Le Sommet du Commonwealth contre la corruption à Abuja et le casse-tête du recouvrement des avoirs volés

Samedi 19 Mai 2018

Abuja - Lors d'un sommet anticorruption, il y a deux ans, l'ancien Premier Ministre britannique David Cameron avait décrit le Nigeria comme un pays "extraordinairement corrompu". Ce qu'il avait toutefois oublié de mentionner, c'est qu'un grand nombre de fonds volés étaient réinvestis ou stockés dans les banques britanniques ou off-shores.

A Abuja, cette semaine, un sommet du Commonwealth sur le thème de la lutte anticorruption s'est penché sur la possibilité de restituer cet argent au Nigeria et aux pays africains de l'organisation de la couronne britannique.

La secrétaire générale du Commonwealth, Patricia Scotland, estime que le continent africain perd quelque 148 milliards de dollars à cause de la corruption chaque année. Un "tsunami", selon elle.

"Nous savons tous que (...) l'argent siphonné par des pratiques de corruption monstrueuses représente celui que nous n'avons pas pour offrir à nos peuples espoir et aspiration", a-t-elle déclaré au premier jour du sommet.

Le Nigeria, première puissance pétrolière du continent, est placé au 148ème rang des pays les plus corrompus au monde (sur 180) par Transparency International. La corruption y est un "cancer" selon son président Muhammadu Buhari.

Au niveau national, l'Agence de lutte contre la corruption et les crimes financiers (EFCC) saisit régulièrement des biens soupçonnés d'avoir été mal acquis. Le directeur de l'EFCC, Ibrahim Magu, a déclaré avoir récupéré ainsi 500 milliards de nairas.

Mais les conditions controversées dans lesquelles s'opèrent ces saisies, souvent non suivies de procès, soulèvent de nombreuses critiques, notamment au sein du Parlement nigérian. M. Magu, allié du président Buhari, a donc fait des recouvrements de fonds à l'international son cheval de bataille pour redorer l'image de sa lutte anti-corruption.

La tâche est compliquée. Faute d'accords entre pays, il revient à celui où les fonds ont été supposément volés d'apporter les "preuves" de corruption au pays où ils ont été placés: un casse-tête dans des pays où le système judiciaire est souvent défaillant.

Dans un discours lu en son nom lors du sommet, le président Buhari s'est plaint des "complexités" administratives et judiciaires qui entourent le recouvrement des fonds volés.

"La lutte contre la corruption ne sert à rien s'il existe des paradis bancaires où les coupables peuvent déposer leur argent", a regretté le chef de l'Etat.

"Le détournement d'argent est un problème global qui nécessite une collaboration globale", a déclaré M. Buhari, qui demande à ce que les "pays africains résolvent ensemble ce problème."

"Si vous allez seuls face aux pays étrangers, vous aurez des problèmes", explique à l'AFP Roger Koranteng, conseiller spécial dans la lutte anti-corruption du Commonwealth. "En face, les pays sont unis et organisés entre eux", ajoute-t-il, citant l'exemple de l'Union Européenne.

Au Nigeria, les autorités avancent le chiffre de 400 milliards de dollars de perte dans des comptes ou des avoirs placés à l'étranger depuis l'indépendance mais ces chiffres sont difficilement vérifiables.
L'ex-président Sani Abacha, qui a dirigé le pays entre 1993 et 1998, aurait détourné à lui seul environ 4 milliards de dollars (soit 2 à 3% du PIB du pays chaque année, selon l'agence des Nations unies contre la drogue et le crime).

La Suisse, qui s'est engagée à être "irréprochable" et "avant-gardiste" dans les recouvrements de fonds volés, a annoncé avoir restitué 700 millions de dollars au Nigeria ces dix dernières années.

En avril, la Suisse a renvoyé 322,51 millions de dollars, appartenant à l'ex-dictateur Abacha, à Abuja. La présidence nigériane a affirmé vouloir réinvestir cet argent dans des programmes de développement visant "les plus pauvres", dans un pays où près de 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté, mais la plus grande opacité règne toujours dans la gestion des comptes de l'Etat.

Marie Chêne, de Transparency International, rapporte d'ailleurs qu'il existe, de manière globale, "peu de preuves de l'impact direct des fonds recouvrés sur le niveau de pauvreté".

"Il faut mettre en place un mécanisme solide de traçabilité des biens pour s'assurer qu'ils soient utilisés de manière efficace pour le développement", écrit-elle dans un rapport.

Debo Adeniran, de la Coalition contre les dirigeants corrompus, une association locale nigériane, salue toutefois les efforts déployés par l'administration Buhari dans ce sens et la signature d'accords avec plusieurs pays, comme avec les Emirats Arabes Unis en janvier 2016, pour recouvrer les fonds volés.
"Avec la publication des Panama Papers, beaucoup de politiciens, anciens ou actuels, ont été exposés et nous avons découvert une partie de leurs comptes off-shores", explique M. Adeniran, soulignant qu'il est de plus en plus difficile de blanchir de l'argent via le système bancaire.

Au Nigeria, toutefois, assure-t-il, les criminels ont trouvé d'autres moyens de confiner leur argent, en espèces: dans des fermes, des hangars... et des cercueils.

AFP