Bakary Sambé : Aller au-delà des solutions militaires

Lundi 7 Mai 2018

Le politologue sénégalais Bakary Sambe insiste sur la nécessité de coordonner les actions entre Africains et Européens. De même qu’il plaide pour des politiques de long terme sur le terrain, pour endiguer l’extrémisme violent.

Propos recueillis par Guillaume Weill-Raynal

Comment s’attaquer efficacement au radicalisme ? Les moyens déployés semblent insuffisants.

Deux choix s’offrent à nous et à nos États : prévenir l’extrémisme violent dès maintenant, par l’investissement dans l’éducation et la justice sociale, en s’attaquant aux causes structurelles des frustrations qui nourrissent le djihadisme ; ou attendre les attaques qui n’épargnent personne, ni aucun pays pour intervenir militairement, indéfiniment et inefficacement, avec un grand risque de reproduire les causes du mal que l’on cherche à combattre. L’Europe et l’Afrique ont un destin commun. Nous sommes devenus une même communauté internationale, celle des vulnérables. De manière égalitaire, nous le sommes aussi bien à Gao, dans l’Oudalan burkinabé qu’à Paris, Londres ou Bruxelles.

En ce sens, des stratégies inclusives doivent être conjointement bâties pour une approche globale du phénomène de l’extrémisme, loin des solutions conjoncturelles et strictement militaires qui ont montré leurs limites en Afghanistan, au Nord-Mali comme dans le bassin du lac Tchad.

Les approches militaire et sécuritaire semblent l’emporter largement sur la logique de bon sens. Comment traiter le mal à la racine ?

Jamais dans l’Histoire, une kalachnikov n’a tué une idéologie. L’approche militaire est, certes, nécessaire pour contenir la menace dans certaines circonstances, mais elle ne la fera jamais disparaître ; elle risque même d’être contre-productive.

Nous avons conscience de la mauvaise perception de la Minusma, comme celle de Barkhane, au sein de la population et de la classe politique. Le président Buhari promettait d’en finir avec Boko Haram en décembre 2016, il a été contraint de négocier avec la secte. Les conditions socio-économiques de la marginalisation et de la paupérisation, au nord du Nigeria, sont restées intactes. La racine du mal se trouve dans les inconséquences des politiques développées par nos pays ou promues par une communauté internationale négligeant le regard anthropologique et l’autocritique après quarante ans d’absence qui ont profité aux vendeurs d’illusions et au salafisme.

Il s’agit moins d’une impuissance que d’une absence de volonté ou du moins de vision prospective. Le phénomène terroriste a inauguré l’ère de l’action sous la pression sans prise en compte de la vision des partenaires du Sud. Sur la question sahélienne, je déplore une faille, un hiatus, entre l’approche internationale et les perceptions locales. Il est temps d’arriver à une coordination des actions des puissances occidentales, ainsi qu’entre elles et les initiatives locales, pour éviter un futur conflit de perception des confrontations au Sahel.

De par votre travail de terrain et de conceptualisation, êtes-vous en mesure de préciser la « bonne méthode » pour approcher ce sujet crucial dans la stabilité des pays de la région sahélienne ?

Le propre du terrorisme est d’être une longue chaîne dont chaque maillon pris individuellement peut ne pas être répréhensible ou punissable par la loi. Nous n’agissons généralement qu’au bout de la chaîne et de manière tardive et inefficace. Nos pays ont légiféré par réaction et agissent sous la pression de la menace. Il est très courant, dans le dialogue avec les autorités, qu’elles confondent contre-terrorisme et une stratégie de prévention de l’extrémisme violent, laquelle fait encore défaut.

Face à la complexité d’un phénomène qui n’a même pas de définition consensuelle, nos États se complaisent dans la réaction sécuritaire qui donne bonne conscience d’agir et néglige les impératifs de développement équitable et de justice sociale. Le G5 Sahel peut être un outil performant si nous arrivons à lui donner du contenu au-delà du militaire en relevant son niveau de contribution dans le développement et la résilience.

Un changement d’approche s’impose. Et ce n’est pas un hasard que la stratégie des Nations unies soit revue dans son articulation : elle identifie des priorités clés comme la croissance inclusive et équitable ; les services publics, y compris l’accès aux services de base, la gouvernance et la primauté du droit ; le climat et l’énergie ; l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.

La seule lueur d’espoir que j’entrevois dans toutes ces initiatives constructives est la grande volonté d’implication des femmes dans la lutte contre l’extrémisme et la réduction de leur vulnérabilité qui passera forcément par leur pleine autonomisation, notamment économique. 

ENCADRE

Bakary Sambe est directeur du Timbuktu Institute de Dakar, et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, politologue professeur au Centre d’étude des religions de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Il a accompagné la mise en place de la CellRad au sein du G5 Sahel et suit aujourd’hui les stratégies nationales de lutte contre l’extrémisme violent dans le cadre du Projet partenariats pour la paix de l’USAid (P4P) en Afrique de l’Ouest.

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