelle tournée sur le continent africain qui l'a mené de Tunisie au Sénégal. Début décembre, il s'était rendu en Algérie. Fraîchement élu, il s'était déplacé au Mali, le 19 mai 2017, afin de "saluer les troupes" de la force "Barkhane". En juin, il avait également effectué une "visite personnelle" au Maroc.

Le jeune président français, très actif sur la scène internationale, multiple les déplacements sur le continent africain afin de s'inscrire dans la continuité de son discours prononcé le 28 novembre dernier à l'université de Ouagadougou. "Un discours qui, par son contexte, sa forme et son contenu, constitue un tournant majeur, au moins pour le style et les intentions, dans les relations franco-africaines", considère le chercheur François Gaulme.

Emmanuel Macron, "dont le maître-mot est le changement", "voulait se distinguer de ses prédécesseurs", poursuit l'universitaire. "Sa conférence à Ouagadougou devant des étudiants rappelait d'une certaine manière le discours du président Obama au Caire. Elle avait les allures d'un discours programme contenant un catalogue d'actions présenté par le chef de l'Etat lui-même dans la mesure où le gouvernement ne compte aucun ministre du Développement ou de la Coopération", ajoute-il.

"Il n'y a plus de politique africaine": cette déclaration allusive d'Emmanuel Macron au début de son discours a été interprétée comme une référence à la "Françafrique". Mais l'on pourrait aussi la prendre au pied de la lettre et la mettre en lien avec la complexité croissante du continent africain.

Pour le moment, ce qui est sûr, c'est que le président français a surtout une politique sahélienne très claire. La région des Grands Lacs, la RDC, la question du Cameroun anglophone qui est pourtant très sérieuse, l'Afrique australe n'ont pas été évoquées jusqu'ici, développe le chercheur.

"Dans les faits, le premier président de la Ve République à ne pas avoir connu l'époque coloniale poursuit sans rupture observable la démarche africaine de son prédécesseur, donnant priorité, avec l'opération Barkhane, à un engagement militaire direct au Sahel dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme", résume-t-il.

A Ouagadougou comme à Dakar, le président Macron s'est largement adressé à la jeunesse du continent africain. "Aujourd'hui, la démographie galopante de l'Ouest africain y favorise les jeunes mais c'est un facteur d'instabilité structurelle. Il n'est pas sûr que, dans l'état actuel de la situation sécuritaire en Afrique, un appui rhétorique et général au potentiel de changement de la jeunesse ne soit pas porteur de plus d'instabilités et de désordres que de progrès concrets de développement dans l'avenir. Le pari d'Emmanuel Macron reste risqué", relève François Gaulme qui rappelle les liens étroits entre défis démographiques, sécuritaires et migratoires.

Paris mise sur le développement d'une politique éducative pour lutter contre la radicalisation et favoriser le développement économique qui permettra de réduire les tensions migratoires. Or, les dirigeants africains font face à des besoins énormes en termes d'investissements. A l'issue du sommet du Partenariat mondial pour l'éducation (PME), qui a réuni, vendredi, à Dakar, une dizaine de chefs d'État africains, ainsi que des représentants des grands donateurs, Emmanuel Macron a annoncé la hausse de l'engagement français dans ce programme à 200 millions d'euros, contre 17 millions pour la période 2014-2017. La totalité des dons annoncés devrait représenter quelque 2,5 milliards d'euros. Le PME devrait ainsi atteindre son objectif d'accroître ses fonds de 50 %, après avoir réuni 1,7 milliard en 2014-2017.

"Trouver l'argent est une chose mais attention aux effets d'annonce qui peuvent se révéler contre-productifs et éloigner du problème de fonds qui est l'efficience de l'éducation dispensée. Sous l'impulsion de l'ONU et de la Banque mondiale, on a poussé jusqu'ici vers des résultats quantitatifs qui améliorent les statistiques. Mais il faut du qualificatif. Or dans des classes à 70 élèves, il est bien difficile de dispenser un enseignement de qualité. Sans oublier la question de l'employabilité et la formation professionnelle", insiste François Gaulme. "Il faut une connaissance en profondeur des sociétés africaines", ajoute-t-il.

Interrogé par Xinhua sur l'aide au développement, le chercheur souligne "l'insistance d'Emmanuel Macron sur le renouvellement d'une aide au développement moins gouvernementale". Le chef de l'Etat français a largement évoqué une réforme du système d'aide au développement et s'est par ailleurs engagé dès le début de son mandat, à accroître très fortement l'effort de solidarité en faveur des pays les plus pauvres.

Concernant les dossiers environnementaux, l'universitaire salue l'annonce, samedi, à Saint-Louis du Sénégal, par le président français d'une aide de 15 millions d'euros pour lutter contre l'érosion côtière qui menace la ville, auxquels s'ajouteront 24 millions d'euros débloqués par la Banque mondiale. "La lutte contre l'érosion marine est un sujet très sérieux. Or on commence seulement à aborder...", remarque-t-il.

Questionné par Xinhua sur l'avenir d'une coopération triangulaire France-Chine-Afrique évoquée par Emmanuel Macron lors de son voyage en Chine, début janvier, François Gaulme relève que "la France se réveille un peu sur ce thème". "C'est une idée qui fait son chemin mais qui en est encore à ses balbutiements. Il faudra trouver des complémentarités", estime-t-il.

Xinhua