2020, l'année où la lutte contre l’Islam radical a focalisé le débat politique et sociétal en France

Jeudi 17 Décembre 2020

​Paris - «La lutte contre le séparatisme » ou la « lutte contre l’Islam radical» sont deux sujets ayant focalisé le débat politique et sociétal en France en 2020 et dont les échos ont transcendé l’Hexagone.


Deuxième religion de France en nombre de pratiquants, l’Islam a de tout temps suscité des débats passionnés dans ce pays, dont le ton augmente à l’approche de chaque échéance électorale. Mais durant l’année qui touche à sa fin, il a pris des allures encore plus vives devenant un sujet de prédilection des politiques et des médias.

La question est tellement épineuse que les différents gouvernements qui se sont succédé ont échoué à y trouver une réponse tant le sujet est d’une sensibilité poussée à l’extrême. Mais le Président Emmanuel Macron, qui en avait fait l’une des promesses phares de sa campagne électorale et qui lui aussi n’avait pas dérogé à la règle en la repoussant à maintes reprises, a décidé de prendre la question à bras-le-corps, déterminé à la mener jusqu’au bout en dépit des passions qu’elle suscite aussi bien chez la classe politique qu’au sein de la communauté musulmane.

Annoncée depuis 2018, la très délicate question de la lutte contre l’Islam radical ressurgit également à chaque attaque ou attentat perpétré en France. Elle a été remise sur le devant de la scène en 2020 à l’approche des Municipales, avec les annonces du chef de l’Etat français en février à Mulhouse.

"Lutter contre le séparatisme", "notre ennemi", sans pour autant "faire un plan contre l'islam", ce qui "serait une faute profonde", "ni stigmatiser" les musulmans: voilà les grandes lignes de la déclaration d'Emmanuel Macron dans ce discours où il a annoncé que "L'islam politique n'a pas sa place" en France et que "le séparatisme islamiste est incompatible avec la liberté et l'égalité, incompatible avec l'indivisibilité de la République et la nécessaire unité de la nation".

Dans la foulée, il a annoncé qu’un projet de loi sera présenté en Conseil des Ministres le 9 décembre, pour "renforcer la laïcité et consolider les principes républicains". La réforme, qui a fait couler beaucoup d’encre, et le fait toujours, se veut ambitieuse. Elle a notamment pour vocation de restructurer les associations cultuelles, garantir leur autonomie financière et idéologique, recruter et former en France les imams et les acteurs religieux, lutter contre les discours fondamentalistes et extrémistes… Tout cela sans stigmatiser la communauté musulmane : un chantier vaste mais des plus périlleux et une ligne de crête qui nécessite beaucoup d’équilibrisme de la part de l'exécutif.

L’entreprise est certes ambitieuse mais est-elle bien préparée ? Le gouvernement dispose-t-il des moyens à même d’en assurer la réussite ? Comment compte-t-il s’y prendre ? Comment garantir l’autonomie financière des mosquées, des associations cultuelles ? Quid de leur autonomie idéologique ? Et la formation des Imams ?, Comment lutter contre le séparatisme islamique ? Pourquoi et comment, la France en est-elle arrivée à cela ? Autant de questions qui ont été décortiquées, tout au long de l’année, sur les plateaux TV, sur les pages des journaux et sur les radios de l’Hexagone.

Le débat va devenir encore plus virulent alors que s’ouvrait, début septembre, le procès des attentats de 2015 contre Charlie Hebdo. Dans un geste de défi, la rédaction du journal satirique décide de republier les caricatures attentatoires au prophète de l’Islam. Le débat se crispe encore plus entre ceux qui sont favorables à la republication des caricatures au nom de la liberté d’expression et ceux qui sont contre, craignant une dégradation du climat sécuritaire. La société française se polarise et le débat atteint son paroxysme avec une attaque au hachoir le 25 septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo à Paris, qui a fait deux blessés.

Le 2 octobre aux Mureaux dans les Yvelines, Emmanuel Macron prononce un discours dans lequel il réaffirme, de nouveau, la nécessité de "s’attaquer au séparatisme islamiste". Il souligne également que l’islam traverse "une crise" dans le monde entier, que l’extrémisme se diffuse parmi les musulmans et qu’il y a un risque de voir des musulmans français constituer des contre-sociétés. Des propos qui passent mal dans le monde musulman et qui vont valoir au Président français d’acerbes critiques.

Le 16 octobre, en région parisienne, Samuel Paty, un professeur d'histoire, qui avait montré des caricatures dans le cadre d'un cours sur la liberté d'expression, est découvert décapité à proximité de son établissement. L'attentat, perpétré par un jeune réfugié tchéchène, en particulier son mode opératoire et sa cible, déclenche un vif émoi dans l'opinion publique et la classe politique. Il suscite également une large condamnation de la communauté internationale qui exprime sa solidarité avec la France.

Le 21 octobre, lors d’une cérémonie d'hommage national à la Sorbonne à ce professeur, le Président français réaffirme, encore une fois, sa volonté de ne pas renoncer à la lutte contre l’Islam radical. Dans la foulée, il annonce aussi que la France ne renoncera jamais aux caricatures, au nom de la liberté d’expression. Une position là aussi mal comprise dans le monde musulman et qui va engendrer une crise internationale. Les condamnations des propos d’Emmanuel Macron vont fuser de partout et des manifestations et appels au boycott des produits français vont se multiplier notamment dans de nombreux pays musulmans.

Face au tollé suscité par ses déclarations, le Président français s’exprime, le 31 octobre, sur la chaîne Al-jazeera pour tenter de désamorcer la crise avec le monde arabo-musulman. Il diligente aussi son chef de la diplomatie pour des tournées d’explication dans plusieurs pays du monde musulman. Début novembre, il publie dans le quotidien britannique Financial Times une tribune pour expliquer que «la France se bat contre le séparatisme islamiste, jamais contre l'islam».

Malgré ce climat de crispation, le président français décide de poursuivre son entreprise et demande au gouvernement de peaufiner le projet de loi contre les "séparatismes" et l'islam radical, voulu par Emmanuel Macron comme marqueur politique avant 2022, date de tenue de la Présidentielle.

Après plusieurs débats sur l'appellation du projet de loi, le texte va s'intituler finalement et sobrement, "projet de loi confortant les principes républicains". Ce texte sera bien sûr destiné à lutter contre l'islam radical et les "séparatismes" mais pas que. Il arrivera à l’Assemblée nationale en février 2021 et ensuite au Sénat.

Selon les médias du pays, qui ont eu accès à l’avant-projet de Loi, le texte reprend en partie la réforme de la loi de 1905 sur la laïcité (préparée en 2018 et abandonnée pendant la crise des gilets jaunes), sans en modifier les grands équilibres. Ses principales mesures visent à mieux organiser et encadrer le financement du culte musulman (provenant souvent de l’étranger), pénaliser davantage ceux qui obligent une personne à pratiquer un culte, renforcer le contrôle des écoles hors contrat et des associations sportives etc.

Parallèlement, l’exécutif durcit le ton contre l’Islam radical et annonce une offensive tout azimut contre les « mosquées séparatistes », plaçant pas moins de 76 mosquées sous contrôle. Une mise sous surveillance de l’islam qui risque, selon les observateurs, d’accroître, encore plus qu’elle ne l’est, la défiance des musulmans de France qui ont l’impression d’être stigmatisés et jetés en pâture chaque fois que le pays se prépare à une échéance électorale dans un contexte de montée de l’extrémisme de Droite.

Comme en 2020, le débat s’annonce donc également passionné pour 2021, une année charnière où les différents candidats qui auront annoncé leur volonté de briguer la Présidentielle d’avril 2022, vont mettre à profit pour convaincre les électeurs

MAP - Jalila AJAJA