Ajouter au panier ? A Istanbul, des seniors confinés font leurs courses à l'ancienne

Mercredi 25 Mars 2020

Istanbul - "Un kilo de bananes, s'il vous plaît !", crie la dame octogénaire à l'adresse d'un marchand de primeurs de son quartier à Istanbul depuis la fenêtre de son appartement du 4ème étage, avant de faire descendre un panier en osier à l'aide d'une corde.


Zafer Gundogdu, marchand de quatre-saisons dans le quartier de Ferikoy, s'exécute prestement. Il pèse les bananes, les place dans le panier et d'une voix qui résonne dans toute la rue enjoint sa cliente de tirer la corde.

Cette scène est devenue courante dans des quartiers résidentiels d'Istanbul depuis que les autorités turques ont imposé samedi un confinement total aux personnes âgées de plus de 65 ans ou souffrant de maladies chroniques, afin de limiter la propagation du nouveau coronavirus.

Si le recours aux paniers rattachés aux cordes pour faire ses emplettes auprès des commerces du coin n'est pas nouveau à Istanbul, cette pratique, ainsi que les commandes par téléphone, ont explosé depuis la mise en place du confinement pour les seniors.

"Avant, on recevait peut-être dix commandes par jour, maintenant on arrive à cinquante", explique M. Gundogdu.

"Nous sommes là pour nos clients âgés, qu'il s'agisse de remplir leurs paniers suspendus ou les livrer à domicile matin ou soir", affirme-t-il.

Zeynel Ozuner, le boucher du quartier, affirme que les commerçants font tout pour venir en aide aux habitants confinés en raison de leur âge. "On ne leur livre pas seulement de la viande, mais aussi le journal, ou du pain".

Mais ces prévenances sont loin d'apaiser Yuksel, la cliente du 4ème étage âgée de 83 ans. "Je suis tellement triste d'être bloquée à la maison", peste-t-elle depuis sa fenêtre après avoir récupéré ses bananes.

Selon le dernier bilan officiel publié mard soir, le Covid-19 a fait 44 morts en Turquie, tous des personnes âgées et pour la plupart souffrant d'autres pathologies.

Le confinement des personnes âgées a été décidé après qu'un grand nombre d'entre elles sont restées indifférentes aux demandes des autorités à la population de ne pas sortir pour des raisons non-essentielles.

Un grand nombre de seniors avaient ainsi profité d'une journée ensoleillée samedi pour se prélasser dans les parcs d'Istanbul, précipitant la décision des autorités d'imposer un confinement.

Dans la ville d'Adiyaman, des images ont montré des aînés rieurs s'amusant sur des balançoires dans un parc pour enfants.

Ces scènes ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux avec des appels lancés par des jeunes à l'imposition de l'"état d'urgence" pour contraindre leurs parents à rester chez eux.

Dans le quartier d'Uskudar, sur la rive asiatique d'Istanbul, la municipalité locale a démonté les bancs des parcs publics pour dissuader les aïeuls de sortir de chez eux.

"Nous vous aimons, mais ne nous forcez pas à faire ceci", a aussi tweeté la municipalité sur le ton de l'humour en accompagnant le texte d'une photo d'un homme âgé qui découvre, en s'apprêtant à quitter son domicile, que sa rue a été défoncée par des bulldozers.

Bien que les personnes âgées soient les plus vulnérables au virus, Ester Hazan, une Turque d'Istanbul de confession juive âgée de 70 ans, est furieuse de ce que le confinement a été seulement imposée aux plus de 65 ans.

"Ce n'est pas juste, soit tout le monde est confiné, soit personne", proteste-t-elle.

Elle a ainsi décidé de se soustraire au confinement pour faire des courses pour elle et son père âgé de 100 ans dont elle s'occupe, mais elle dit avoir été réprimandée par un commerçant du quartier pour être sortie de chez elle.

"Il a menacé d'appeler la police et m'a sommée de rentrer chez moi. Mais moi, je ne veux pas qu'on me livre les courses à la maison dans des sacs fermés, car parfois ils mettent des produits pourris. J'ai essayé une ou deux fois et ce n'était pas bien", grommelle-t-elle.

AFP