Les artistes constantinois nostalgiques de leur "Oud arbi" plurimillénaire

Vendredi 9 Mai 2014

Alger - Le "Oud arbi", luth de l'est algérien, dont la facture plurimillénaire a périclité jusqu'à disparaître, est amèrement regretté par les artistes constantinois rencontrés récemment au coeur de la ville à quelques encablures de la célèbre place de Rahbat Essouf.


Dans cette ville, où la musique est considérée comme un membre de la famille, l'instrument de bois et de tripes au plectre taillé dans la plume d'aigle n'est plus qu'une relique que les générations se transmettent pieusement avec les photos jaunies et les secrets de cuisine.


"Avec la disparition des maîtres d'antan et le départ à l'étranger de Ahmed Mehdi, dit "Mahimidatsi", artisan chevronné, à la fin des années 1980, les artisans, souvent dépourvus de moyens financiers ne sont plus que de simples réparateurs d'instruments fabriqués à Alger ou importés de l'étranger", se désole M. Boudida Maâmar, un des derniers luthiers de la cité.

"Des instruments plus maniables fabriqués ailleurs ont remplacé le luth ancien dont la qualité sonore est pourtant prodigieuse", renchérit Kherouatou Kaddour, fils d'une très vieille familles d'artistes constantinois.

L'instrument considéré par les historiens comme le père des luths occidentaux et orientaux, introduit, selon la vox populi, à Cirta, par l'épouse carthaginoise du grand Aguellid Massinissa, était conçu pour être un prolongement du corps de l'interprète.

"Les dimensions de l'instrument dépendaient de la corpulence et de la longueur des doigts du musicien", explique le chanteur de malouf Kamel Bouda.

Sans nacre ni fioritures, d'une sobriété antique, le luth constantinois requérait communément le bois de "Bignoun" (cèdre) pour sa table d'harmonie et le hêtre pour sa caisse de résonance.

Originaire des Aurès ou plus récemment de Scandinavie, le bois était exposé des décennies durant pour son affinage, aux rigueurs du climat saharien ou steppique qui lui conféraient une qualité sonore et une solidité exceptionnelle.

S'ensuivait un rodage de l'instrument par la pratique assidue du musicien. Car "un luth ne révèle sa voix qu'au bout de 15 ans", soulignent les artistes avec une affection toute paternelle.

L'on se souvient encore dans la vieille ville de Belabdjaoui Mejdoub, luthier d'autrefois, qui une fois son ouvrage achevé, n'hésitait pas à en éprouver la solidité en se juchant dessus.

"Cette extrême minutie dans la facture de l'instrument coulait de source car le luthier était souvent à la fois menuisier, luthiste et chanteur. En fin de journée, l'artisan prenait tout son temps pour fignoler avec amour un instrument de musique parfait, entre un café refroidi et une cigarette", se remémorent avec émotion les artistes.

Des maîtres artisans comme Mahmoud Louadfel, Rahmani L'hadi, Djelloul et tant d'autres, ont marqué leur temps tout comme les mythiques instruments du Cheikh Raymond Leiris ou du Cheikh Bestandji , réputés "aux normes".

"Une âme d'oiseau chanteur"

Les plumes les plus longues et résistantes des aigles chassés à même les anfractuosités du Vieux Rocher constituaient un plectre suffisamment vif et solide pour faire vibrer les quatre doubles cordes en boyaux de chats, accordées deux à deux contrairement à celles du luth oriental qui en compte six.

Cet accord (Lem'khaouiya) suivant l'acronyme DAHMAR (deil-hseine-maya-raml : do-la-ré-sol), est selon les artistes rencontrés le signe distinctif des instruments de lutherie les plus anciens de l'humanité.

Le "Oud arbi" de l'est algérien dont des variantes existent en Tunisie et au Maroc, avec ses trois "qamrates" (rosaces) initialement sculptées à même la table d'harmonie, célèbre, ainsi, soutiennent-ils, l'accord du végétal et de l'animal dans cette ville où même les chants de rossignols sont classés par modes.


APS