Comment l’armée va faire entrer l’intelligence artificielle sur les Rafale et les drones

Mardi 20 Mars 2018

Florence Parly lance les grandes manœuvres dans l'intelligence artificielle. La Direction générale de l'armement (DGA) a confié vendredi 16 mars à Dassault Aviation et Thales, en présence de la ministre des armées, un programme d'études destinés à développer les technologies d'intelligence artificielle qui permettront à l'aviation de combat française de préserver sa supériorité. Baptisé Man Machine Teaming (MMT), ce programme de trois ans, doté d'une trentaine de millions d'euros, doit permettre de développer de nouveaux capteurs intelligents, des capacités de vol autonome dans les environnement complexe, mais aussi des technologies d'identification automatique de radars ou d'armement. "Je vous le dis aujourd'hui, l'intelligence artificielle sera bientôt dans toutes les casernes, sur tous les navires et dans tous les aéronefs, a assuré Florence Parly. La navigation autonome, le combat collaboratif, la simulation et la maintenance prédictives seront le quotidien de nos soldats, marins et aviateurs."

Si son montant peut apparaître modeste, le programme MMT augure d'une nouvelle façon de fonctionner pour la DGA et les industriels: fini la recherche militaire en milieu clos, place à l'ouverture au civil. "Nous avons demandé à Dassault et Thales de consolider le tissu de capacités d'intelligence artificielle qui a déjà émergé dans le civil, à la fois dans le milieu industriel et académique", indique Joël Barre, délégué général pour l'armement. Les deux champions français vont ainsi travailler avec 150 interlocuteurs : des start-up, comme Physip ou Watiz ; des grands groupes, comme Safran ou Naval Group ; des laboratoires de recherche et grande écoles, comme Polytechnique, le CEA LIST ou l'Onera ; et des groupes d'ingénierie comme Altran ou Akka Technologies. Les technologies civiles seront ensuite "militarisées" pour pouvoir être intégrées dans l'environnement exigeant de l'aviation de combat.

Pénétrer les défenses anti-aériennes

L'objectif est clair : redonner une supériorité durable à l'aviation de combat française. Celle-ci est de plus en plus contestée par des systèmes de défenses aériennes toujours plus perfectionnés, comme les S-300 et S-400 russes. Elle doit aussi faire face à des cibles de plus en plus enclavées, qui nécessitent une forte capacité de pénétration. Grâce à l'IA, l'armée indique étudier des "stratégies innovantes de pénétration des défenses anti-aériennes" grâce à la collaboration entre avions de combat pilotés type Rafale, et des drones de combat qui pourraient être dérivés du démonstrateur Neuron de Dassault.

Les applications concrètes du programme MMT doivent servir cet objectif. Les partenaires travailleront notamment sur des capteurs "intelligents et cognitifs", c’est-à-dire capables d’apprendre d’eux-mêmes. Sur les Rafale ou les drones de combat, des "antennes neuronales" permettront ainsi de détecter la présence de radars, mais aussi d’identifier leur type à distance. "Une sorte de Shazam de la guerre électronique", expliquait le PDG de Thales Patrice Caine à Challenges dans une longue interview sur le sujet en juin dernier. Les partenaires du projet plancheront aussi sur des capacités de navigation autonome des aéronefs dans des environnements complexes. Les premières applications sont attendues pour 2025, avec une généralisation à l’horizon 2030.

100 millions par an pour l'IA

Au-delà du programme MMT, c’est bien un grand plan intelligence artificielle qu’a annoncé Florence Parly. La ministre prévoit un investissement annuel de 100 millions d’euros et le recrutement de 50 experts en intelligence artificielle d’ici à 2022. Elle a aussi confirmé l’entrée en service en 2019 d’un démonstrateur de plateforme sécurisée d’intelligence artificielle développé pour les besoins spécifiques des armées, baptisé Artemis et développé par Thales, Sopra Steria, Atos-Bull, et Capgemini. Florence Parly a également annoncé la création d'une nouvelle agence d'innovation de défense, destinée à favoriser l'ouverture au civil de l'innovation de défense, dont l'articulation avec la DGA reste à définir.

La France n’a guère d’autre choix que d’accélérer le tempo. Les Etats-Unis, la Russie et la Chine investissent massivement sur le créneau de l’intelligence artificielle, qui est en train de remettre en question toutes les certitudes militaires. Un exemple ? En juin 2016, le colonel Gene Lee, ex-instructeur de l’US Air Force, avait affronté sur un simulateur de combat aérien le système Alpha, intelligence artificielle développée par la start-up Psibernetix. Le verdict avait été sans appel : le pilote avait été systématiquement mis au tapis, sans parvenir à descendre un seul avion ennemi. "Le système avait l’air de prévoir mes intentions et réagissait immédiatement à mes changements de trajectoire et à mes tirs de missiles, témoignait Gene Lee. Je suis épuisé, physiquement et mentalement." Une victoire de l’IA d’autant plus angoissante que celle-ci était embarquée sur un Raspberry Pi… un ordinateur à 35 dollars.



Source : https://www.challenges.fr/entreprise/defense/comme...