Beaucoup de bruit pour rien?

Jeudi 13 Septembre 2018

ÉDUCATION – Je soutiens d’une manière inconditionnelle l’initiative louable du ministère de l’Education nationale, et à sa tête le ministre Said Amzazi, de ne pas céder ou accorder de sursis aux pressions politiques et idéologiques, car créer une passerelle entre la langue marocaine et l’arabe classique me paraît une mesure idoine, juste et pleine de bon sens. Il ne faut surtout pas brutaliser l’enfant à un âge précoce, tout en le mettant en diapason avec son entourage, son environnement naturel, sa culture, ses sentiments et émotions. De toutes les manières, la langue doit jeter un pont entre le foyer de l’enfant et l’école, tout en créant un espace de confiance, de sécurité linguistique et de bonheur, et ne jamais se traduire par un fardeau, un refus par la suite.
Said Amzazi ne peut prendre une décision si courageuse et pertinente sans demander l’avis de ses nombreux experts, professeurs d’arabe classique, primaire, secondaire et universitaire, inspecteurs, linguistes, chercheurs, intellectuels, spécialistes en didactique et pédagogie de l’enfance etc., étant donné qu’il est de formation scientifique. Le monde des sciences est bien simple, tout ce qui n’est pas exact et qui n’est pas un résumé simplifié de la réalité, n’est que du bavardage, du babillage. Les experts du ministère de l’Éducation nationale se sont inspirés de la réalité marocaine, tout en introduisant quelques mots en langue marocaine afin de réconcilier l’enfant avec sa culture millénaire, ses mets, son mode de vie, sa pensée, ses proverbes, ses chants, sa petite et grande famille qu’est le Maroc dans son ensemble, sans toutefois vouloir rabaisser celui-là ou l’autre. La langue marocaine est un atout, un bien commun, un joyau, un diamant brut, une pierre précieuse qu’il faudrait savoir tailler et couper finement dans les années qui suivront pour dégager sa splendeur et son grand éclat.

Toutes les langues ont été au début des langues populaires. Il y a cependant des personnes qui confondent toujours les dialectes avec les langues populaires jusqu’à les rendre indiscernables; les dialectes sont toujours restreints à une région, cela veut dire qu’ils sont enfermés dans des limites très étroites. Ce sont en fait des langues régionales ou minoritaires, en France cela vaut pour l’alsacien, le flamand occidental, le corse, le breton, le gallo, le basque, le catalan etc.; les langues minoritaires: le bonifacien, le calvais, le grec de Cargèse et les parlers d’oïl etc. Quant au Maroc, nous avons les dialectes suivants: le bidhaoui, le rbati, le oujdi, le tanjaoui, le fassi, le marrakchi, le gadiri. Ce sont toutes des variantes de la langue marocaine, des versions modifiées selon les besoins, les spécificités et l’entourage linguistique des locuteurs locaux. Le marocain est alors une langue populaire, jamais un dialecte comme je viens juste de citer plus haut.
Il n’y a pas une langue officielle à l’international qui n’a pas été un dialecte ou des dialectes à l’origine et aucune langue n’échappe à cette condition sine qua non. Même l’alphabet arabe s’est inspiré en totalité de l’araméen, et sans le nabatéen et le syriaque, l’arabe d’aujourd’hui n’aurait pas ce vaste vocabulaire poétique; chaque langue connaît ce va-et-vient perpétuel, il y a des mots qui font leur rentrée par la grande porte, tandis que d’autres sortent pour toujours. De mener une chasse aux sorcières contre 6 ou 8 mots en langue marocaine pour des fins purement pédagogique et didactique me semble un peu excessif; mais soyons sérieux! Quoi qu’il en soit, tous les cours sont dispensés à l’école en langue marocaine, même l’arabe classique, sans parler des universités, du parlement et des institutions gouvernementales où l’utilisation de la langue marocaine est un fait, pas une invention, mais une réalité naturelle. Martin Heidegger formulera même: “la langue est la maison de l’être”, là où il se sent à l’aise, là ou il peut se retrouver facilement, sans retard ni ambages ni d’hésitation à s’exprimer.

Quant à la langue française, on a enrichi son vocabulaire tout en puisant dans le lexique latin et grec; à titre d’exemple, le langage technique et médical. La langue française d’aujourd’hui est étroitement liée à l’essor économique de Paris au XIIe siècle et au dialecte, parlé en Île-de-France.
Comme en France, la langue officielle a été le latin de l’Église en Allemagne, et cela jusqu’au 15ème siècle; car on partait du fait que la langue latine est une langue sacrée et qu’il ne faudrait en aucun cas la profaner. Martin Luther a su briser le monopole de l’Église, en rendant la Bible accessible à un large public tout en la traduisant en langue populaire allemande, méprisée à l’époque par l’élite intellectuelle et l’Église. La devise de Martin Luther a été la suivante: “entendre comment parle le peuple”, “dem Volk aufs Maul schauen”. Son grand atout fut qu’il possédait un savoir étendu, qu’il était un grand érudit et un fin connaisseur de la langue grecque et du latin; ainsi il a été au-dessus de tout soupçon qu’il allait mutiler, dénaturer l’Évangile. La traduction de la Bible représente aujourd’hui la pièce maîtresse et les premiers débuts de la langue allemande moderne.
En Russie, c’est le même cas; même au 18ème siècle l’élite intellectuelle et les représentants de l’aristocratie ne parlaient qu’en français, toutefois le peuple usait de sa langue maternelle qu’était le russe, une langue populaire, vernaculaire à l’origine. Les emprunts à la langue française étaient si nombreux qu’un des ministres russes s’en prit à la langue de Molière, tout en la dénigrant, la traitant de tous les maux de tête et problèmes liés à l’éducation, vu qu’elle serait en train de polluer le bon sens, les choses saintes, la beauté de la langue russe. Même Alexandre Pouchkine qui passe pour être le fondateur de la langue russe a presque toujours rédigé ses lettres amoureuses en langue française. Les grands poètes, les intellectuels, créatifs et performants, les penseurs, sages et pondérés qui savent éviter la prépondérance de l’un par rapport aux autres, ne puisent jamais dans l’intégrisme linguistique ou dans la négation de l’autre. La langue, qu’elle soit écrite ou parlée, est un bien commun qu’on doit sauvegarder, de plus il est nécessaire d’encourager les locuteurs à la mieux parler, la maîtriser et ne pas la mettre en opposition à une autre langue. “La justice de l’intelligence est la sagesse. Le sage n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui voit leur juste mesure”, dira Platon.
La conclusion qu’on peut tirer des discussions qui ont eu lieu ces dernières semaines, c’est qu’il n’y a pas des gagnants ou des perdants. Il faut seulement trouver un terrain d’entente, afin de permettre à la raison de régner de nouveau. Car tous les pays industrialisés ont su développer leurs langues locales qui sont devenues par la suite un vecteur de prospérité, de richesse et de rayonnement culturel à l’international. Les dirigeants de la Chine populaire se sont rendu compte il y a 40 ans que l’ancien chinois était trop compliqué, plutôt un handicap qu’un atout pour l’essor économique. L’approche a été très pragmatique: comment réduire alors le taux élevé d’analphabétisme dans un temps record? Simplifier le mandarin, en vue de le rendre accessible à plus d’un milliard de personnes. Il ne faut pas perdre de vue: il y a 20 ans encore, la Chine était un pays sous-développé!
De nos jours, chaque paysan chinois est en état de lire le mode d’emploi d’un tracteur, et dans 2 ou 3 heures, il va pouvoir cultiver son champ de riz avec son véhicule agricole. D’autres sont devenus des producteurs, des créateurs d’emploi et de richesse, des capitaines d’industrie depuis leurs villages. Toute langue qui ne se pratique pas régulièrement, et cela au quotidien, perd de sa force de frappe, de sa vitalité, de sa souplesse et de sa capacité d’innovation.
Toutes les nations développées, petites ou grandes, ont connu des avancées considérables parce qu’ils ont pu maximiser l’utilisation de la quasi-totalité de leurs ressources humaines, tout en dispensant des cours dans la langue maternelle et dans la langue que comprend tout un chacun ; comme ils parlent, ils écrivent, un choix simple et judicieux. Par conséquent, on est dans ce cas-là en état de donner au fait et à l’idée leur juste valeur respective.
La meilleur preuve, c’est que le BIP de ces pays, dits petits pays, vu le nombre restreint de la population, a atteint: 271 milliards USD pour la Finlande (5,5 millions d’habitants); la Norvège, 5,2 millions d’habitants, PIB: 500 milliards USD; Suède, 10 millions d’habitants, PIB: 570 milliards USD; Danemark, 5,8 millions d’habitants, PIB: 306 milliards USD. Quant au Maroc, le PIB est de l’ordre de 109 milliards USD, pour 36 millions d’habitants. Si la Norvège disposait de ce nombre considérable d’habitants, le PIB s’élèverait à 3500 milliards USD (500×7).
J’espère qu’on trouvera un de ces jours une solution durable et raisonnable pour la question de la langue de l’école marocaine; tout en priant les experts, les linguistes, les intellectuels, les chercheurs, les pédagogues, les psychologues, les universitaires de se pencher sur cette problématique épineuse et d’apporter une contribution considérable. Quant aux hommes politiques, il serait primordial de ne pas demander leur avis, attendu que la plupart d’entre eux sont toujours guidés par leur propre appétit et l’appétit de leur clientèle, de leur choix idéologique et des dogmes qu’ils ont épousés.
Le souverain a souvent dénoncé les machinations de la classe politique marocaine et a exhorté à maintes reprises les hommes politiques de mettre leurs propres prébendes, mandats et intentions personnelles au second plan et de se concentrer plutôt sur les problèmes du citoyen que sur les guéguerres politiciennes, de sorte que le citoyen marocain soit au cœur de la préoccupation de la classe politique. Etant donné que cet immense capital de confiance n’est point un chèque en blanc.
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huffpostmaghreb