EDITO - La sale affaire Bouachrine

Samedi 3 Mars 2018

Que les corps exultent dans le cadre du mariage ou pas, à deux ou à plusieurs, selon des pratiques consenties, ne devrait pas être régenté par l’Etat. Les articles du Code pénal qui s'immiscent dans la vie privée des citoyens, en interdisant les relations sexuelles hors mariage et l’adultère, sont liberticides et nous les combattons. Pas Mustafa Ramid, actuel ministre des Droits de l’homme et ex-ministre de la Justice. Il avait même déclaré qu’il déposerait sa démission en cas de dépénalisation. Il est certainement plus commode d’être polygame d’une perspective islamiste, mais ceci est un autre débat. Ce qui nous intéresse ici est l’affaire Taoufik Bouachrine. Notre confrère est poursuivi en état de détention pour des agressions sexuelles graves.

Au mieux, soutiennent ceux convaincus qu’il y a complot ou les simples citoyens qui n’ont plus foi en la justice du pays, Bouachrine aurait multiplié les conquêtes, et l’Etat les utiliserait aujourd’hui pour faire taire sa plume dérangeante. Aucune preuve n'étaye à ce jour cette version, mais, le cas échéant, tout ce qu’on pourrait reprocher à Taoufik Bouachrine — fervent défenseur de l’islam politique au Maroc — , c’est d’être un tartuffe, un faux dévot de l’édito. Il ne serait alors ni le premier, ni le dernier à ne pas être en total accord avec sa posture publique. Mais en aucun cas un criminel.

Au pire, Taoufik Bouachrine se serait rendu coupable des crimes formulés par le Parquet. A ce jour, deux femmes l’accusent publiquement de viol et de tentative de viol. Une troisième plaignante a livré un témoignage glaçant à TelQuel sur l’agression sexuelle dont elle aurait été victime. Précisant que la police ne l’a jamais incitée à porter plainte. Ces femmes méritent d’être entendues par la justice et que leur plainte soit prise très au sérieux. Il est impensable de soutenir le contraire. Le positionnement éditorial du journaliste, même indépendant, même critique vis-à-vis du Makhzen, ne peut l’absoudre à nos yeux. Si Taoufik Bouachrine a violé ou tenté de violer une ou plusieurs femmes, qu’il soit poursuivi et jugé en vertu du droit, dans le cadre d’un procès équitable. Loin d’être une circonstance atténuante, sa stature de patron et de personnage public est au contraire aggravante puisque peut lui être accolée la charge “d’abus de faiblesse”.

Des zones d’ombre subsistent néanmoins. Qui a filmé les 50 vidéos que le Parquet dit détenir ? Pourquoi les journalistes d’Akhbar Al Yaoum soutiennent qu’un matériel d’espionnage a été placé dans leurs locaux ? Par qui ? Les journalistes, qui ne s’identifient pas à une personne accusée de viol mais qui ont l’intime conviction de pouvoir tenir éveillées des consciences par leurs mots, doivent-ils s’inquiéter s’ils s’aventurent à critiquer l’Etat ? Le réflexe est pavlovien, mais il serait salutaire que l’Etat en tienne compte et qu’une absolue transparence ainsi qu’un total respect de l'indépendance de la justice soient garantis dans cette affaire. Quant à nous, nous nous en tiendrons au respect de ces principes : dignité des victimes, respect de la présomption d’innocence, respect de la vie privée et liberté de la presse.


Source : http://telquel.ma/2018/03/03/edito-sale-affaire-bo...