Boycott de produits: Comment analyser la campagne anti-lait

Vendredi 4 Mai 2018

Refus de consommation d’un produit ou d’un service, intention de nuire à une personne ou à une entreprise, dénonciation d’une situation particulière ou encore guerre commerciale, le boycott a pour but final de déstabiliser sa cible. Quelle est la stratégie à mettre en place face à une campagne de boycott? Quels sont ses impacts? Comment réagir face à un boycott? Comment analyser ses soubassements.

Le terme boycott remonte à 1879 et vient du nom de Charles Cunningham Boycott, un intendant irlandais qui traitait mal les fermiers d’un riche propriétaire terrien du comté de Mayo. Pour dénoncer ce traitement, les fermiers décidèrent alors de faire un blocus. Ce qui donne alors lieu au premier boycott de l’histoire.

Le boycott traduit le refus clairement exprimé de consommer un produit ou un service d’une entreprise ou d’un pays, le refus de participer à une activité citoyenne (une élection) ou encore le refus de participer à un événement (conférence, débat). Il est souvent associé à une action de déstabilisation, voire même de désinformation lorsqu’elle est délibérément basée sur de fausses informations. Les appels à boycott sont très répandus à travers le monde mais  ne connaissent pas tous le même succès, du moins en l’absence d’une stratégie précise et de techniques spécifiques.

Lancer une «bonne» campagne de boycott exige des prérequis tels que la définition de l’objectif, du produit à cibler, des canaux pour relayer le boycott, des résultats idéalement attendus, du scénario alternatif, du timing, de la durée et du risque légal encouru.

Dans le cas de la campagne anti-lait au Maroc par exemple,  c’est la première fois où un appel à mobilisation semble bien suivi par les consommateurs. Il y a déjà eu par le passé des campagnes de boycott contre des marques marocaines, dans le secteur aérien, bancaire ou celui des télécommunications.

Sans que celles-ci cependant aient de l’ampleur.  Pourquoi alors celle du lait semble avoir un impact plus important? La réponse réside dans la nature du produit lui-même, le timing et le support de communication utilisé. D’abord la nature du produit. Contrairement à un produit bancaire, un billet d’avion ou un téléphone, le lait est un produit de première nécessité. 

Ensuite le timing c’est celui de l’approche du Ramadan, période qui connaît des hausses de prix dans certains produits alimentaires compte tenu d’une forte demande. Même si le lait n’est que très rarement touché par ces hausses soudaines de prix (les pouvoirs publics décrétant au contraire des baisses de droits de douane pour encourager l’import et éviter les pénuries), il suffit de citer ce produit dans un contexte de hausse de prix pour que la magie s’opère.

Dans le monde de la communication d’influence, ce genre de pratique est désigné sous le nom de PSYOP (psychological operations). Cet acronyme désigne des opérations psychologiques qui consistent à utiliser des informations données pour influencer le raisonnement logique et les émotions d’une population. Utilisées à la base par l’armée américaine pour préparer leurs interventions, les PSYOP sont désormais déployées dans le domaine économique, diplomatique et commercial.

Enfin, le support de communication utilisé. Le boycott a été lancé via Facebook et ses 13 millions d’utilisateurs  au Maroc. Ce qui confirme la volonté de toucher un large public sans aucune restriction d’âge, de sexe, ou de zone géographique. Très souvent, le premier réflexe est celui du communiqué de presse (CP). Mais comme le dit la citation arabe «Ne méprise pas ton ennemi pour petit qu’il te semble» car le CP ne fonctionnera pas. Pire, pareille attitude peut attiser encore plus les consommateurs et les pousser à agir de manière plus violente car ils se sentiront ignorés.

La communication de crise et le contre-boycott supposent un passage à travers de supports sérieux, respectés et reconnus pour leurs travaux journalistiques. Ce n’est pas tant la quantité qui compte ici mais plutôt la qualité du média. Les autorités officielles et publiques ou les marques concernées ne doivent pas être les seules à réagir.

Cela n’aura qu’un impact très limité. Les consommateurs ne vont pas croire le discours des marques qu’ils boycottent ou des autorités qui soutiennent ces mêmes marques. Là encore il faut se mettre en condition et utiliser les mêmes armes que le boycott: PSYOP, relais, influenceurs ainsi que la population elle-même. Ne l’oublions pas, l’ensemble des Marocains ne participent pas au boycott.

Des personnalités respectées et aimées du public peuvent aussi expliquer le rôle de la filière et son impact social sur les familles qui en vivent. Sur l’élément déclencheur, ou supposé tel dans le cas du lait, c’est-à-dire le risque d’augmentation des prix durant le Ramadan, le gouvernement peut jouer son rôle en rassurant la population à travers des campagnes de communication sur les engagements pris en matière de contrôle des prix.

Un numéro vert, une plateforme en ligne pour interagir avec le consommateur en cas de pratique frauduleuse seraient également bienvenus. Rétablir la confiance du consommateur est la meilleure approche pour contrer ce boycott.

 L’art de la duperie

Pourquoi ce boycott?  La réponse qui est la plus évidente dans le cas du lait renvoie aux cibles qui seraient visées. Une première piste conduit vers les attaques personnelles contre des personnalités politiques et économiques. Logique, simple et compréhensible par les consommateurs. Une deuxième mène vers le produit,  le lait dans le cas d’espèce  ou la filière lait.
Une troisième explication peut se situer entre les deux premières. La campagne de boycott peut alors s’appuyer sur une cible principale et parfois une cible dite publique. Cette dernière doit être évidente aux yeux de tous afin de cacher la première. Dans le cas du boycott du lait, nous n’insinuons pas l’existence d’une cible cachée. En revanche, une analyse globale conduit à explorer toutes les hypothèses. Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie (Sun Tzu).

                                                                    

L’impact potentiel: Des risques pour… le consommateur aussi!

AZIZ Akhannouch, ministre de l’Agriculture, a déclaré que la filière contribue à hauteur de 6% du PIB agricole avec un chiffre d’affaires de 10 milliards de DH et assure 470.000 emplois.  Si les consommateurs marocains se détournent du lait, cela aura un impact d’abord sur les 90% d’exploitations laitières qui comptent moins de 10 vaches.

Une baisse de consommation impliquera une baisse de vente et du coup une baisse d’achat de matière première chez ces petites exploitations. Résultats directs: perte d’emploi, risque de faillite, problèmes économiques et sociaux. Ne pouvant pas se priver de lait, le consommateur pourrait chercher d’autres alternatives aux marques boycottées. Dans les villes frontalières du Royaume, le risque de recours à des produits de contrebande est fort. 

 Au-delà de la perte fiscale liée à ce type de commerce, il faut également intégrer le risque sanitaire tant le lait est un produit fragile. Des concurrents des marques boycottées ou de nouveaux arrivants peuvent aussi profiter de la situation pour mieux se positionner.

 



Source : http://leconomiste.com/article/1027713-boycott-de-...