Mali : Pourquoi l'Algérie s'est-elle empressée d'annoncer un accord?

Mercredi 18 Mars 2015

Bamako - Dès que l'Algérie a annoncé en fanfare un accord de paix au Mali, les observateurs aguerris ont, aussitôt, rétorqué que ce plan de sortie de crise portait, en lui-même, les germes de l'échec, du fait d'avoir volontairement négligé la dimension politique du dossier qui constitue le socle des revendications des principaux mouvements du Nord.


Ce qui a été présenté comme le signe du grand retour de l'Algérie sur la scène africaine allait s'avérer un fiasco aux conséquences désastreuses pour l'image des architectes de sa diplomatie, que l'on s'emploie à présenter comme renouvelée, conquérante et plus performante que jamais.


Et pour mener en bateau les partenaires internationaux, grossièrement induits en erreur sur un sujet aussi complexe que crucial pour l'ensemble du Sahel, les médiateurs algériens ont sciemment sous-estimé le pouvoir de résistance et la marge de manœuvre dont disposent les composantes de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA).

Il est de notoriété publique que les groupes de la CMA ne pouvaient pas s'offrir le luxe de dévier de l'objectif pour lequel ils ont été mandatés par leurs bases, loin d'être tentés par les promesses d'essor économique émanant de l'Algérie, surtout qu'il suffit de franchir la frontière pour constater de visu le flagrant déficit de développement des localités du pays qui veut leur apporter bien-être et prospérité.

Au moment où les populations du Nord, essentiellement des Touaregs, réclamaient un statut d'autonomie, dans le cadre de la souveraineté du Mali, l'accord de paix, rédigé par les soins d'Alger, s'est tout simplement limité à prescrire la mise en place de la régionalisation et à mettre l'accent sur les questions de développement économique.

Cette approche réductrice aux yeux des partisans de l'Azawad a été vivement contestée par la CMA, qui a refusé catégoriquement de parapher le document, en dépit des pressions de toutes les couleurs exercées par la médiation.

Après un temps de réflexion et de concertation, les groupes de la CMA ont fini par juger l'accord d'Alger "insuffisant par rapport aux revendications du peuple de l'Azawad", en ce sens qu'il "ne prend pas suffisamment en compte les aspirations politiques profondes des populations".

En termes plus clairs, les bases de la CMA cherchent une reconnaissance politique et territoriale de leur entité. Les composantes de la Coordination, dont fait partie le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), principal groupe rebelle du Nord-Mali, ont exprimé, sans équivoque, cette vision depuis le déclenchement du processus de négociations, sous l'égide de l'Algérie, qui s'est vue reprocher, à maintes reprises, de faire peu de cas des idées formulées par les parties au dialogue.

La conception de la solution ainsi développée par les influents groupes touaregs ne devrait pas arranger les calculs de la partie algérienne, dont la ligne de conduite était foncièrement guidée par des considérations de géostratégie et conditionnée par des préoccupations d'ordre domestique.

C'est dans cette optique qu'il faudrait comprendre l'empressement de la diplomatie algérienne à clore ces négociations, aussi vite que possible. En s'arrogeant le monopole de la gestion des négociations inter-maliennes, l'Algérie avait surtout en tête d'échafauder une solution taillée sur mesure pour en faire un rempart contre les penchants autonomistes dans ses propres régions du Sud limitrophes du Mali et à dominante Touareg, mais aussi en Kabylie, porte-étendard des berbères dans le nord du pays.

Le stratagème des médiateurs algériens consistait à arracher, à tout prix, un accord qu'on pourrait "vendre" rapidement à la communauté internationale. Dans cette logique, les mouvements du Nord-Mali seraient mis devant le fait accompli et, par la force des choses, acculés à signer le document.

Au bout du compte, l'Algérie aurait fait d'une pierre deux coups: anéantir les espoirs d'autonomie des populations du nord-Mali, tout en leur faisant assumer l'entière responsabilité de tout échec à venir.

Car, si l'Algérie avait cautionné, comme le souhaitent les représentants de l'Azawad, une solution sur la base de l'autonomie au Mali, elle accorderait de facto un blanc-seing au projet présenté par le Maroc pour un règlement définitif du conflit du Sahara, dans le cadre de la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale du Royaume.

De ce fait, la proposition marocaine gagnerait encore en crédibilité et, le cas échéant, deviendrait la voie indiquée pour prémunir les Etats contre la division et les dangers de morcellement. Justement, le temps aurait fini par donner raison au Royaume, qui mettait en garde, depuis de longues années, contre le vent du séparatisme dans la région.

Quand bien même l'Algérie continuera à s'entêter dans l'alimentation de ce différend, quitte à galvauder les intérêts de son propre peuple, certaines élites, aujourd'hui allégées des contraintes du +système+, commencent à prendre conscience de l'alarme tirée par le Maroc, qui se trouve conforté dans sa démarche par les événements survenus au cours des dernières années.

La lecture et l'analyse élaborées par les décideurs marocains de la situation dans la région semblent, en conséquence, les plus proches des réalités sur le terrain, parce qu'elles ne sont pas le fruit d'une velléité belliciste ou d'un quelconque esprit revanchard.

Au contraire, elles sont la quintessence d'une vision et d'une expertise forgées par le temps et aiguisées par l'épreuve nationale durant les années de la guerre du Sahara, avec son lourd tribut aux plans humain et économique.


MAP - Jamal CHIBLI