Soyez ravis par vos enfants!

Survivre en classe

Un témoignage de professeur.... décoiffant!


J'ai été prof dans une école en ZEP . J'avais des élèves de 5e 6e professionnelles, en gros, ils avaient tous plus de 18 ans, certains avaient mon âge, ils étaient tous plus grands que moi, certains étaient néonazis, d'autres immigrés (dans les mêmes classes, sur les mêmes bancs), quand ils chahutaient, ils éclataient des chaises sur le tabeau, ils lançaient des boulons dans la classe ou des morceaux de bois, ils cassaient des vitres et tagguaient des croix gammées sur les murs. Bref, le boxon.


Aujourd'hui, j'ai décidé depuis deux ans et demi d'arrêter de travailler pour élever mes enfants. Pourtant, cette décision n'a strictement rien à voir avec la situation que je décris, mais plutôt avec le dégoût d'un système qui fait que les enfants sont devenus comme cela.
Quand je suis arrivée, j'ai eu beaucoup de mal. J'ai fait comme tout le monde: j'ai appliqué le règlement de l'école, donné le programme, distribué les sanctions appropriées de manière la plus juste possible (les autres profs confirmeront qu'il est impossible d'être vraiment juste), j'ai déploré
> que les élèves, même quand ils avaient du travail à faire en classe ne le faisaient pas, j'ai déploré le niveau bas, le manque de soutien parental aux enfants...


J'ai eu la chance, la première année où j'ai enseigné, d'avoir une classe qui m'a énormément appris. Au début, cette classe était infernale. Je n'en pouvais plus, j'aurais pleuré pour ne pas y aller, il y a même un élève qui a voulu me casser la figure en début d'année, en réalité, je l'ai appris plus tard, un gamin psychotique qui avait oublié de prendre ses médicaments... Un jour, j'en ai eu marre. Et je leur ai dit que j'en avais marre, que c'était impossible pour moi de continuer comme ça, que je ne voyais pas ce que je faisais de mal, mais que je voyais que ça ne fonctionnait pas, que c'était invivable pour moi et que je supposais bien que c'était aussi invivable pour eux. Je leur ai dit qu'on allait mettre le programme entre parenthèse le temps qu'il faudrait, mais qu'on devait trouver une solution parce que ce qu'on faisait n'était de toute façon pas du travail. J'ai été stupéfaite: les élèves ont tout de suite dit qu'effectivement, ça n'allait pas, qu'ils étaient d'accord pour qu'on essaye de trouver des solutions mais qu'ils avaient peur que je les mette en échec à cause de ça, parce que le prof gagne toujours. J'ai dit que je m'engageais à ne pas le faire, mais qu'il y avait effectivement des choses que je ne supportais pas, notamment le fait de m'insulter ou d'insulter qui que ce soit, d'ailleurs, les comportements dangereux (style lançage de boulons), les comportements destructeurs (style cassage de chaises), bref, que je voulais du respect. Ils ont eux-même défini des sanctions pour ça. J'ai rétorqué que c'était exactement ce que j'avais fait, mais que les sanctions, ça ne marche pas, je ne voulais plus les appliquer. Alors ils ont décidé de les appliquer eux-mêmes. On a convenu qu'en cas de problème, je disais stop pour interrompre le cours, et la classe s'occupait de régler le problème. Au niveau de la matière, j'ai admis que tout n'intéressait pas tout le monde. J'ai expliqué qu'en tant que prof, je devais les évaluer, et que tout le programme "comptait". Ils ont bien compris, mais ont demandé à pouvoir gérer eux-mêmes ce qu'ils voyaient ou non. Donc, dans ma classe, on pouvait se retirer au fond de la classe pour faire autre chose en silence, du moment qu'on ne dérangeait pas ceux qui travaillent. J'avertissait cependant toujours les élèves concernés que je pensais que c'était dangereux de procéder comme ça. Au bout de 3-4 cours, ils étaient tous revenus travailler...


Vu le succès du système, je l'ai étendu à toutes mes classes. J'ai juste eu, par après, deux problèmes. Le premier, c'était un élève qui avait mal pris la blague d'un autre (qui prétendait qu'une femme devait obéir ou être frappée, en réalité une provocation envers moi). Mais la mère du gars en question avait été une femme battue, il a empoigné l'autre et l'a plaqué contre la porte. Je me suis interposée, j'ai discuté avec les deux. Normalement, j'étais tenue de lancer une procédure de renvoi, je ne l'ai pas fait, mais j'ai passé une bonne heure avec l'élève en lui expliquant pourquoi je ne pouvais pas ne rien faire. On a décidé ensemble d'un demi jour de retenue, mais je n'aurais jamais donné la sanction sans qu'elle soit librement acceptée par le gars (qui de toute façon était majeur donc pouvait ne pas la faire). Le second problème concernait une classe composée moitié de néonazis, moitié de musulmans, bref, c'était la guerre 40 en classe, les premiers étant tout de même beaucoup plus violents que les seconds. J'ai alors pris sur moi d'interdire toute allusion au nazisme, expliquant que de toute façon, quand ils auraient tous voté FN, ils ne vivraient plus en démocratie, ils devaient donc s'habituer à la dictature. Je m'en suis sortie par la dérision, mais ça a été très difficile pour moi, et mes collègues n'étaient d'aucune aide parce qu'ils ne s'en sortaient pas non plus. Les 8 élèves concernés ont fait l'objet d'une procédure de renvoi, je me suis juste abstenue de voter, parce que je ne voulais pas voter pour, mais je ne me sentais pas le courage de bloquer la procédure en votant contre et en > retrouvant le problème tel quel l'année suivante, en plus sans le soutien des collègues qui m'en auraient voulu.


Voilà, mon parcours de prof tient en fait presque de la désobéissance civile parce que normalement on ne peut pas procéder comme ça. Un inspecteur dans ma classe aurait immédiatement réagi négativement (j'avais d'ailleurs avec mes élèves une procédure à tenir en cas de visite d'inspecteur, ce qui n'a jamais eu lieu, les inspecteurs de ma branche étant surchargés de travail).
J'ai arrêté parce que j'étais dégoûtée du système. Dégoûtée de voir qu'en conseil de classe, des collègues aimés des élèves et hyper motivés se voyaient rabroués par des gars qui ne refaisaient pas leurs cours depuis 15 ans... Les élèves jugent aussi extrêmement bien leurs profs, ils voient bien
les motivations cachées,ect. Je me rendais compte aussi de l'injustice de l'évaluation. Plus finement, je me suis rendu compte que la culture scolaire est la culture d'un certain milieu, la classe moyenne aisée. Personne ne s'intéresse à la culture des élèves. J'ai fait avec une de mes classes une exposition informelle, on travaillait pendant les temps de midis, sur l'art du graffiti. Mes collègues étaient stupéfaits de voir les réalisations de mes élèves. Ils ont ensuite été chargés de faire une fresque dans l'école. Il y a une énorme discrimination. Plus finement encore, on a convaincu mes élèves de leur incapacité. Ils étaient tous persuadés d'être cons, alors que franchement, ils avaient une intelligence plus que normale. Ils étaient simplement aussi perdus dans le milieu scolaire que nous le serions chez les bushmans du Kalahari. Je pense que si l'école apprenait aux enfants à marcher, la moitié de l'humanité se traînerait à quatre pattes. Si l'école est productive pour certains enfants, elle est complètement contre productive pour d'autres.


Pour finir, je pense qu'en temps que parents, je dois être l'avocat de mes enfants et les défendre en toutes circonstances, en maintenant la vérité. Je ne suis pas non plus inconditionnellement pour la
desco, l'école aide parfois certains enfants à voir un autre point de vue que leur famille ultra violente. Le problème est quand l'école ajoute la violence institutionnelle à la violence familiale. Mes enfants iront en primaires dans une école Freinet dont je connais bien le fonctionnement (comme par hasard, d'ailleurs, les parents sont bienvenus dans cette école, pour des projets mais aussi pour venir voir la vie en classe ainsi qu'à tous les conseils d'école)
Je pense que les enseignants de maintenant sont à la fois victimes et bourreaux dans le système, allourdis par une masse d'enseignants qui plombent véritablement toute évolution. Les jeunes profs que j'ai connus pensaient autrement, j'espère que les choses vont pouvoir évoluer, mais je pense qu'il n'y aura de véritable évolution que par la désobéissance civile, ce qui est une décision très difficile à prendre parce qu'elle comporte le risque de devoir se passer de tout ou une partie de son revenu, ce dont les enseignants dépendent évidement. C'est un problème difficile, comme tous les problèmes créés par notre société de croissance ultracapitaliste. Ce fil de discussion me conforte dans mon militantisme d'objectrice de croissance...

Rédigé par X le Mardi 27 Octobre 2009 à 23:23 | Lu 2289 fois