Quatre questions à Anasse Bari, concepteur d'un outil d’IA pour lutter contre le COVID-19

Lundi 20 Avril 2020

New York – Professeur d'informatique et d’analyse prédictive à la prestigieuse université de New York (NYU), le Marocain Anasse Bari a pu développer un outil d’intelligence artificielle (IA) permettant de signaler la gravité clinique des malades du COVID-19 afin d’aider les médecins à déterminer quels patients ont réellement besoin de lits dans les hôpitaux et ceux qui peuvent rentrer chez eux afin de mieux gérer les capacités hospitalières.

Expliquez-nous comment vous est venue l’idée de concevoir cet outil d’intelligence artificielle, et comment fonctionne-t-il ?
Je dirige une équipe de recherche à l'Université de New York qui se concentre sur l'application de l'intelligence artificielle (IA) pour résoudre des problèmes sociaux à fort impact tels que les problèmes des marchés financiers, les épidémies, l'intelligence artificielle émotionnelle, le changement climatique et le bien-être.
Pendant le temps où l’épidémie du nouveau coronavirus est apparue en Chine, j'ai anticipé qu'elle allait émerger comme une pandémie qui aura un impact sur l'économie mondiale et entraînera de multiples décès dans le monde, pour le simple fait que nous vivons dans un monde interconnecté. Au début de janvier 2020, j'ai réuni et dirigé une équipe composée de médecins et d'informaticiens, et ensemble, nous avons établi un partenariat avec deux hôpitaux chinois pour travailler sur des prédictions sur le coronavirus. Notre objectif était de concevoir et de déployer des outils d'aide à la décision en utilisant des capacités d'IA - principalement des analyses prédictives - pour prédire les résultats futurs chez les patients atteints de coronavirus. Nous espérons que l'outil d'IA, lorsqu'il sera entièrement déployé, sera utile aux médecins au moment où ils prédisent les résultats des patients à un stade précoce et évaluent la gravité des cas parmi eux, alors que les ressources hospitalières sont limitées. La finalité est d’aider le médecin à prendre des décisions basées sur les données sur la manière d’allouer les ressources au sein des hôpitaux. Notre objectif est d'aider les médecins et de les doter d'outils d'IA qu'ils peuvent utiliser pour prendre rapidement des décisions basées sur les données (notre objectif n'est pas de remplacer les médecins mais de les aider à prendre des décisions basées sur les données.)

A votre avis, quel est le potentiel de cet outil et quelle différence peut–il faire dans les circonstances actuelles ?
Ma théorie générale sur l'intelligence artificielle est que celle-ci existe pour servir d'extension à l'intelligence humaine et non pas d’un substitut à l'homme. Nous avons atteint un point dans la science où nous pouvons admettre que la façon dont un ordinateur pense est fondamentalement différente de la façon dont un humain pense. C'est pourquoi le jugement humain et la créativité humaine sont plus que jamais nécessaires dans la mise en œuvre de l'IA.
Un système d'IA fera des recommandations et l'homme devra prendre la décision finale de suivre l'IA ou bien «l'homme corrigera l'IA pour qu'elle devienne plus intelligente». Par conséquent, un système d'IA est un processus d'apprentissage constant et les hommes permettent de faire progresser l'apprentissage d'un système d'IA. Souvent dans différents domaines, et surtout comme je l'ai vécu en travaillant sur des projets pour Wall Street, un système piloté par l'IA et supervisé par un homme fait souvent mieux qu'une simple personne. C'est exactement ma vision pour utiliser l'IA dans les soins de santé. Dans ce monde qui évolue très rapidement, il est impératif de changer la stratégie d'investissement dans l'IA et l'enseignement technologique. Dans le domaine des soins de santé, l'objectif est de fournir aux médecins des outils d'aide à la décision dotés de capacités d'IA pour les aider à prendre les bonnes décisions.
La technologie que nous utilisons est connue sous le nom de "Predictive Analytics" ou analyses prédictives, qui est une forme de l'IA. Une technologie qui apprend des expériences passées. Il s'agit d'un ensemble d'algorithmes qui apprennent des données historiques (expérience) afin de faire des prédictions. Ce que nous concevons en matière de soins de santé est une technologie d'analyse prédictive qui apprend des cas de patients testés positifs pour le coronavirus afin de prédire le comportement futur de nouveaux cas. Ainsi, les médecins auraient une vision de l'avenir de ce qui pourrait arriver à ces patients, et sur la base de ces prédictions, les médecins prendront une décision dans le présent (allocation des ressources, qui reçoit des soins immédiats, autres développements cliniques…). 

Est-ce que vous avez déjà commencé à travailler sur les données provenant des hôpitaux de New York?
Comme la ville de New York a maintenant l'un des plus grands nombres de cas de COVID-19 aux Etats-Unis, mon équipe de recherche se concentre désormais sur le travail et la collaboration avec les principaux hôpitaux de la ville. Il reste encore du travail et des recherches à faire en termes de déploiement, de validation et d'affinage de l'outil.

Quel est votre sentiment en tant que Marocain de piloter un tel outil susceptible d'aider à faire la différence face à la pandémie de COVID-19?
Je suis fier en tant que Marocain de diriger une équipe multidisciplinaires à l'Université de New York composée de chercheurs de différentes nationalités et avec diverses expertises en médecine, en intelligence artificielle et en informatique. Notre objectif est vraiment de contribuer à sauver des vies en aidant les médecins à prendre davantage de décisions basées sur les données grâce à l'IA.

MAP