VALCRI, l’intelligence artificielle européenne qui murmure à l’oreille de la police criminelle

Mercredi 13 Juin 2018

Toutes les polices du monde n’ont malheureusement pas leur Michelle McNamara, du nom de cette journaliste passionnée de faits divers qui aura permis, avant sa soudaine disparition, l’identification du tueur du Golden State, auteur de douze meurtres, 50 viols et 100 cambriolages, commis entre 1976 et 1986. Grâce à un travail colossal – un travail qui aura fini par la tuer, dirons certains – et à un entêtement hors normes, la quadragénaire était parvenue à ressortir l’affaire des cartons et à conduire la police à l’inculpation, en avril dernier, de Joseph James DeAngelo, 72 ans, père de trois enfants et ancien flic à la retraite.

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Non, toutes les polices du monde n’ont pas leur Michelle McNamara. En revanche, celles d’Anvers, en Belgique, et des Midlands, une région de l’Ouest du Royaume-Uni, ont VALCRI. VALCRI, pour Visual Analytics for Sense-making in CRiminal Intelligence analysis, est un système semi-autonome sémantique d’analyse de renseignements criminels. Autrement dit, une intelligence artificielle dont le but est d’aider la police criminelle à résoudre ses enquêtes, en explorant, entre autres, des pistes sur lesquelles des agents de chair et d’os ne se seraient pas forcément aventurés, faute de temps, de moyens, d’impartialité… et sans doute d’extravagance, dans certains cas.

Selon le rapport de la Commission sur les attentats du 11/9, "l'échec le plus important de l'Amérique fut celui de l'imagination". VALCRI, lui, a donc été pensé pour songer à ces théories que personne – à l’exception des criminels eux-mêmes – n’aurait pu sortir de son esprit. Et donc pour n’exclure aucune hypothèse, ne manquer aucune connexion à établir, même si celle-ci, en apparence, n’avait rien d’évident.

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Valcri

Financé par un consortium d’institutions publiques et de 18 entreprises privées, le programme informatique, encore en phase de développement, n’a jamais poussé aussi loin les technologies d’analyse du renseignement criminel. D’abord parce qu’il a d’abord fallu lui faire "avaler" près de 6,5 millions de dossiers anonymisés, chacun composés de rapports de police, de photographies, d’enregistrements audio ou encore de vidéos. L’équivalent, ceci dit, d’à peine trois ans d’affaires. Une fois ce matériel nécessaire à son apprentissage ingurgité, VALCRI a pu commencer à s’atteler à ses différentes missions : reconstruire des situations, formuler des hypothèses et suggérer des pistes d’investigation.

Ne négliger aucune piste, même la plus improbable

De nos jours, et depuis bien longtemps, toute enquête de police qui se respecte débute par une consultation des bases de données vouée à établir d’éventuelles corrélations avec des affaires passées. Similarités dans le mode opératoire, dans le profil des victimes, les zones géographiques ou encore les temporalités… Il s’agit de retourner la moindre pierre. "Un analyste expérimenté doit effectuer 73 recherches distinctes pour collecter toutes ces informations, avant de les mettre manuellement en forme pour qu'elles soient compréhensibles. VALCRI, lui, peut le faire d’un simple clic", explique Neesha Kodagoda, chercheuse qui compte parmi l’équipe de 103 scientifiques et ingénieurs en charge du projet, au New Scientist.

Similarités dans le mode opératoire, dans le profil des victimes, les lieux ou les temporalités : il s’agit de retourner la moindre pierre

"On pense généralement qu’une enquête criminelle consiste à relier les points, mais c'est un peu réducteur", ajoute William Wong, professeur de sciences informatiques à l’université du Middlesex de Londres et tête pensante de VALCRI. "La partie difficile est de savoir quels points doivent être connectés." Ces points à relier, justement, nécessitent aussi d’apparaître de manière claire aux enquêteurs – on conviendra que traiter de la data en grande quantité n’a que peu d’intérêt si les résultats obtenus sont incompréhensibles pour l’homme. Plus important encore : les enquêteurs doivent être en mesure de saisir ce qui a poussé la machine à construire un tel scénario. Ainsi, VALCRI a été conçu pour livrer ses conclusions sur deux écrans tactiles, constituant "l’espace de travail de raisonnement".

Celui-ci est lui-même découpé en trois parties : l’une destinée à la navigation à travers données, une autre à leur analyse, et enfin, une dernière où sont affichées les hypothèses formulées par l’IA, sous forme de textes, de graphiques, de cartes, ou même de reconstitutions spatio-temporelles. Tantôt autonome, tantôt assistée, VALCRI devrait logiquement améliorer ses performances avec l’expérience, comme le veut sa nature perfectible d’intelligence artificielle.

Une mise en service semée d'embûches

Si le programme parvient à tenir ses promesses, il n’est pas sans poser quelques problématiques. La principale se situe au niveau légal : le risque qu’un tribunal juge comme non-recevables des preuves collectées par une intelligence artificielle n’est pas à exclure, quand on sait à quel point le statut juridique de ces technologies reste flou, voire absent. Il faudra aussi partir du principe que dans le cadre d’un procès où seront présentées les conclusions de VALCRI, les données traitées n’auront pu rester anonymes.

Enfin, quid des enquêtes transfrontalières, qui impliquent l’entrée en jeu de lois concernant la protection des données différentes d'un pays à l'autre ? Aussi frustrant que cela puisse être, le partage d'informations sera parfois impossible...

Des "analystes criminels virtuels" qui ne datent pas d'hier

C’est loin d’être la première fois que ce type de technologie vient au renfort de la police. Le logiciel Anacrim (son nom est en réalité "ANB", Anacrim étant le nom de la méthode) à qui l’on a attribué l’année dernière de nouveaux rebondissements dans l’affaire Grégory, existe par exemple depuis 1990. Celui-ci est notamment utilisé dans les dossiers particulièrement volumineux ou complexes, et permet d’aller chercher plus rapidement l’information. Dans le cas de l’affaire Grégory, Anacrim avait ainsi relevé des contradictions jamais remarquées auparavant, et ciblé plusieurs suspects jusqu’ici oubliés.

Les IA s’immiscent de plus en plus au sein des forces de l’ordre, non sans soulever critiques et inquiétudes

Plus largement, les intelligences artificielles s’immiscent de plus en plus au sein des forces de l’ordre, non sans soulever critiques et inquiétudes. Aux États-Unis, la police de la Nouvelle-Orléans a récemment signé dans le plus grand secret un contrat avec Palantir, une société de la Silicon Valley à la réputation sulfureuse. Ensemble, ils ont mis au point un logiciel prédictif de lutte contre le crime qui s’appuie sur la banque de données municipale et qui permet, entre autres, de prédire la probabilité qu'auront des individus à commettre des actes violents ou à devenir des victimes. Sans surprise, l’outil a fait couler de l’encre.

En Chine, dans la région troublée du Xinjiang, les autorités chinoises irait jusqu’à utiliser un algorithme pour procéder à des arrestations préventives, d’après des affirmations de l’ONG Human Rights Watch (HRW). Heureusement, VALCRI s'en tient pour le moment à fouiller dans le passé. Pas à tenter de prédire l'avenir.

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VALCRI, l’intelligence artificielle européenne qui murmure à l’oreille de la police criminelle
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Image d'illustration.
Steve Smith/Getty
Marine BENOITTech & businessIntelligence artificiellePoliceCriminalitéCriminologieEnquêteUnion européenneTechnologiemash-fr240Mercredi, juin 13, 2018 - 15:004Ce programme informatique système financé par l'Union européenne et actuellement testé par les polices d'Anvers et des Midlands se charge de réaliser le laborieux travail d'un analyste criminel en quelques secondes, sans omettre une seule piste.0,0,0facebook|:|http://f24.li/11XK.F|*|twitter|:|http://f24.li/11XK.T|*|googleplus|:|http://f24.li/11XK.G|*|linkedin|:|http://f24.li/11XK.L|*|whatsapp|:|http://f24.li/11XK.W|*|email|:|http://f24.li/11XK.E|*|global_shorty|:|http://f24.li/11XK

Source : http://mashable.france24.com/tech-business/2018061...

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