Ce que la résolution 2468 signifie pour le processus onusien sur le Sahara

Samedi 4 Mai 2019

Bien que la nouvelle résolution 2468 du Conseil de sécurité des Nations unies n’apporte aucune avancée majeure qui pourrait indiquer que le Conseil de sécurité est déterminé à faire pression sur les parties pour qu’elles parviennent à une solution politique mutuellement acceptable, le nouveau libellé qu’elle inclut donne un aperçu sur les nouvelles tendances du processus politique.

Dans l’ensemble, la résolution a maintenu le même langage et les mêmes paramètres du processus politique onusien que les résolutions précédentes, dans la mesure où elle met l’accent sur le “réalisme” et exhorte les parties au conflit à coopérer de bonne foi avec l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, Horst Kohler.

Le préambule de la résolution a encore une fois fais la part belle à la proposition d’autonomie marocaine en ce sens qu’il se félicite des “efforts sérieux et crédibles du Maroc pour faire avancer le processus vers une résolution”.

En même temps, la nouvelle résolution a simplement pris note de la contre-proposition présentée par le Polisario sans lui attribuer le moindre mérite pour l’avancement du processus politique. Mais ce paragraphe ne devrait pas être considéré comme une victoire pour le Maroc, car il contient simplement le même langage utilisé quasiment dans toutes les résolutions adoptées depuis le début du processus politique en avril 2007.

La seule exception à cette pratique fut dans la résolution 2285 de 2016, lorsque le Conseil de sécurité avait pris note de la proposition du Maroc sur l’autonomie et de la contre-proposition du Polisario sans vanter les efforts du Maroc pour faire avancer le processus politique.

L’Algérie n’est plus un pays “voisin”

Ceci étant dit, le Conseil de sécurité a une fois de plus inclus l’Algérie sur un pied d’égalité avec le Maroc. Le principal changement important apporté par la nouvelle résolution est le fait qu’elle mentionne l’Algérie cinq fois, trois fois dans le préambule et deux fois dans les paragraphes du dispositif. Mentionner l’Algérie à cinq reprises dans la résolution a un poids politique significatif et indique que le Conseil de sécurité s’achemine progressivement à considérer l’Algérie comme une partie à part entière du conflit.

Depuis le début du processus politique onusien jusqu’en octobre 2018, l’Algérie n’avait été mentionnée dans aucune résolution du Conseil de sécurité sur le conflit. La diplomatie marocaine s’est efforcée inlassablement de convaincre le Conseil de sécurité de se rendre à l’évidence que le Polisario n’existerait pas sans l’appui militaire, financier, diplomatique et logistique de l’Algérie.

La première fois que le Conseil de sécurité a inclus l’Algérie dans une résolution sur le conflit fut dans la résolution 2440 d’octobre dernier. Cette résolution a mentionné l’Algérie à trois reprises. Le fait que le Conseil de sécurité mentionne l’Algérie cinq fois dans sa nouvelle résolution est un changement important qui joue en faveur du Maroc.

Par ailleurs, alors que dans le paragraphe sept du préambule de la résolution 2440, le Conseil de sécurité décrivait le Maroc et le Polisario comme “les parties”, et l’Algérie et la Mauritanie comme des ”États voisins”, cette distinction a disparu du paragraphe sept du préambule de la nouvelle résolution, laquelle décrit les quatre parties sur un pied d’égalité.

Nouvel accent sur le compromis

L’autre changement majeur réside dans le paragraphe six du préambule. Dans sa résolution 2440, le Conseil de sécurité avait réaffirmé sa détermination à aider les parties à “parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui permettra l’autodétermination du peuple du Sahara occidental”.

La nouvelle résolution utilise le même langage mais ajoute l’expression “basée sur le compromis”.

Ainsi, dans le paragraphe six de la nouvelle résolution, le Conseil de sécurité réaffirme “sa détermination à aider les parties à trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, basée sur le compromis, qui permettra l’autodétermination du peuple du Sahara occidental”.

Le nouveau libellé indique que le Conseil de sécurité insiste plus que jamais sur le fait que toute résolution devra être adoptée “sur la base du compromis”. La nouvelle résolution souligne en fait la nécessité d’un compromis à cinq reprises.

Pour mesurer le poids politique du nouveau libellé, il convient de le comparer aux résolutions précédentes, en particulier aux résolutions adoptées entre avril 2007 et avril 2017. Durant cette période, à l’exception des résolutions 1754 et 1783 qui ne faisaient pas référence au compromis, la nécessité que les parties entament les négociations dans un esprit de compromis n’a été mentionnée qu’une fois dans toutes les résolutions.

Mais cette tendance a changé avec la résolution 2414, qui a mis l’accent sur le compromis à trois reprises, et la résolution 2440, qui a mentionné ce principe à quatre reprises. De plus, l’insistance sur le compromis fut accompagnée par une insistance sur le besoin impérieux pour les deux parties de faire montre de réalisme afin de parvenir à une solution politique mutuellement acceptable.

Alors que dans chacune des résolutions adoptées entre avril 2008 et octobre 2018, la nécessité de faire preuve de “réalisme” n’avait été évoquée qu’une seule fois, elle a été mentionnée à deux reprises dans la résolution 2440. En outre, cette résolution a ajouté un nouveau libellé insistant sur la nécessité pour les parties de “parvenir à une solution politique réaliste, réalisable et durable, basée sur le compromis”. Ce libellé a été confirmé dans la résolution 2468.

Le référendum n’est plus une option

N’en déplaise à l’Algérie et au Polisario, la nouvelle tendance au Conseil de sécurité indique que l’option du référendum n’est plus à l’ordre du jour.

Cela explique pourquoi la Russie, qui s’est abstenue lors du vote, a exprimé son mécontentement face au libellé de la nouvelle résolution. Dans son explication du vote après l’adoption de la résolution 2468, le représentant de la Russie a déclaré que son pays rejetait “les tentatives visant à préjuger du cours des négociations ou à modifier les paramètres déjà convenus”.

Le représentant de la Russie s’est dit préoccupé par le fait que les amendements de la nouvelle résolution “sapent le rôle neutre du Conseil”. Toutes les tentatives visant à rétablir “le langage déjà convenu ont été ignorées”, a-t-il ajouté.

Le représentant de l’Afrique du Sud a exprimé le même niveau de frustration. Tout en expliquant pourquoi son pays s’est abstenu, il a déclaré que le nouveau libellé donne “peu de clarté sur l’utilisation de termes tels que ‘réaliste’ et ‘réalisme’, ainsi que ‘compromis’” et a déploré que la nouvelle résolution tente d’influencer “indûment l’orientation du processus politique, et de préjuger du résultat final des négociations”.

Le diplomate sud-africain a en outre regretté que la nouvelle résolution ne fasse aucune distinction “entre les parties au conflit - à savoir le Maroc et le Front Polisario - et les États voisins, l’Algérie et la Mauritanie”.

Le Maroc s’adapte à la présence de John Bolton

Ce nouveau développement montre que le Maroc s’est bien adapté à la présence de John Bolton dans l’administration Trump et a réussi à contrecarrer toutes les tentatives visant à réduire à néant les acquis diplomatiques accomplis par Rabat ces dernières années.

Quelques jours après l’adoption de la résolution 2440 en octobre dernier, l’Algérie a signé un accord de lobbying avec Keene Consulting, qui appartient à David Keene, ami de Bolton et partisan de longue date du Polisario. L’Algérie a cherché à utiliser l’amitié de Keene avec Bolton pour faire pencher la position américaine sur le Sahara en sa faveur.

Mais à la lumière du langage introduit dans la nouvelle résolution, l’Algérie a, jusqu’à présent, perdu cette bataille. Keene Consulting et Foley Hoag - le principal cabinet de lobbying algérien – ont échoué dans leur mission de faire changer le langage de la résolution 2440 et de supprimer toute mention de l’Algérie dans la nouvelle résolution. Bien plus, le Conseil de sécurité a enfoncé le clou et semble déterminé à considérer l’Algérie comme une partie à part entière du conflit.

Ce nouveau développement indique également que malgré les apparences et l’imprévisibilité de l’administration Trump, le Maroc peut toujours compter sur ses amis au sein de l’establishment politique, militaire et sécuritaire américain, qui le considèrent comme un allié incontournable des Etats-Unis en Afrique et dans la région arabe et s’opposeraient à toute décision qui pourrait menacer la stabilité du Maroc ou mettre l’alliance stratégique américano-marocaine en péril.

Ce que les abstentions de la Russie signifient

Malgré les efforts consentis par le Maroc pour préserver ses acquis, une solution politique finale au conflit en sa faveur n’est toujours pas à portée de main. Le vote de mardi sur la résolution 2468 laisse à penser que même si les États-Unis adoptaient une position clairement en faveur du Maroc, la Russie s’opposerait à un tel scénario.

Le fait que la Russie se soit abstenue quatre fois depuis 2016 indique que si les États-Unis essayaient d’imposer le plan d’autonomie marocain comme seule base de négociation, la Russie pourrait utiliser son droit de veto.

Ce qui réduit encore les chances de trouver une solution dans un future proche, c’est que même au sein du gouvernement américain, il n’y a pas de clarté ni d’unanimité sur la position américaine sur le conflit.

Plus de deux décennies après que Washington a exhorté Rabat à présenter une proposition d’autonomie et s’est engagée à la soutenir comme seule base d’une solution future, elle n’a pas tenu sa promesse.

En raison de l’impact des lobbyistes et des groupes de pression dans la politique étrangère américaine et de l’existence de points de vue opposés même au sein du département d’Etat américain, la position américaine sur le Sahara est passée de considérer le plan d’autonomie du Maroc comme seule solution envisageable au conflit à le considérer simplement comme “une solution” qui pourrait aider à le résoudre.

Avec le poids de John Bolton dans l’administration Trump et son désir de laisser son empreinte sur le conflit, les chances d’un appui américain clair et résolu à la position marocaine sur le conflit sont inexistantes. Les Algériens sont conscients de cela et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher le Maroc de parvenir à une solution politique sur la base de son projet d’autonomie.



Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/ce-que-la-re...

Samir Bennis