"Berber Tattooing", voyage au pays des femmes tatouées du Moyen Atlas

Samedi 31 Mars 2018

Loretta Leu et une villageoise dans une des tribus berbères du Moyen Atlas, 1988.

LIVRE - En 1988, après avoir passé quatre mois au Maroc, Loretta et Felix Leu pensaient avoir fait le tour du pays. Mais sur le chemin du retour, ce couple d’artistes suisses croise des femmes berbères tatouées qui vont les décider à rester plus longtemps que prévu. Vingt-neuf ans plus tard, Loretta livre enfin leur récit de voyage dans un livre intitulé “Berber Tattooing in Morocco’s Middle Atlas”, et partager ainsi les secrets de cet art peu documenté de la culture amazighe.

Le couple de tatoueurs était intrigué par les tatouages de ces villageoises rencontrées près de la kasbah de Guigou, non loin d’Ifrane. Elles avaient beaucoup plus d’encre sur leur peau que les femmes qu’ils avaient jusqu’alors eu l’occasion de rencontrer, et qui n’avaient que de “petits dessins entre les sourcils ou en-dessous des lèvres”, comme l’écrit Loretta dans son livre.

Celles-ci avaient en revanche des tatouages sur les visages, les chevilles, les mollets, les bras et les mains, mais aussi sur la mâchoire et qui descendaient le long de leurs cou, “comme une barbe”, raconte-t-elle. “Le préjugé islamique moderne au Maroc envers les tatouages ne semblait pas exister dans cette région”, écrit Loretta Leu dans le livre. 

Intrigués, le couple veut en savoir plus. Les habitants de la région les dirigent vers la ville de Khémisset, plus spécifiquement dans le village de Ait Ouribel où ils passeront trois semaines à écouter les récits de vie de Aïcha, Fatma, Rkia, Fatna et pleins d’autres femmes (et hommes) des tribus berbères de la région pour trouver la signification de chacun de ces tatouages, qui endossent tour à tour un rôle esthétique ou de porte-bonheur.

Le livre rassemble les tracés de ces tatouages, mais aussi des portraits dessinés par Aia, la fille de Felix et Loretta, ainsi que de nombreuses photos d’un Maroc qui était “encore un peu comme le Far West, écrit Loretta. Loin d’être une étude anthropologique, ce livre se veut avant tout le récit d’un voyage riche en découvertes et en rencontres, mené par deux passionnés d’art fascinés par ces femmes berbères. Loretta, qui a co-écrit le livre avec Félix, son mari aujourd’hui disparu, raconte cette aventure au HuffPost Maroc.

HuffPost Maroc: Pourquoi avez-vous décidé de publier le livre maintenant, si longtemps après votre voyage au Maroc en 1988?

Loretta Leu: Pendant toutes ces années, j’ai gardé notre carnet de notes de ce voyage, les photos, les tracés des tatouages des femmes et les dessins de ma fille, Aia. En 2017, elle m’a proposé de m’aider à terminer le livre pour le publier. C’est grâce à elle qu’il est enfin là. Je pense que Felix en serait très heureux.

Qu’est-ce qui vous a amenés tous deux au Maroc?

Nous sommes de grand voyageurs. Nous avions déjà  traversé l’Afrique du nord et vécu en Espagne, en Grèce, en Inde, au Nepal...  

Felix avait déjà visité le Maroc en 1964 et la beauté et l’exotisme du pays lui ont beaucoup plu. Il m’a donc emmené le voir en 1966 et a nouveau en 1969. En 1988, nous étions à la recherche de nouvelles aventures, nous avons pris six mois de vacances pour un voyage dans notre bus VW (que nous avons nommé Baga Beach), accompagnés de notre fils de 13 ans, Ajja. Notre gros chien, Bloody, faisait aussi partie de l’équipe pour nous protéger puisque nous allions camper en dehors des villes tous les soirs.

Felix, Ajja et le bus Baga Beach à l'oasis d'Akka, 1988.

Pourquoi avez-vous décidé de rester au Moyen Atlas?

Lorsque nous avions croisé ces femmes tatouées sur le chemin du retour, nous avions pensé que cette tradition méritait d’être documentée. Nous devions donc trouver d’autres femmes tatouées pour effectuer nos recherches. Une famille à Khémisset nous a hébergés pendant que nous faisions notre recherche dans la région. Nous y sommes restés pendant trois semaines et avec l’aide de cette famille, nous avons pu rencontrer plusieurs de ces femmes tatouées. Nous avons toujours été accueillis avec beaucoup de chaleur, mélangé à de la curiosité, naturellement. 

Quels souvenirs avez-vous du Maroc que vous avez connu en 1988?

Une fois sur place, j’ai trouvé que malgré le progrès de la vie moderne, le romanticisme intellectuel de la période de Paul Bowles, William Burroughs, Jack Kerouac et tant d’autres, était toujours présent, surtout à Tanger. Les paysages étaient incroyables et les gens très accueillants.

La générosité des villageois que nous avons rencontrés m’a aussi beaucoup marquée, même s’ils n’avaient pas grand chose et vivait modestement. La plupart des paysans avait la vie dure et n’avaient ni électricité, ni eau courante. La nourriture était cuite au feu de bois. Mais chaque membre de la famille avait sa place, tout le monde s’entraidait.

Arriviez-vous à communiquer facilement avec les femmes du villages?

Nous étions accompagnés de deux et parfois de trois traducteurs, pour qu’on puisse leur poser des questions concernant leurs tatouages, quand les avaient-elles faits et par qui, leur signification, et enfin la technique employée. Pour tout le reste de nos échanges cela s’est passé avec le langage des yeux et des signes des mains. Parfois, nous avons aussi rencontré des personnes qui parlaient quelques mots de français.

Qu’est-ce qui vous a intéressés dans les tatouages berbères et par quoi se caractérisent-ils? 

Nous avons étés frappés par la beauté de leurs motifs géométriques mais aussi par le fait qu’ils s’étendaient sur les bras entiers, les mains, les mollets, le cous et tout le long de la mâchoire. Nous n’avions vu jusque-là, que des petits tatouages sur le front et le menton de certaines femmes berbères.

Ils sont faits à la main, non pas à la machine. Les motifs sont géométriques et ne contiennent pas d’images. Ils sont tous composés des mêmes éléments et chacun a une signification particulière. Ils font aussi référence des fois aux tapis tissés par les femmes berbères, qui contiennent les mêmes motifs. Les femmes berbères se font tatouer plus par tradition, avant leur mariage par exemple.

Loretta se fait tatouer par Fatima, 1988.

Y a-t-il un souvenir spécifique que vous garderez de cette aventure ?

Oui, le jour où une jeune fille m’a tatoué un motif berbère sur le poignet. Elle l’a tracé sur la peau avec de l’encre noir et ensuite elle a utilisé une simple aiguille pour le piquer dans la peau. Nous étions observés par toute sa famille, sous une tente, à côté de leur maison. Ce fut un moment particulier pour moi et entre tous les autre tatouages que je porte sur moi, il reste mon tatouage préféré.

Qu’espérez-vous réaliser en publiant ce livre?

Mon espoir est surtout de laisser un document qui illustre et décrit cette belle et noble coutume en utilisant les réponses des villageois eux-mêmes. Dès mon retour en Suisse en 1988, j’ai entamé des recherches sur le tatouage berbère au Maroc. J’ai consulté des livres à la Bibliothèque Universitaire de Lausanne, mais j’ai trouvé très peu d’informations. Il semblait que peu avait été écrit sur le sujet. 

La tradition de ces tatouages est en train de se perdre, les femmes que nous avons rencontrées étaient déjà d’un âge avancé en 1988, et les jeunes ne la pratiquaient plus. Cela serait un grand dommage qu’elle tombe dans l’oubli.

Le livre

Les curieux, passionnés de tatouages ou de culture berbère en général, peuvent se procurer le livre, publié aux éditions SeedPress, sur le site de la maison d’édition ou sur Amazon. Le livre n’est pour l’instant pas distribué dans les librairies au Maroc.

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Source : https://www.huffpostmaghreb.com/entry/berber-tatto...

Ibtissam Ouazzani