Politiques publiques : Monsieur, faites votre travail !

Mardi 28 Mai 2019

Nabil Adel

Cette brève remise en place peut être le cadre conceptuel à partir duquel nous pouvons envisager le rôle de l’État dans ce qu’on a commencé à appeler «le nouveau modèle de développement» et auquel le Roi Mohammed VI veut faire participer un spectre large d’acteurs politiques, économiques et associatifs. L’intervention de l’État dans la sphère économique au Maroc, que ce soit à travers les plans sectoriels ou à travers les plans généraux quand ceux-ci avaient le vent en poupe, s’est globalement soldée par un échec manifeste.

Cela n’exclut naturellement pas quelques réussites ponctuelles. Mais dans l’ensemble, compte tenu de nos faibles taux de croissance par rapport à des pays qui avaient un niveau de développement comparable au lendemain des indépendances et jusqu’aux années 80, on peut aisément conclure que le succès ne couronna pas l’action publique. Or, toute réflexion sur le « nouveau modèle de développement » doit commencer par une clarification du rôle de l’État dans ce grand chantier. Il devient aujourd’hui impératif, à la lumière des expériences passées, que celui-ci commence par bien assurer les missions pour lesquelles il lève des impôts avant de s’attaquer à la chose économique. Persister sur la même voie interventionniste comme dans le passé, c’est illustrer la définition de la folie selon Einstein, à savoir «faire la même chose et s’attendre à un résultat différent».

Cette politique qualifiée de volontariste au moment de sa mise en œuvre péchait par désordre dans les priorités. En effet, l’intervention de l’État dans l’économie, dont l’efficacité est toujours sujette à débat entre économistes, suppose au préalable que celui-ci assure convenablement ses fonctions régaliennes. Autrement, son action créerait des problèmes là où elle est censée apporter des solutions. C’est malheureusement l’erreur commise par les concepteurs de la politique dite volontariste. Ils pensaient à tort qu’il suffisait que le plan soit bien conçu pour qu’il produise des résultats positifs, confondant ainsi les conditions nécessaires et les conditions suffisantes. La bonne conception d’une politique économique est certes nécessaire, mais elle n’est pas suffisante à en assurer le succès. Cette confusion est d’autant plus inacceptable qu’elle émane d’acteurs ayant pour la majorité une formation d’ingénieurs. Outre cette erreur de priorisation, l’échec de l’intervention publique dans l’économie en général s’explique par la difficulté et le coût élevé de coordination entre les différents intervenants dans la décision publique et la temporalité longue et lente de l’action de l’État. Ces deux limites liées au processus de traitement de l’information dans une économie moderne sont réglées instantanément et à un coût marginal par le marché quand il fonctionne sans entraves. Car, quelle que soit la sophistication des plans étatiques, le marché répondra toujours, mieux et à moindre coût aux trois questions fondamentales que se posent les architectes de la politique économique : Que produire ? Comment ? Et pour qui  ? Ce fonctionnement optimal du marché suppose dans le cas du Maroc que l’État intervienne à quatre niveaux.

Le premier niveau est de veiller à ce que la richesse créée soit le résultat de la prise de risque, des capacités d’innovation et des qualités managériales des entrepreneurs. Le deuxième niveau d’intervention est de limiter les diligences exigées des agents économiques au strict nécessaire et de les affranchir du poids de toute réglementation superflue (et Dieu sait qu’il y en a dans ce pays) qui musèle l’initiative privée et décourage le plus brave des entrepreneurs. Le troisième niveau consiste par l’État à s’imposer le respect de la loi au même titre et peut-être davantage que les autres agents économiques, et qu’il ne soit pas le premier à bafouer ses propres lois, juste parce que ses représentants le peuvent. L’exemplarité des fonctionnaires dans l’application de la loi envoie un signal rassurant aux autres agents économiques et installe le climat de confiance indissociable de l’acte économique. Le dernier niveau d’intervention réside dans l’optimisation du fonctionnement du secteur public et la rationalisation de ses dépenses. En d’autres termes, l’État doit veiller à ce que les tâches effectuées par ses agents soient utiles à la communauté, qu’elles soient effectivement réalisées et que leur qualité soit au moins égale à leur coût.

L’économie de marché opère presque par magie. Dès que le profit apparaît quelque part et que les investisseurs l’apprennent, ils se bousculent pour investir et n’ont besoin d’aucune incitation de la part de l’État pour le faire (ces incitations sont naturellement les bienvenues, mais ne sont pas les déterminants de l’investissement). Dans notre pays, ce ne sont pas les exemples de cet engouement pour l’investissement qui manquent (banques et assurances, télécommunications, immobilier, écoles privées, cafés et restaurants, etc.). Dès que l’acte d’investir devient laborieux, c’est que les opportunités de profit sont incertaines ou que les investisseurs n’ont pas confiance. Or, autant ils peuvent gérer le premier facteur, autant ils sont désarmés face au second qui reste l’affaire exclusive des pouvoirs publics. Aujourd’hui, le secteur privé doit dire à l’État ce que feu Hassan II avait dit au réalisateur français : «Monsieur, faites votre travail et laissez-moi faire le mien».

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Nabil Adel