Entre Washington et Pékin, comme un air de guerre froide

Vendredi 24 Mai 2019

Washington - La bataille commerciale entre les Etats-Unis et la Chine s’enlise. A en juger par les mesures punitives de l’Administration de Donald Trump et les représailles et la défiance du côté de Pékin, l’heure est indéniablement à l’escalade entre les deux poids lourds de l’économie mondiale. Bien des analyses y voient comme un air de guerre froide.

Le dernier round de négociations entre les délégations des deux pays dans la capitale américaine s’est soldé sur un échec. L’accord commercial recherché de longue date reste encore loin de portée. 

Certes, un nouveau rendez-vous est pris pour reprendre le dialogue dans les semaines à venir. Mais, Washington a rompu la trêve et passé à l’offensive relevant de 10 à 25% les droits de douane sur 200 milliards de dollars d’importations chinoises. Donald Trump, qui a axé sa campagne sur son fameux slogan "America first", est déterminé à réduire le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine. 

En riposte, les autorités chinoises ont annoncé l’augmentation des tarifs sur 60 milliards de dollars de marchandises américaines. Selon le ministère chinois des Finances, les droits de douanes sur 5.000 articles vont augmentés jusqu'à 25%, dès le 1er juin. En échange d’un allégement tarifaire de la part des États-Unis, Donald Trump exige des concessions de la part de la Chine en termes de modification de certaines de ses lois et pratiques commerciales. 

Mettant à profit la bonne santé actuelle de l’économie américaine, Trump entend bien mettre le maximum de pression sur le dragon chinois. Entre autres exigences, le Locataire de la Maison Blanche s’attend à plus de commandes pour l'agriculture américaine, un encadrement du soutien public aux entreprises d'État, et un contrôle accru des transferts de technologie et du respect de la propriété intellectuelle.

Les dirigeants chinois crient, en retour, à l'unilatéralisme et au protectionnisme américain. Au-delà du cadre bilatérale, la tension entre les deux puissances affecte le libre-échange et se fait sentir sur l’économie mondiale. Les places financières ont tremblé sous l’effet de cette escalade. Les analystes préviennent que le bras de fer ne profitera à personne.

"Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine sont la principale menace sur l'économie mondiale", a alerté la directrice générale du Fond Monétaire international, Christine Lagarde. Elle juge impératif "d’une part, la réduction voire l’élimination des tensions. Deuxièmement, l’adoption d'un cadre juridique et réglementaire dans lequel les entreprises qui participent au commerce international savent dans quelles conditions tarifaires et non-tarifaires elles peuvent développer leurs activités".

Pour des analystes à Washington, outre le volet commercial, le différend est le symptôme d'une "friction accrue" entre les deux pays sur plusieurs fronts: Taiwan, la mer de Chine méridionale, l'Iran, Huawei,... Dans le domaine technologique, le géant chinois de télécommunication Huwaei est particulièrement dans le viseur des autorités américaines qui se méfient de son développement très rapide et de ses ambitions technologiques.

Huawei subit une pression croissante de la part du gouvernement US qui craint que son équipement ne soit utilisé par le gouvernement chinois pour espionner les réseaux américains. En 2018, les services de renseignement américains ont mis en garde contre l'utilisation des appareils Huawei et ZTE, et des hommes politiques US ont décrit ce groupe comme "un bras du gouvernement chinois".

Aussi, l’administration Trump s’est-elle empressée de le placer sur une liste des entités incapables d'acheter de la technologie à des sociétés américaines sans l'approbation du gouvernement. Dans cette foulée, Google a suspendu ses activités avec Huwaei, avec un sursis de trois mois. Le système mobile Android du géant américain de la technologie équipe la majorité des téléphones portables dans le monde.

Huawei maintient qu'il n'est pas possible pour le gouvernement chinois d'interférer dans ses équipements par des portes dérobées, et il est resté optimiste quant à l'avenir de ses activités. Mais ce dernier revers de Google fait peser un risque grave sur l’avenir du cœur de métier de la téléphonie mobile de Huawei. Acteur incontournable des réseaux mobiles et de la 5G, le deuxième fournisseur mondial d’équipements de télécommunication et deuxième vendeur de smartphones après Samsung, s’appuient sur des dizaines de firmes américaines spécialisées dans la technologie pour ses composantes clés.

D'après CNN, Huawei a acheté l'an dernier des composantes et des équipements pour 70 milliards de dollars, en provenance de 13.000 fournisseurs. Sur ce montant, environ 11 milliards de dollars ont été dépensés en produits de dizaines d’entreprises américaines, notamment des puces informatiques de Qualcomm et Broadcom et des logiciels de Microsoft et Google. "La guerre froide technologique USA-China a désormais son rideau de fer", commente le New York Times pour lequel "l’approche intransigeante de la Maison-Blanche risque d’accélérer le développement de deux mondes technologiques, isolant davantage un cinquième des utilisateurs d’Internet".

La Chine a passé près de deux décennies à construire un mur numérique entre elle et le reste du monde, une barrière à sens unique conçue pour empêcher les entreprises étrangères comme Facebook et Google tout en permettant aux concurrents chinois de quitter leur pays et de se développer à travers le monde, écrit le quotidien, notant que, désormais, le président Trump est en train d’ériger ce mur de l'autre côté. Face aux craintes des usagers et des entreprises US, l’administration Trump décrète un sursis de trois mois. Il assoupli ainsi certaines restrictions imposées la semaine dernière à l'entreprise chinoise Huawei, signe que les sanctions à l’encontre de la société de télécommunications pourraient avoir des répercussions importantes et imprévues.

Pékin, qui semble avoir moins de marge de manœuvres, appelle Washington à un retour rapide à la table des négociations commerciales bilatérales pour "travailler de concert avec la Chine et se rencontreront à mi-parcours, afin de parvenir à un accord gagnant-gagnant et mutuellement avantageux sur la base du respect mutuel." En attendant, tout le monde table sur la rencontre au sommet entre Donald Trump et son homologue chinois XI Jinping, en marge du sommet du G20, à la fin du mois de juin au Japon.  

MAP - Omar ACHY