À Casablanca, le Collectif démocratie et libertés appelle les jeunes à se réconcilier avec la politique

Samedi 24 Février 2018

DÉBAT - "Sans combat permanent, on n’y arrivera jamais. La politique de la chaise vide est une idiotie!". Noureddine Ayouch est bien convaincu qu’il est temps pour les jeunes de s’approprier la politique au Maroc, d’en devenir de véritables acteurs. "Ils doivent défendre leurs idées malgré les problèmes qu’ils pourraient rencontrer dans les partis. Ils peuvent aussi créer des associations politiques", déclare-t-il au HuffPost Maroc, au lendemain du débat que le Collectif démocratie et libertés, dont il est le président, a organisé, jeudi 22 février à Casablanca. Baptisée "Fin/Faim de la politique?", la conférence-débat a réuni des acteurs de différentes tendances politiques, mais tous connus pour leur franc-parler.

Pour Noureddine Ayouch, relancer le débat a été dicté par la nécessité d’étancher une soif d’idées qui s’est fait longtemps sentir sur le terrain politique. "Il faut impérativement créer une organisation, pas forcément politique, mais autour d’idées", propose-t-il aux jeunes en leur recommandant de "sortir du carcan habituel".
Noureddine Ayouch estime que le parcours politique d’Emmanuel Macron, l’actuel président de la République française, peut en inspirer plus d’un. "Avec En Marche! Emmanuel Macron a construit un mouvement politique de jour en jour en étant à l’écoute de toutes les catégories sociales: les jeunes et moins jeunes, les personnes âgées, les retraités… C’est un excellent modèle!", affirme-t-il.

La politique, "une élite fermée"
Pour le politologue Nabil Mouline, également présent lors du débat, les partis politiques marocains représentent "une élite fermée", qui n'est pas suffisamment à l’écoute de la société. "Il y a eu une toute petite évolution entre 1956 et maintenant, mais la reproduction de l’élite partisane reste centrale et n’arrive pas à concurrencer le makhzen", a-t-il relevé au cours du débat.

Une vision partagée par Noureddine Ayouch, selon qui très peu de partis ont une prise avec la réalité. La Fédération de la gauche démocratique (FGD) et le PJD restent, pour lui, les partis politiques ayant le plus réussi à maintenir un contact permanent avec la société. "Les autres comme le RNI, le PAM et l’UC, ont malheureusement délaissé la société", estime-t-il. Toutefois, au RNI, le nouveau président Aziz Akhannouch, a montré "une volonté de reprise en main, au cours de ces derniers mois, en rassemblant la jeunesse à travers les régions et les cadres pour mieux structurer son parti et avoir une prise sur les décisions économiques, sociales et politiques", indique le président du collectif.

Mais pour aller de l’avant, les partis politiques doivent trouver ou retrouver "le courage" d’antan. C’est l’avis de la militante de l’USFP Ouafa Hajji, également présidente de l'Internationale socialiste des femmes. Lors de son intervention au débat, elle a évoqué "un manque de courage" d’acteurs politiques qui "ne jouent plus leur rôle". Pour cette militante socialiste, "la véritable politique" a laissé place à "la politique politicienne dans les coulisses et les salons". "Nous avons, aujourd’hui, des partis politiques qui n’ont plus d’autonomie de décision et cela est grave", a-t-elle déploré, précisant que cette situation ne permet plus aux partis politiques d’être "les intermédiaires" de la société.

"La non-démocratie"
La démocratie semble s’être perdue sur le chemin de la transition, à en croire les intervenants au débat. "On n’est pas en démocratie", a tenu d’ailleurs à préciser Omar Balafrej, député de la FGD. Pour ce dernier, la démocratie est l’unique gage d’un développement économique réussi. Un processus qu’il qualifie de difficile, long, mais efficace pour "le bien collectif". Témoignant de son expérience de conseiller municipal à Rabat, le député s’est insurgé contre "la non-démocratie" qui met des bâtons dans les roues du service qu’il doit au citoyen.

"La non-démocratie" empiète aussi sur le travail du député qui, en cherchant à s’informer, se retrouve face au mutisme "inexplicable" des ministres et des commissions parlementaires. Omar Balafrej a partagé lors du débat son sentiment d’incompréhension que "la conscience d’un élu du peuple ne peut tolérer".
A présent que les citoyens envahissent les rues pour se faire entendre, le réveil de la conscience politique s’impose. "L’approche du 'makhzen', mettant l’Etat au-dessus de tout au nom de la 'Hiba' (intouchable), c’est se dissocier de la société, lui montrer une prétention qu’elle rejette désormais", estime Noureddine Ayouch dans sa déclaration au HuffPost Maroc.

Pour le président du collectif, le hirak d’Al Hoceima et les mouvements sociaux à Zagora, Jerada et Errachidia qui ont suivi, exigent un changement radical d’approche politique. "L’Etat n’a pas su dialoguer lorsque le Hirak venait à peine de commencer, le gouvernement a commis une bêtise lorsqu’il a pris position contre lui (…). Mais avec Jerada, il a compris que le dialogue est nécessaire", constate-t-il, estimant qu’une bonne pratique politique passe par l’association des citoyens à la prise de décision.
"Il faut écouter les gens qui manifestent, en faire des acteurs participatifs. Il est nécessaire de se mettre en égalité avec l’autre et lui expliquer clairement ce qui peut ou ne peut pas se faire dans l’immédiat. Le langage de la vérité doit primer", souligne-t-il. Et d’ajouter que la politique a longtemps écarté le citoyen de la chose publique et qu’il faut régler cette faille.

Soulever les tabous
La société civile a, ici, un rôle essentiel à jouer, d’après Noureddine Ayouch. Pour lui, les associations doivent "prendre l’initiative d’engager un débat permanent. Il faut aller dans les lieux publics où il y a une jeunesse réceptive pour les sensibiliser".

Les jeunes, denrée rare de la pratique politique. "Au collectif, nous cherchons des jeunes motivés et engagés prêts à entrer dans l’activité sur le terrain de façon permanente. Malheureusement, très peu de jeunes veulent s’engager dans une association et dans des partis", constate amèrement le président du collectif.
Toutefois, l’association ne renonce pas à sensibiliser les jeunes à dynamiser le champ politique. Elle compte également poursuivre ses débats en soulevant des questions cruciales: liberté de conscience et de corps, libertés individuelles et sexuelles, avortement, égalité des sexes dans l’héritage, peine de mort… "Ce sont des sujets qu’on occulte arguant que le Maroc n’a pas besoin d’en débattre. Mais ce n’est pas vrai, c’est à travers les idées et la culture qu’on peut changer les mentalités".
Le prochain débat du collectif est prévu le 3 mai à Casablanca. Il sera question de la liberté de conscience avec des chercheurs du monde arabe et des oulemas.


Source : http://www.huffpostmaghreb.com/2018/02/23/collecti...