Soyez ravis par vos enfants!

Violence éducative et communication

Gifle ou fesser un enfant, c’est, d’une certaine manière, communiquer avec lui. Mais que communique-t-on à un enfant en le frappant? Les connaissances actuelles sur le développement du cerveau ne nous laissent plus de doute aujourd’hui : la violence éducative, si faible soit-elle, est destructrice. Les institutions internationales ont compris que sa réduction serait un facteur de paix. Reste à en convaincre l’opinion publique et les Etats.

Cet article d'Olivier Maurel a déjà paru dans le magazine Bio Contact.


L’enfant se forme par la communication



Même né à terme, le nouveau-né humain est prématuré, c’est-à-dire longtemps incapable de survivre sans assistance. Son corps sait que, pour survivre, il doit obtenir les soins, la bienveillance, la protection des adultes.
Dès sa naissance, loin d’être passif, il participe activement, de multiples façons, à la création de liens avec ses parents. Téter, comportement de survie, est aussi un moyen d’établir un lien très fort avec sa mère. Ses pleurs sont des appels. Sa capacité à distinguer de son environnement la forme des visages, et notamment celui de sa mère, lui permet d’attirer du regard ceux qui l’entourent et donc d’accentuer l’intérêt qu’on lui porte.
C’est au cours de cette communication intense et vitale avec son entourage que son cerveau se forme. Ses neurones, déjà en place à la naissance, développent leurs axones, ces filaments qui les relient, et leurs milliards de connexions provoquent l’accroissement du volume de son cerveau qui passe du quart de son poids définitif à la naissance, à 50% à six mois et 95% à dix ans.



La communication “sculpte” le cerveau

La neurobiologie nous apprend que la communication interne entre les neurones dépend en partie des formes de communication que l’enfant établit avec ceux qui l’entourent. Le cerveau de l’enfant est “sculpté” par les expériences auxquelles il est confronté. "Tout
le développement de l’être humain, dit le neurobiologiste américain Bessel van der Kolk, spécialiste du stress post traumatique, c’est le développement des lobes frontaux. En tant que parents, nous sommes les médiateurs du développement du lobe frontal de nos enfants.
Lorsque nous lisons des histoires à nos enfants, lorsque nous les serrons dans nos bras, lorsque nous jouons avec eux, nous assurons le bon développement du lobe frontal. Si un enfant est toujours effrayé, terrifié, s’il n’est pas câliné, s’il est abandonné, négligé, ses
lobes frontaux ne se développent pas correctement et ils ne parviendront pas à assumer leur fonction qui est d’inhiber le système limbique. Dans ce cas, le lobe frontal n’est pas assez développé pour aider la personne à être en contact avec le présent. Elle sera incapable d’enregistrer des informations nouvelles et d’apprendre par expérience1 ".



Mais il en faut peu pour perturber le développement du cerveau

Des lésions infimes suffisent pour perturber le développement du cerveau d’un enfant.
Le neurobiologiste Antonio Damasio, par exemple, écrit qu’“un dysfonctionnement du système cérébral (...) peut être dû à un défaut de fonctionnement microscopique des circuits neuraux”. “Même des perturbations mineures des systèmes neuraux spécifiques suscitent une modification majeure des phénomènes mentaux.” 2
Joseph Le Doux, autre neurobiologiste réputé, écrit de son côté : “Quelques connexions supplémentaires d’un côté, un petit peu plus ou moins de neurotransmetteurs de l’autre, et les animaux commencent à se comporter différemment.3 ” Et les centres du cerveau
des émotions et de la mémoire émotionnelle, qui sont essentiels pour le comportement relationnel, sont particulièrement vulnérables.
Van der Kolk, déjà cité, a déclaré récemment au Nouvel Observateur4 : « On se méprend beaucoup sur la notion de traumatisme, qu'on assimile à tort à un évènement horrifique et exceptionnel. (...) Il y a aussi la foule des malheurs ordinaines inhérents à la condition humaine. S'ils ont été vécus dans un sentiment d'impuissance et de désespoir, ils peuvent eux aussi laisser une cicatrice douloureuse longtemps après les faits. Tous
ceux qui ont eu des parents violents, vécu une relation pénible, la mort d'un ami ou même un accident le savent bien. Ils ne présenteront pas forcément tous les symptômes de l'Etat de Stress PostTraumatique” mais “nos recherches nous montrent qu'à un degré moindre de très nombreuses personnes portent la trace du trauma dans leur corps ».



Quand l’enfant est agressé par sa base de sécurité

Aucun comportement inné de l’enfant ne le prépare à être agressé par sa mère ou son père qui sont sa base de sécurité. Un enfant agressé par une tierce personne peut crier pour appeler sa mère; s’il est assez grand, il peut courir se jeter dans ses bras. Mais un
enfant agressé par sa mère ou son père, même si cette agression se limite à une tape, une gifle ou une fessée, ressent cette situation d’isolement comme une situation de danger. Tout son corps sait qu’il ne peut pas survivre seul. Et la relation de confiance établie avec ses parents est pour lui vitale. Attaqué par ceux qui assurent sa survie, ce que son corps éprouve, c’est angoisse et stress.
Or, le stress est une réaction normale et bénéfique quand elle peut aboutir au comportement auquel elle prépare tout l’organisme : la fuite ou la défense. Dans ce cas, les hormones diffusées dans l’organisme d’un animal ou d’un homme sur l’ordre de son cerveau, mettent son corps en état d’alerte. Puis, lorsque l’organisme en danger (animal ou humain) a pu fuir ou se défendre, il retourne progressivement à son état normal sans dommages pour son équilibre interne.
Mais les expériences de Henri Laborit, présentées dans le film d’Alain Resnais Mon Oncle d’Amérique, ont montré que lorsqu’un animal en situation de stress ne peut ni fuir ni se défendre, les hormones du stress deviennent toxiques, attaquent le système digestif et les
neurones. De plus, le système immunitaire, désactivé par le cerveau en cas de stress, par “économie d’énergie”, perd de son efficacité s’il l’est trop souvent.
Or, l’enfant frappé par ses parents ne peut précisément ni fuir, parce qu’il est physiquement retenu et entièrement dépendant de ses parents, ni se défendre parce qu’il est trop faible ou qu’il est impensable de leur rendre les coups. Et quand les parents ont pris l’habitude de donner des gifles et des fessées, l’enfant peut en recevoir souvent, précisément pendant toute la période où son cerveau se forme.
Il n’est donc pas étonnant que les enfants frappés dans leurs premières années soient plus souvent malades, et ont une propension à subir des accidents plus graves et plus fréquents que les enfants qui ont été respectés5 .
Il faut avoir présente à l’esprit cette vulnérabilité du cerveau des enfants quand on aborde la question de la violence éducative ordinaire, c’est-à-dire de toutes les formes de violence physique, même légères, qu’on trouve normal d’utiliser pour leur éducation. En
réalité, ces violences s’insèrent dans le réseau de communications qui contribue à la formation de l’enfant, mais de façon destructrice, et elles y ont bien d’autres effets que ceux que nous imaginons.



Les messages destructeurs de la violence éducative

Nous croyons en général qu’une gifle ou une fessée dissuade simplement l’enfant de reproduire un comportement répréhensible.
Mais le message idéologique qu’une gifle ou une fessée envoie à un enfant est bien plus complexe et plus destructeur. Parce que nous sommes les modèles de nos enfants, une gifle ou une fessée inculque en un seul geste et d’un seul coup (c’est le cas de le dire!) une
formidable leçon d’immoralité et d’antidémocratie. Elle leur apprend en effet que :
- Quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, on a le droit de le frapper, même si on l’aime.
- Quand on est grand et fort, on a le droit de frapper les êtres petits et faibles.
- Quand quelqu’un vous frappe ou vous menace, il faut se soumettre à lui.
- La violence est un mal mais c’est aussi un bien, puisque c’est “pour son bien” qu’on frappe l’enfant.
De telles maximes ne peuvent que dérégler la boussole intérieure d’un enfant et lui rendre difficile la distinction du vrai et du faux, du bien et du mal. Elles le rendent vulnérable à toutes les propagandes, ou au prestige des gourous, des caïds de quartier ou des prédicateurs de terrorisme. Faire violence aux autres “pour le bien” d’un parti, d’une religion, d’une nation ou pour son propre bien lui paraîtra normal : c’est ce que ses modèles lui ont appris pendant les années où son cerveau se formait.
Et il pourra aller très loin dans la violence, parce qu’un autre effet de la violence éducative est de détériorer le sens de l’empathie.


L’empathie, base innée de l’altruisme

Il existe chez les animaux et donc chez nous, une capacité d’empathie qui nous permet d’identifier et de comprendre les émotions des autres et donc de considérer autrui comme un semblable. C’est la base émotionnelle de l’altruisme.
Des singes, l’expérience en a été faite, sont capables de se priver de nourriture s’ils doivent, pour se la procurer, faire souffrir un de leurs congénères. Cette forme instinctive de la règle d’or de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, est présente aussi en nous, si du moins l’éducation ne la détruit pas par des messages et des exemples qui la contredisent. Or, l’enfant qui subit de ses parents des punitions
douloureuses, doit se blinder pour survivre et se ferme à ses propres émotions. C’est ainsi qu’est mise hors circuit la capacité d’empathie. Quand cette capacité naturelle est désactivée, toutes les morales et toutes les religions du monde ne sont plus que des
prothèses, incapables d’inspirer un comportement altruiste dans les situations de crise. Pires, elles peuvent devenir des idéologies auxquelles il semble normal de sacrifier hommes, femmes et enfants que l’on ne ressent plus, émotionnellement, comme des semblables.
On a vu ainsi un des peuples les plus cultivés et christianisés d’Europe, mais massivement élevé de façon autoritaire et violente, commettre ou laisser commettre le pire des génocides sous les ordres d’un homme, Hitler, dont l’enfance avait été elle-même ravagée par la violence et les humiliations de son père. C’est ce qu’a montré Alice Miller dans son livre C’est pour ton bien6 . Et ses recherches sur l’enfance des dictateurs du XXe siècle ont révélé qu’ils ont tous été victimes de violence éducative, qu’il s’agisse de Staline, de Mao, de Ceausescu, d’Amin Dada ou de Saddam Hussein.


Un résultat minimum garanti de la violence éducative

Mais, pensera-t-on peut-être : “J’ai été frappé et je n’en suis pas devenu criminel pour autant!”
Heureusement, les effets destructeurs de la violence éducative sur le cerveau et le psychisme sont souvent compensés par la rencontre de personnes qui, par leur affection et leur respect, permettent aux enfants de retrouver une part de leur respect d’eux-mêmes et d’avoir un comportement conforme à la morale admise dans leurs relations avec les adultes.
Mais le résultat minimum presque garanti de la violence éducative, si nous ne l’avons pas identifiée comme un mal, c’est de nous rendre aveugles à nos propres contradictions parce que cette violence a perturbé notre sens moral et notre sens de la logique.
Ainsi, nous serions outrés si un policier nous giflait pour une infraction au code de la route. Pourtant, nous giflons les enfants pour des actes bien moins graves que nos infractions. De même, nous serions outrés si, dans une maison de retraite, nous voyions un
membre du personnel gifler une pensionnaire qui, en raison de son âge et de la détérioration de son cerveau, refuse de manger ou de se laver. Pourtant, les comportements de nos enfants sont aussi dus à leur âge et à l’immaturité de leur cerveau.
Et il n’est pas nécessaire d’être gravement maltraité pour tomber dans cette contradiction. L’enfant victime de banales gifles et fessées dès son plus jeune âge ne voit plus ensuite ce qu’il y a d’anormal à frapper les enfants car sa tolérance à l’égard de la
violence s’est accrue.


Une possibilité de réduire la violence?

Prendre conscience de cette contradiction et des dégâts causés par la violence éducative peut agir sur l’avenir du monde. Depuis des millénaires, les hommes ont été soumis, au moment où leur cerveau se formait, à des violences dont la forme la plus courante était la
bastonnade. Le neurobiologiste, Antonio Damasio, déjà cité dans cet article, m’a personnellement confirmé que nos violences, très supérieures à celles dont les animaux sont capables sur leur propre espèce, peuvent avoir leur source dans ces traitements infligés aux enfants.
Interdire toute forme de violence éducative et aider les parents à adopter des méthodes d’éducation sans violence est donc probablement la plus sûre façon de réduire la violence humaine.
L’UNICEF, l’Organisation Mondiale de la Santé, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, le Conseil de l’Europe s’unissent actuellement pour obtenir cette interdiction dans tous les pays.
Malheureusement, la France est très en retard dans ce domaine et elle a même été absente de la conférence qui a réuni sur ce thème plus de 40 pays d’Europe et d’Asie centrale en juillet dernier, en Slovénie.



Que pouvez-vous faire?

- Vous informer en lisant la brochure de l’association Ni claques ni fessées (3 villa Quincy 92170 Vanves; tél : 01 46 38 21 22) ou mon livre La Fessée, Questions sur la violence éducative (12€).
- Si vous avez de jeunes enfants, lire le livre de Thomas Gordon : Parents efficaces (Marabout) ou celui de Catherine Dumonteil Kremer : Poser des limites à son enfant (Jouvence).
- Signer la pétition pour l’interdiction de la violence éducative en France adressée au premier Ministre (La demander à O. Maurel 1013C Chemin de la Cibonne 83220 Le Pradet; ou par e-mail à omaurel@wanadoo.fr).
- Participer à la recherche sur la violence éducative en m’envoyant, même sous anonymat, votre témoignage sur la façon dont vous avez été élevé.
- Participer aux activités de l’Observatoire de la violence éducative (http://www.observatoire-international-de-la-violence-educative.org).

Olivier Maurel


Professeur retraité.
Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO)

Bibliographie :
- Allemagne 1631 : un confesseur de sorcières parle (L’Harmattan, 2000)
- La Fessée, Questions sur la violence éducative (La Plage, 2001;
réédition augmentée, 2004).
- La Non-Violence active, Cent questions-réponses pour résister et
agir (La Plage, 2001).
- Essais sur le mimétisme (L’Harmattan, 2002).
- Oedipe et Laïos, Dialogue sur l’origine de la violence
(L’Harmattan, 2003).


Rédigé par Olivier Maurel le Mercredi 4 Avril 2007 à 14:40 | Lu 8714 fois