France: deux ex-miliciens algériens vont être jugés pour torture

Mardi 6 Janvier 2015

Nimes - Deux ex-membres des milices anti-islamistes qui ont participé à la guerre civile algérienne dans les années 90 vont être jugés en France pour des actes de torture, une première saluée par les défenseurs des droits de l'Homme.


"C'est la première fois dans l'histoire que des Algériens vont être jugés pour des crimes commis durant les années noires en Algérie", s'est félicité le président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) Patrick Baudouin dans un communiqué commun de la FIDH, de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et du Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA).


Ces organisations ont annoncé conjointement ce procès devant les assises de Nîmes (sud de la France).

Hocine et Abdelkader Mohamed, deux frères résidant en France qui avaient été mis en examen (inculpés) en 2004, sont renvoyés devant les assises pour des actes de torture et de barbarie sur une victime directe, constituée partie civile, et sur des membres de la famille d'autres parties civiles, selon ces associations.

Les deux hommes ont fait appel de cette ordonnance de mise en accusation, a précisé à l'AFP leur avocate Khadija Aoudia: "Non seulement ils nient les faits, mais ils sont aussi complètement anéantis qu'une ordonnance ait été rendue juste sur la base de témoins, tous issus de Relizane ou des environs, et qui sont tous des sympathisants ou des membres du GIA-FIS", soit la mouvance islamiste qu'ils ont combattue pendant la guerre civile.

Les faits pour lesquels ils sont poursuivis auraient été commis dans la région de Relizane, à 300 km à l'ouest d'Alger, dans les années 90. Une information judiciaire avait été ouverte en 2003 après le dépôt d'une plainte par la FIDH et la LDH.

Selon ces associations, les deux frères, natifs de Relizane et installés à Nîmes depuis 1998, "étaient à la tête des milices" de la ville: "selon les victimes rescapées et les proches des victimes, ils opéraient à visage découvert, ce qui a permis aux parents des victimes de les reconnaître formellement. 

Selon les témoignages recueillis auprès des familles de victimes, les deux frères se seraient rendus coupables de nombreuses exactions durant cette période, notamment d'actes de torture, d'exécutions sommaires et de disparitions forcées".

"Ils étaient membres du groupe de légitime défense de Relizane, ils se sont battus selon leurs convictions contre le terrorisme, représenté à l'époque par le GIA", a de son côté résumé Me Aoudia.

- Compétence extraterritoriale - "On a bon espoir qu'on s'achemine désormais vers un procès", s'est réjouie auprès de l'AFP l'avocate Clémence Bectarte, du groupe d'action judiciaire de la FIDH. "Nous espérons que ce procès marquera un tournant majeur dans la lutte contre l'impunité qui entoure la commission de ces crimes", a ajouté de son côté le président d'honneur de la LDH Michel Tubiana, cité dans le communiqué des associations.

En Algérie, une Charte pour la paix et la réconciliation nationale a été adoptée en 2005 et interdit d'évoquer publiquement la guerre civile, ont rappelé les associations: "dans ce contexte, toute démarche judiciaire visant à établir les responsabilités des crimes commis durant cette période est impossible en Algérie, ce qui explique le fait que les victimes se soient tournées vers la justice française".

En vertu de la Convention internationale contre la torture adoptée en 1984 et intégrée dans le code pénal français en 1994, la France a pour obligation de poursuivre, arrêter ou juger toute personne se trouvant sur son territoire susceptible d'avoir commis des actes de tortures, quels que soient l'endroit où ils ont été commis et la nationalité des victimes.

Au nom de cette compétence extraterritoriale, plusieurs procès ont déjà eu lieu en France, dont celui du capitaine rwandais Pascal Simbikangwa, condamné en mars 2014 à 25 ans de réclusion pour son rôle dans le génocide rwandais. 

L'Algérie a vécu une guerre civile particulièrement violente dans les années 1990, après l'interruption par les militaires en 1991 du processus électoral législatif qui promettait une victoire aux islamistes du Front islamique de salut (FIS), qui a été interdit. Ce conflit a fait quelque 200.000 morts, selon les estimations officielles.


AFP - Martin DE MONTVALON