La neutralité d'internet en questions
Aussi inéluctable que le retour des hirondelles, la problématique de la neutralité d'internet revient dans les débats chaque fois qu’est abordée la question de la régulation de la toile. Ce terme un peu abscons recouvre d'importants enjeux dont il est difficile de mesurer toutes les implications.
Tentative de définition
En théorie, la neutralité du net assure que le réseau des réseaux ne doit discriminer ni le contenu qu'il transporte, ni la source qui émet, ni la destination qui reçoit. Il doit être « idiot » et se contenter de faire ce pour quoi il a été créé dès son origine : transporter des données d'un point à un autre. « Bête à manger du foin », confirme Benjamin Bayart, président de FDN – le plus ancien fournisseur d'accès à internet français – et fervent défenseur de la neutralité d'internet (voir ci-contre). En pratique, la question de la neutralité d'internet est loin de se nourrir uniquement de paille et relève davantage de la pieuvre que de la placide bourrique.
Des enjeux économiques colossaux
La neutralité d'internet est au coeur d'une bataille épique entre les fournisseurs d'accès internet et les fournisseurs de contenu (Google, Dailymotion, Facebook, etc.). Les premiers, qui ont posé les tuyaux, ne comprennent pas pourquoi ils devraient supporter seuls le coût des infrastructures, pendant que les seconds en tirent gratuitement bénéfice. Conscients qu'ils pourraient se retrouver en position de force, les FAI souhaiteraient augmenter leurs profits en percevant un « droit de passage » sur le réseau. Favoriser certains sites au terme d'accords commerciaux, réguler l'accès aux portails trop gourmands en bande passante, en bloquer d'autres… Voilà certaines des armes de dissuasion massives qu'ils pourraient mettre en place.
Face à cela, les géants du web restent ambigus : d'une part ils ont intérêt à être diffusés le plus librement et le plus massivement possible – et donc à favoriser la neutralité du réseau – ; de l'autre ils ont les moyens de payer et pèsent suffisamment pour passer des accords à leur avantage. Tel n’est pas le cas des petits acteurs, pour qui la neutralité est un facteur de distribution et d'innovation inégalable. Entre diffusion et renforcement de leur position dominante, les ogres d'internet n'ont pas encore tranché.
Des enjeux politiques majeurs
Même hésitation du côté des politiques, qui hésitent à choisir leur camp. Premier média à réellement permettre « la libre communication des pensées et des opinions » (Art. 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) et à rendre à tout un chacun une parole généralement confisquée par une poignée de privilégiés, internet représente une avancée démocratique majeure. Le web est également à l'origine de gains de productivité sans précédent, mais ce vaste espace de liberté inquiète.
La lutte contre le piratage ou, à un autre niveau, contre la pédophilie et le terrorisme, semble justifier l'entreprise de régulation d'internet – notamment par le filtrage des sites et « l'écoute » du réseau – et donc la perte de sa neutralité. Or, si ces pratiques sont bien sûr condamnables, demander à ce que les FAI interviennent revient à demander à La Poste d'ouvrir tous les courriers pour vérifier s'ils ne sont pas hors la loi.
Techniquement incertaine, cette position aurait des conséquences encore imprévisibles. Conscient des risques, le gouvernement a choisi la semaine dernière de contourner le problème en transposant par ordonnances la réglementation européenne dite du Paquet Télécom. Le grand débat semble ajourné, mais pour combien de temps ?
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