Ahmedou Ould Abdallah souhaite un renforcement des consensus nationaux et régionaux

Lundi 7 Mai 2018

L’ancien représentant spécial des Nations unies pour l’Afrique, Ahmedou Ould Abdallah, dresse les contours de l’action à mener dans la région. Rien ne sera possible, à son sens, sans une action concertée des pays du G5 Sahel.

Propos recueillis par Guillaume Weill-Raynal

Comment jugez-vous l’état de la menace dans la région du Sahel ?

Cette menace est sérieuse. Pourquoi ? Parce qu’elle est ancienne. Elle date d’au moins 2005, année où ont commencé les premières prises d’otages et les premiers paiements de rançons.

Elle est sérieuse, également, parce qu’elle n’est pas concentrée sur un seul pays, même si le Mali peut en être considéré comme l’épicentre. Toute la bande sahélienne est concernée – de la côte Atlantique jusqu’à la mer Rouge – et constitue le coeur de cette menace.

Quelle stratégie élaborer pour éviter que le Sahel ne devienne l’« Afghanistan de l’Afrique » ?

C’est la question que tous les Sahéliens (gouvernements, sociétés civiles, et leurs amis) doivent se poser. La menace, en effet, ne doit pas être prise à la légère. Nous avons vu comment les activistes et les terroristes, descendus de l’Algérie ou venant d’autres pays comme la Libye, se sont focalisés sur le Sahel central.

Nous devons donc mener une action à plusieurs niveaux, en premier lieu, au niveau national, en élargissant la base des régimes politiques et des consensus nationaux. En second lieu, nous ne pouvons ignorer l’importance d’une armée, d’une police et d’une gendarmerie professionnelles.

Troisièmement, nous devons renforcer sans exclusive le consensus régional entre le Sahel et les pays du Maghreb : c’est-à-dire, avec la participation de l’Algérie naturellement, mais aussi du Maroc et de la Tunisie. Enfin, tout cela ne peut se faire sans prendre en compte, profondément et sérieusement, le rôle de la communauté internationale, c’est-à-dire de la France, de l’Union européenne, et des États-Unis.

Mais les États ont de faibles moyens face aux dimensions insaisissables et incontrôlables de l’espace sahélien…

Vous avez raison : le Sahel est plus vaste que l’Europe. C’est précisément la raison pour laquelle nous devons renforcer les consensus. C’est ce qu’a fait l’Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale : constituer des gouvernements d’union nationale, des fronts communs.

Nos pays ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! Les gouvernements doivent être soutenus pour pouvoir travailler, mais ils doivent aussi s’ouvrir aux partis, aux personnalités, à la société civile et aux hommes d’affaires.

Ce consensus permettrait d’intégrer les populations marginalisées, celles des frontières. Il n’est pas envisageable de revenir au système du Parti unique. Tout parti, dès lors qu’il parvient au pouvoir, bénéficie d’une totale légitimité.

Au regard du bilan de ces dernières années, si la diplomatie militaire a stoppé le péril, celui-ci ne s’en est pas moins diffusé dans toute la région. L’approche sécuritaire est-elle suffisante ?

Elle est indispensable, mais pas suffisante. Elle est indispensable, car sans elle, les populations affluent dans les capitales. Mais elle restera bancale sans ce consensus sur l’union nationale dans chaque pays.

Je ne vous parle pas d’un partage du pouvoir au niveau exécutif, mais il faut au moins associer et informer la base, pour que les minorités nationales et les personnalités se sentent concernées et impliquées dans le processus.

Il n’est pas possible de faire la paix sans un minimum de présence militaire, mais au niveau national, le militaire implique une armée professionnelle et intégrée, et non pas l’armée d’un clan, d’une tribu, d’une région ou d’une religion.

Cette volonté d’inclure, de rassembler, d’unir et de développer les régions exige des moyens que les États n’ont pas…

C’est vrai que les besoins sont énormes. Et le développement des moyens de communication accroît encore la demande et les besoins des populations, presque de manière irrationnelle.

Mais cela rend d’autant plus nécessaire, non pas le partage du pouvoir, mais l’équilibre des consensus et des ententes au niveau national ainsi qu’au niveau régional, à l’image par exemple du G5 qui permet d’établir des passerelles entre les différents groupes de pays. Il faut éviter l’éparpillement.

Mais le G5 Sahel peut-il constituer l’étalon d’une professionnalisation et d’une maîtrise de l’espace sahélien ?

Il n’est pas possible de multiplier les interventions et que chacun aille de son côté sans provoquer de la confusion et du cafouillage. Il faut éviter le trop-plein d’acteurs. Il faut toujours un acteur principal. Non pas qui soit le chef de tout, mais qui harmonise. Je ne dis même pas « coordonner », ce qui impliquerait une subordination.

Je dis seulement « harmoniser », pour que tout le monde aille militairement et politiquement dans la même direction, comme cela se passe avec le G5 Sahel, dans un contexte accepté par tout le monde, et dont le secrétaire général jouit d’une grande expérience internationale. Ce rôle d’harmonisateur est indispensable si l’on veut réussir.

Le G5 Sahel peut-il créer une culture de la vision stratégique et militaire, de la planification multilatérale, pour pouvoir faire face à la menace ? Les pays du Sahel sont-ils capables d’entrer dans cette vision commune ?

C’est très difficile car cela ne correspond pas à la culture politique de la région, qui est plutôt individuelle. C’est légitime dans la mesure où chaque État cherche à défendre ses intérêts immédiats.

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Bruno Fanucchi