Le non Maghreb : le coût onéreux d'une union désespérément inopérante

Mercredi 20 Août 2014

Les estimations du coût du non-Maghreb ne se comptent plus. Les recherches universitaires et les travaux des organismes régionaux ou internationaux rivalisent dans l'estimation de ce coût et son impact sur les économies des pays qui composent cet ensemble régional qui, un quart de siècle après sa création le 17 février 1989 à Marrakech, reste désespérément inopérant. 

 

Sur le terrain, l'idéal maghrébin est freiné par la volonté immodérée du régime algérien de contrarier les intérêts du Maroc. Les campagnes haineuses que sa diplomatie mène et auxquelles elle consacre des millions de dollars dans le seul but de séparer le Royaume de son Sahara ne sont pas de nature à favoriser l'union et la concorde.

 

En abritant sur son territoire une entité fantoche qui essaie d'attenter à l'intégrité territoriale du Royaume, l'Algérie viole allègrement l'une des principales dispositions du traité constitutif de l'UMA (article 15). Cet acharnement contre le Maroc et ses intérêts supérieurs prend en otage un projet fédérateur dont les retombées bénéfiques sur les cinq pays ne sont pas à démontrer. 

 

Ainsi, selon le Secrétariat de l'UMA, le blocage du processus d'intégration maghrébine coûtait, à chaque pays de la région, 2 pc de son taux de croissance annuel. De son côté, la Commission économique de l'Afrique considère que l'existence d'une union maghrébine ferait gagner aux cinq pays l'équivalent de 5 pc de leurs PIB cumulés. 

 

Pour sa part, la Banque Mondiale estime qu'une intégration maghrébine plus approfondie (qui prend en compte la libéralisation des services et les réformes du climat de l'investissement) ferait croître le PIB réel par habitant sur une dizaine d'années entre 24 pc et 34 pc, selon les pays.

 

Selon la BM, l'Union du Maghreb Arabe (UMA) pourrait au moins doubler son taux actuel. D'après une étude réalisée tout récemment par cette institution financière mondiale, la non-intégration économique coûte entre 3 et 9 milliards de dollars par an. Une non-intégration, en somme, qui coûte à l'ensemble des économies maghrébines entre 2 à 3 point de PIB tous les ans. 

 

Le Maghreb uni n'est plus une option, mais plutôt une obligation si la région ne veut pas rater le train de la mondialisation , avait averti récemment Simon Gray, directeur du département Maghreb de la BM.

 

Les écarts dans l'estimation s'expliquent par les spécifications des approches méthodologiques de la question, par les différences dans la prise en compte de variables comme la levée des barrières non tarifaires, le commerce des services, l'entrée des IDE... 

 

Le coût du non-Maghreb peut aussi se décliner selon des partitions différentes : énergie, banques, transports, agroalimentaire, éducation, culture ou tourisme. Le commerce entre Etats d'Afrique du Nord équivaut à 1,3 pc de leurs échanges extérieurs, le taux régional le plus bas du monde. 

 

Deux conférences intitulées "du coût du non-Maghreb au tigre nord-africain" et un rapport du Peterson Institute ont amplement mis en relief les avantages dont bénéficieraient les peuples d'une Afrique du Nord dont les frontières seraient ouvertes. Quand on réunit des chefs d'entreprise maghrébins, la plupart n'expriment qu'une envie, celle de pouvoir se déployer dans un espace qui transcende les divisions nationales.

 

Mais au-delà des techniques de quantification, la pertinence de la formule du coût du non-Maghreb, en référence aux travaux sur le coût de la non-Europe, réside dans sa symbolique et dans son message politique. Elle exprime avec force l'impératif d'agir pour la levée de tous les obstacles à l'échange entre les pays de la région, d'aller vers un marché unifié porteur d'une dynamique vertueuse, créateur d'opportunités d'investissements pour les entreprises de la région ou du reste du monde. 

 

La faiblesse actuelle de la part relative des échanges intra-maghrébins (entre 1,2 pc et 2 pc) persistera tant qu'un ensemble de facteurs institutionnels et politiques continueront d'entraver les échanges et que la complémentarité potentielle des économies maghrébines n'est pas progressivement construite.

 

Une intégration économique approfondie peut avoir, à plus ou moins long terme, un impact substantiel sur la croissance économique régionale pour au moins deux raisons. Tout d'abord, il y a des impacts d'économies d'échelle et de concurrence qui rendraient la région plus attrayante pour l'investissement régional et étranger. Deuxièmement, l'intégration réduirait les effets dits de hub-and-spoke entre l'UE et le Maghreb.

 

Ces effets émergent lorsqu'un grand pays ou une région, la plaque tournante ou hub, signe des accords commerciaux bilatéraux avec plusieurs petits pays, les spokes. C'est que l'intégration maghrébine s'inscrit désormais dans un référentiel de régionalisme ouvert. Dans la région coexistent des schémas d'intégration (Nord-Sud, Sud-Sud) qui font état d'intérêts politiques, économiques et stratégiques de nature différente.

 

La multiplicité des accords de libre-échange dans la région crée une confusion dans l'application des normes, favorise un renforcement des barrières non tarifaires, génère des problèmes de mise en œuvre des procédures. Emergent ainsi, avec une importance grandissante, la nécessité d'améliorer l'interconnexion des marchés par la simplification des règles d'origine, la facilitation du commerce, la convergence des réglementations et des instruments de régulation économique. De plus, le gain issu de l'intégration sera plus visible et bénéfique si le progrès vers un marché commun intégré est soutenu par de grands projets d'infrastructures fédérateurs (transport, eau, énergie ) et des projets communs entre entreprises privées maghrébines. 

 

Devant la dimension croissante des enjeux, l'agrégation des capacités politiques s'appuyant sur un potentiel économique d'une taille significative pourra seule prétendre peser structurellement sur l'évolution de la région. A défaut, le Maghreb se fragmenterait en entités protectionnistes hostiles et apparaîtrait comme un espace économique et politique poreux livré aux incertitudes et aux instabilités les plus nocives. D'où l'importance d'agir par une volonté politique sur les facteurs qui déstructurent l'avenir maghrébin et dessiner ainsi des chemins praticables pour une union maghrébine solide, dotée d'instruments aptes à construire un destin solidaire.


Labrim Abdelouahed - MAP