Le mur des fédérés
Franck Laurent : Victor Hugo, Le Rappel et la Commune
Compte rendu de la communication au Groupe Hugo du 13 mars 2004.
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L’attitude de Hugo vis-à-vis de la Commune de 1871 est marquée d’une ambivalence qui rejaillit souvent sur l’interprétation que l’on peut faire a posteriori de cette attitude. Peut-être la compréhension des rapports de Hugo et de la Commune dépend-elle beaucoup de l’idée qu’on se fait de la nature et de la signification politiques de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871, et de ses suites. En forçant quelque peu le trait, on pourrait poser que si l’on voit dans la Commune d’abord une révolution sociale, la première prise de pouvoir du prolétariat et de son avant-garde contre ou tout au moins sans la bourgeoisie (y compris la bourgeoisie républicaine avancée, comme on disait en ces temps lointains), alors Hugo n’aura sans doute pas grand-chose à voir avec les Communards. Alors on mettra l’accent sur son rejet de la lutte des classes, sur son refus de toute remise en cause radicale de la propriété privée, sur sa méfiance à l’égard de Proudhon et de Blanqui, sur sa complète ignorance de Marx, et l’on brandira le pamphlet de Lafargue[1]. Bref, Hugo, poète bourgeois sentimental, ne pouvait évidemment rien comprendre à cette première ébauche de révolution prolétarienne ; au mieux lui accordera-t-on de n’avoir pas hurlé avec les loups, et d’avoir éprouvé quelque pitié envers les vaincus.
En revanche, si l’on prend en compte ce qui dans la Commune de Paris relève d’un mouvement de défense républicaine, dont le style et les réalisations restent au moins en partie liés au mouvement républicain avancé tel qu’il est issu des démocs-socs de la Seconde République et s’est développé sous le Second Empire, alors apparaît assez clairement tout ce qui peut rapprocher Hugo et la Commune. D’abord parce que Hugo, depuis la fin de la Seconde République, et plus encore en exil, est devenu l’un des plus illustres représentants de ce radicalisme républicain dans lequel la Commune plonge au moins quelques-unes de ses racines. Mais pour envisager la question sous ce dernier angle, il convient de replacer l’événement Commune (et les réactions de Hugo à son égard) dans une histoire plus vaste, celle du républicanisme radical sous le Second Empire, celle de la guerre et de la défaite, et même celle de la constitution immédiate d’une mémoire de la Commune, dans laquelle Hugo d’emblée eut sa place, problématique.
La République des proscrits
Dès avant le coup d’État mais plus encore après, une frange majeure des républicains analyse l’échec de la Seconde République comme la conséquence d’un dysfonctionnement profond de l’État et de la représentation politique[2]. À cette critique radicale de l’État, Hugo participe, notamment dans Napoléon-le-Petit (1852). Le huitième livre du pamphlet, intitulé « Le progrès inclus dans le coup d’État », reprenant et approfondissant certains points du discours du 17 juillet 1851 sur la révision de la Constitution, propose un programme de refonte en profondeur des institutions, et affirme que la République authentiquement républicaine devra en finir avec quatre piliers de l’État qui « s’opposent à l’avenir »:
L’armée permanente,
L’administration centralisée,
Le clergé fonctionnaire,
La magistrature inamovible.[3]
Voilà donc ce qu’il faut détruire pour fonder la République. Rien que cela !
Il importe de préciser que Hugo défend ici un programme dont il n’est ni le seul auteur, ni le seul adhérent. Bien au contraire, il représente une tradition républicaine profonde et tenace, - quoique aujourd’hui bien oubliée. Ce programme est issu des plus radicaux (mais aussi des moins jacobins) des démocs-socs de la Seconde République. Il est approfondi et précisé après le coup d’État par les exilés dont la critique de l’État centralisé s’appuie notamment sur une critique assez radicale de la représentation politique. En particulier, leur promotion du communalisme milite d’abord pour une sorte de démocratie directe, opposée à la représentation parlementaire issue de la tradition libérale, ou tout au moins la limitant.
Ajoutons que ce programme peut alors constituer un terrain d’entente, au moins potentiel, entre Républicains et Socialistes : il retrouve une part des travaux de l’éphémère Commission du Luxembourg mise en place après février 1848 et présidée par Louis Blanc ; les proudhoniens (pour longtemps encore les plus représentatif de la sensibilité ouvrière française, surtout à Paris) peuvent plus ou moins s’y retrouver ; enfin la critique radicale de l’État centralisé est conduite également, en des termes souvent proches de ceux de Hugo, par Marx, notamment dans le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte.
Décentralisation administrative au profit d’une fédération de communes largement autonomes ; substitution du jury populaire et des juges élus à la magistrature professionnelle et inamovible ; garde nationale citoyenne au lieu de l’armée permanente ; séparation totale de l’Église et de l’État, - tous ces principes seront repris par tous les républicains de gauche durant l’Empire. Aux élections de 1869, ils constitueront l’essentiel des professions de foi électorales, non seulement d’un Gambetta, d’un Rochefort, ou d’un Bancel, mais tout autant d’un Jules Ferry :
L’expérience - une expérience chèrement acquise - a dû nous apprendre quelles sont, au sein de cette grande démocratie française, les conditions fondamentales du gouvernement libre.
Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer :
L’entière liberté de la presse,
L’entière liberté de réunion,
L’entière liberté d’enseignement,
L’entière liberté d’association.
Ce n’est pas assez de décréter toutes les libertés : il faut les faire vivre.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle vivra dans les liens de la centralisation administrative, ce legs fait par le bas-empire à l’ancien régime, qui le transmit au consulat.
La France n’aura pas la liberté tant qu’il existera un clergé d’État, une Église ou des Églises officielles ; l’alliance de l’Église et de l’État n’est bonne ni à l’État ni à l’Église ; elle nous a valu, entre autres, cette interminable occupation romaine, qui fausse notre position en Europe, et qui tend incessamment, parmi nous, à faire dégénérer les questions politiques en querelles religieuses.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle ne possédera pas une justice sérieusement indépendante du pouvoir.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle s’obstinera dans le système des armées permanentes, qui entretiennent d’un bout de l’Europe à l’autre l’esprit de haine et de défiance; qui, à l’intérieur, éternisent les gros budgets, perpétuent le déficit, ajournent indéfiniment la réforme de l’impôt, absorbent enfin dans des dépenses improductives les ressources qu’exigent impérieusement la grande oeuvre sociale de l’enseignement populaire.[4]
Or, non seulement il serait assez difficile de repérer un quelconque désaccord entre ces propos et les positions de Hugo, mais c’est principalement l’application de ces principes que réclameront les Communards, et qu’ils réaliseront tant bien que mal, - comme avaient tenté de les réaliser les premiers mouvements communalistes et fédéralistes de l’automne 1870.
Tout autant que cette critique de l’État centralisé et de la représentation politique, l’internationalisme est caractéristique de l’esprit républicain radical sous le Second Empire, - et l’on en retrouvera bien des traits pendant la Commune. Mouvement plus ou moins diffus, hérité du Printemps des Peuples de 1848, et qui s’enflamme pour les luttes des nationalités opprimées, travaille à la constitution d’une opinion publique internationale, rêve d’élargir à l’Europe et au monde le combat pour la justice et pour la liberté. Mouvement, en partie au moins, consolidé par l’exil, en ce que l’exil est alors une réalité européenne.
On peut évoquer quelques grandes figures, et quelques grands moments, de cet internationalisme-là : Kossuth, Garibaldi, l’expédition des Mille en 1860, l’insurrection polonaise de 1863… On peut évoquer aussi certaines de ses tentatives d’organisation militante : le Comité révolutionnaire européen (fondé à Londres au début de leur exil par Ledru-Rollin, Kossuth et Mazzini) ; ou, plus tard, quand après Sadowa la guerre européenne menace à nouveau, la reviviscence des Congrès de la paix à l’initiative de la Ligue pour la paix et pour la liberté. Les « étrangers » de la Commune, dont le plus célèbre est le général Dombrowski, et tous ces polonais exilé après l’insurrection de 1863, ou encore ces français qui ont fait le coup de feu un peu partout dans la décennie précédente avant de combattre parmi les Fédérés : Flourens, en Crète, ou Cluseret, en Irlande puis dans les troupes nordistes, - tout cela relève d’abord de cet internationalisme républicain, « garibaldien » pour aller vite, bien plus directement que de la jeune Internationale des Travailleurs[5].
Or Hugo en exil est devenu l’un des piliers, au moins symboliques, de cet internationalisme-là : son activisme interventionniste, interventions le plus souvent sollicitées, le montre. Durant tout l’exil Hugo aura parlé ou écrit pour les Italiens, les Polonais, les Irlandais, les Crétois, les Espagnols, les Suisses, les Mexicains, les Cubains, les Chinois... Et en 1869 il préside le Congrès de la paix, à Lausanne, et il y proclame la réconciliation, voire la synonymie, de la République et du Socialisme, - alors que, comme en 1867, le congrès de l’AIT vient juste de se tenir, deux jours plus tôt, dans une autre ville suisse[6]. Hugo qui durant tout l’exil prône les États-Unis d’Europe, les Peuples-Unis d’Europe, la grande fédération continentale républicaine, prodrome de la République universelle.
Or ce mot d’ordre de République universelle traverse non seulement cette zone du républicanisme de gauche des années 1850-1860, - mais tout autant le mouvement socialiste et ouvrier en cours de formation. Et il sera bien vivant pendant la Commune. Deux exemples. Le 10 mars 1871, la Fédération républicaine de la Garde nationale, qui vient de voter ses statuts et qui va faire l’insurrection huit jours plus tard, déclare solennellement : « Jurons donc de tout sacrifier à nos immortels principes. La République française d’abord, puis la République universelle.[7] » Pendant comme après l’insurrection, Louise Michel termine ses lettres non seulement par « Vive la Commune ! », mais par un aussi vibrant : « Vive la République universelle ! », ou « Vive la République sociale universelle ! »
Il est donc nécessaire, pour comprendre la Commune et les rapports de Hugo avec elle, de prendre en considération cette tradition républicaine, tradition très largement occultée par la suite, en partie, précisément, à cause de la Commune et de son échec, c’est-à-dire de la proximité, évidente pour les contemporains, du mouvement communard et de cette idéologie républicaine.
Hugo et Paris pendant le siège
Lié au républicanisme rouge des opposants à l’Empire, le fait Commune ne peut pas non plus être détaché de son contexte immédiat : la guerre et la défaite. Contexte dans lequel Hugo prend une part significative.
Hugo rentre à Paris le 5 septembre, le lendemain de la proclamation de la Troisième République. Il est accueilli par un déferlement d’enthousiasme populaire. S’il n’exercera pendant tout le siège aucune responsabilité politique officielle, sa popularité sera phénoménale, et cristallisera avec l’extraordinaire succès des Châtiments, le recueil poétique de 1853 étant réédité dès octobre. Cet enthousiasme pour Châtiments conjugue la violence libératoire contre l’Empire tombé et l’appel à la résistance contre l’ennemi, à la guerre à outrance. Sentiment patriotique ardent, très majoritairement partagé par le petit peuple de la capitale, et chauffé à blanc par les déclarations de Hugo « Aux Français » (17 septembre) et « Aux Parisiens » (2 octobre). Durant tout le siège le vieux poète, arborant le fameux képi de garde national, sera parfaitement au diapason de l’esprit populaire du moment. Esprit populaire, et pas forcément « national ». Car malgré les déclarations officielles, la guerre de 1870-1871 ne produit pas d’union sacrée. Très tôt, les républicains modérés, les libéraux, sans parler même des monarchistes, les hommes d’ordre de partout et la plupart des campagnes (à l’exception notable des provinces de l’est, occupées) s’opposent de moins en moins sourdement à la politique de résistance patriotique et de guerre à outrance. Le désir de paix est majoritaire dans le pays, porté par la conscience que l’armée est détruite et par la crainte que la prolongation des hostilités ne débouche sur le chaos social. L’esprit des Châtiments, loin d’être alors celui, consensuel, de l’unité nationale, est celui des républicains « rouges ». Le bellicisme est alors de gauche, et surtout populaire, en tout cas dans la capitale assiégée.
La lecture de sa correspondance et de ses carnets montre que pendant le siège de Paris Victor Hugo reçoit bien plus de visites « politiques » que de visites « littéraires », et pour l’essentiel ces visiteurs sont situés à gauche voire à l’extrême gauche de l’échiquier politique du temps. Et, sans entrer dans le détail des relations diverses qu’il a pu entretenir avec eux, on constate qu’il a au moins croisé, et parfois bien davantage, un certain nombre de futurs responsables de la Commune. Au moins : Flourens, Gambon, Miot, Pyat, Delescluze, Jourde, Cluseret, - auxquels il faut bien entendu ajouter Louise Michel.
Pour toutes ces raisons il n’est pas étonnant que le nom de Hugo apparaisse lors de l’affaire du 31 octobre 1870, sorte de première ébauche de l’insurrection du 18 mars. Pendant cette « journée » insurrectionnelle, militants socialistes et gardes nationaux des quartiers populaires tentent de prendre le pouvoir municipal, voire le contrôle du gouvernement de Défense nationale, taxé de défaitisme. A l’Hôtel de Ville, Flourens fait acclamer la liste d’un Comité de Salut public dans lequel figure Victor Hugo, en compagnie de représentants de l’extrême gauche républicaine et socialiste[8].
Pourtant Hugo rejette ce qu’il considère alors comme une politique putschiste. Certes, il est plus que critique envers la plupart des membres du gouvernement, et surtout du gouverneur militaire de Paris, le général de sensibilité royaliste Trochu, - nom qu’il traduira dans L’Année Terrible en « participe passé du verbe trop choir »[9]. Mais pour l’instant, en présence de l’ennemi, il faut à tout prix (ou presque à tout prix) maintenir l’unité républicaine la plus large possible. D’autant qu’il est loin d’éprouver de la sympathie pour tous les meneurs socialistes. Il redoute le sectarisme, la propension présumée au terrorisme des blanquistes comme Rigault, ou des néo-jacobins comme Delescluze. C’est là, en somme, que gît son futur désaccord avec la Commune.
Mais en attendant, il demeure en phase avec « l’esprit parisien » du moment : le résultat des élections de février 71 à Paris sont claires (d’autant plus claires que le vote parisien, du fait de la désertion des électeurs des beaux quartiers repliés en Province, sur-représente encore la composante populaire et petite-bourgeoise de la capitale) : Hugo est élu second, derrière un autre grand revenant de 48 et de l’exil, Louis Blanc, et devant la figure de proue des jeunes radicaux, Gambetta.
L’Assemblée de Bordeaux
La capitale, ainsi que quelques grandes villes comme Lyon, Marseille, Bordeaux, a donc voté républicain, d’un rouge plus ou moins foncé. Mais, plus encore que sous l’Empire, cette tendance reste minoritaire, et l’Assemblée de Bordeaux, puis de Versailles, sera dominée par des hommes d’ordre, des notables effrayés, revanchards, et monarchistes. Minoritaires, les républicains de toutes tendances doivent composer avec les libéraux menés par Thiers, d’anciens orléanistes pour la plupart, prêts avec leur chef de file à accepter la république comme un moindre mal, si celle-ci garantit l’ordre social et ramène la paix. Alors que la majorité des républicains accepte le « Pacte de Bordeaux », et donc le soutien à Thiers en échange de la garantie que la question du régime ne sera pas posée tant que le rapport de forces parlementaire est si manifestement défavorable aux républicains, Hugo fait partie de ceux qui défendent une politique de rupture avec cette Assemblée monarchiste et capitularde. Comme en 1851 quand il s’opposait à la révision constitutionnelle qui aurait permis à Louis Bonaparte de faire l’économie d’un coup d’État (attitude qui, selon l’hypothèse de Guy Rosa, était motivée avant tout par la crainte d’une dérive autoritaire du régime qui aurait pervertir la nature démocratique de la République et obéré durablement sa charge progressiste et messianique pour en faire un régime parmi d’autres[10]), Hugo pense alors (contre des personnalités pourtant aussi proches de lui que Louis Blanc ou Schœlcher) que la meilleure manière de préserver l’avenir républicain du pays est d’éviter la compromission avec les forces du passé, majoritaires au sein de l’Assemblée.
Plus précisément, deux lignes de fracture éloignent Hugo de cette Assemblée et provoqueront sa démission : la question de la paix (nous ne nous y attarderons pas ici : Hugo refuse la capitulation et la cession de l’Alsace-Lorraine) et la question de Paris. Car le 7 mars et surtout le 10, l’Assemblée va adopter un train de mesures qui mettront aux abois le peuple parisien : retour au fonctionnement normal du Mont-de-piété[11], attribution de la solde de la garde nationale aux seuls indigents (sur présentation d’un certificat), abrogation des décrets qui accordaient un délai aux débiteurs pour le paiement des loyers et des dettes industrielles et commerciales des tout petits entrepreneurs, si nombreux à Paris. Bref, retour à la stricte orthodoxie économique après les mesures sociales prises pendant le siège, et ce alors qu’aucune des conditions nécessaires à la reprise n’est encore réunie. Le politique et le symbolique ne sont pas oubliés : Paris ne sera plus la capitale de la France, et l’Assemblée, sinon le gouvernement, n’y résideront plus. Au pavé brûlant qui avait vu tant de révolutions, les notables préféraient les galeries classiques du palais de Versailles, toutes pleines des souvenirs de l’Ancien Régime, - et de ceux, tout récents, des souverains germaniques qui y avaient établi pendant les opérations leur grand quartier général et venaient d’y proclamer l’Empire d’Allemagne.
Le 6 mars, dans le 11ème bureau de l’Assemblée, Hugo prononce un discours dénonçant l’ensemble de ces mesures projetées, et bientôt votées[12]. Le 8, il démissionne, à l’issue d’une séance particulièrement houleuse pendant laquelle la droite, chauvine autant que capitularde, s’efforcera de l’empêcher de saluer « l’étranger » Garibaldi[13], et où M. le vicomte de Lorgeril s’écriera, écumant debout depuis son banc malgré les rappels à l’ordre du président Grévy : « L’Assemblée refuse la parole à Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français »[14].
Ainsi, l’action de Hugo à Bordeaux demeurait absolument fidèle à l’esprit de ses mandants, et lui conservait intacte toute sa popularité parisienne.
Hugo face à la Commune
Le 15 mars à Bordeaux le fils aîné de Hugo, Charles, meurt subitement d’apoplexie. Par un de ces hasards de l’histoire qui jalonnent l’existence du poète, le corps est transporté de la gare d’Orsay au Père-Lachaise le 18 mars, jour de l’insurrection parisienne. L’ancien communard Prosper-Olivier Lissagaray relate ainsi l’effet produit par le convoi funèbre sur les Fédérés insurgés :
A la Bastille, où le général Leflô manque d’être pris, la garde nationale fraternise avec les soldats. Sur la place, un moment de grand silence. Derrière un cercueil qui vient de la gare d’Orléans, un vieillard tête nue que suit un long cortège: Victor Hugo mène au Père-Lachaise le corps de son fils Charles. Les fédérés présentent les armes et entrouvrent les barricades pour laisser passer la gloire et la mort.[15]
Puis, très vite, dès le 20, Hugo part pour Bruxelles débrouiller la succession de son fils, et c’est depuis la capitale belge qu’il suivra les développements de l’insurrection.
Si l’on excepte, ce qui certes n’est pas rien, les mesures de contre-terreur (décret des otages) et celle, symbolique, de la destruction de la colonne Vendôme, on constate que Hugo ne remet pas en cause le programme et les autres mesures prises par l’assemblée communale : programme, on l’a vu, conforme au républicanisme radical (communalisme et fédéralisme, séparation de l’église et de l’État), et réactivation des mesures sociales prises par Gambetta pendant le siège et supprimées par l’Assemblée de Bordeaux.
Il importe également de ne pas abuser, pour comprendre l’attitude hugolienne, du parallèle classique qui rapproche juin 1848 et mars 1871, - quelle que soit au juste la pertinence historique (sans doute discutable) de ce parallèle. En juin 1848, et même encore pendant l’exil, dans Les Misérables notamment, Hugo refuse au soulèvement ouvrier la légitimité politique, au nom de la légitimité d’une Assemblée nationale élue au suffrage universel : juin 1848 n’a pas le droit, même si on y discerne « la sainte anxiété du travail réclamant ses droits »[16]. De ce point de vue, la situation est toute autre en mars 1871 : Hugo, qui vient de démissionner de l’Assemblée, ne saurait condamner l’insurrection au nom de la légitimité de celle-ci. Il n’a de cesse, comme les Communards, de la contester et d’appeler à sa dissolution. Inversement, il affirme à plusieurs reprises le droit de l’insurrection du 18 mars et de la Commune elle-même, tout au moins dans ses principes fondateurs. Et pourtant, il la désapprouve.
Hugo conteste non le droit, mais l’opportunité de l’insurrection (on n’entre pas en guerre civile sous les yeux de l’ennemi victorieux) ; il dénonce l’isolement des responsables qui ont rompu avec les républicains radicaux ; enfin il récuse une grande partie du personnel politique de l’assemblée communale, et les mouvements plus ou moins groupusculaires qu’ils représentent, les blanquistes comme Rigault ou les néo-jacobins comme Delescluze. Depuis Bruxelles, dans une lettre adressée le 18 avril à Meurice et Vacquerie, il assène : « La Commune, chose admirable, a été stupidement compromise par cinq ou six meneurs déplorables »[17]. Position développée dans la longue lettre adressée aux mêmes, datée du 28 avril 1871 mais sans doute écrite pendant l’été, à Vianden donc, et publiée dans Le Rappel le 6 mars 1872 :
Certes le droit de Paris est patent […] Paris commune est la résultante de la France république […] La vraie définition de la république ; la voici : moi souverain de moi. C’est ce qui fait qu’elle ne dépend pas d’un vote. Elle est de droit naturel, et le droit naturel ne se met pas aux voix. Or une ville a un moi comme un individu ; et Paris, parmi toutes les villes, a un moi suprême. C’est ce moi suprême qui s’affirme par la Commune.
[…]
Le droit de Paris de se déclarer Commune est incontestable.
Mais à côté du droit il y a l’opportunité.
Ici apparaît la vraie question.
Faire éclater un conflit à pareille heure ! la guerre civile après la guerre étrangère ! Ne pas même attendre que les ennemis soient partis !
[…]
Le moment choisi est épouvantable.
Mais ce moment a-t-il été choisi ?
Choisi par qui ?
Qui a fait le 18 mars ?
Examinons.
Es-ce la Commune ?
Non. Elle n’existait pas.
Est-ce le comité central ?
Non. Il a saisi l’occasion, il ne l’a pas créée.
Qui donc a fait le 18 mars ?
C’est l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité.
Circonstance atténuante : elle ne l’a pas fait exprès.
[…]
La Commune est une bonne chose mal faite.
Toutes les fautes commises se résument en deux malheurs : mauvais choix du moment, mauvais choix des hommes.
[…]
Supposons un temps normal ; pas de majorité législative royaliste en présence d’un peuple souverain républicain, pas de complication financière, pas d’ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de Prusse. La Commune fait la loi parisienne qui sert d’éclaireur et de précurseur à la loi française faite par l’Assemblée. Paris, je l’ai dit plus d’une fois, a un rôle européen à remplir. Paris est un propulseur. Paris est l’initiateur universel. Il marche et prouve le mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique à son devoir, il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le droit de la femme et de l’enfant, appeler la femme au vote, décréter l’instruction gratuite et obligatoire, doter l’enseignement laïque, supprimer les procès de presse, pratiquer la liberté absolue de publicité, d’affichage et de colportage, d’association et de meeting, se refuser à la juridiction de la magistrature impériale, installer la magistrature élective, prendre le tribunal de commerce et l’institution des prud’hommes comme expérience faite devant servir de base à la réforme judiciaire, étendre le jury aux causes civiles, proclamer la liberté des banques, proclamer le droit au travail, lui donner pour organisme l’atelier communal et le magasin communal, reliés l’un à l’autre par la monnaie fiduciaire à rente, supprimer l’octroi, constituer l’impôt unique qui est l’impôt sur le revenu ; en un mot abolir l’ignorance, abolir la misère, et, en fondant la cité, créer le citoyen.
Mais, dira-t-on, ce sera mettre un État dans l’État. Non, ce sera mettre un pilote dans le navire.[18]
Désaccord essentiellement tactique, donc. Reste qu’en politique, et surtout en révolution, un désaccord tactique, ce n’est pas rien. En outre, durant l’insurrection elle-même, les interventions publiques de Hugo se limitent à l’envoi au Rappel de trois poèmes (« Un cri », « Pas de représailles », « Les deux trophées »[19]) qui peuvent au moins donner l’impression d’un renvoi dos à dos des violences communardes et versaillaises. Enfin Hugo refuse de rentrer à Paris (alors qu’il le pourrait, les communications n’ayant jamais été totalement coupées), malgré l’annonce du Rappel qui affirme le 27 mars qu’« Aussitôt que les prescriptions légales vont être remplies, et que l’avenir des mineurs va être réglé, Victor Hugo reviendra immédiatement à Paris ». Mais l’intéressé écrit dans ses carnets : « J’ai cru devoir être présent à la guerre étrangère et absent à la guerre civile. »[20]. L’insurrection du 18 mars, mouvement de défense républicaine, dans le droit mais hors de saison, a sans doute à ses yeux le tort majeur, en plongeant la nation dans la guerre civile, de risquer la mort de cette République dont elle se proclame le rempart. C’est l’analyse de Guy Rosa :
De bout en bout tout se passe en effet comme si Hugo s’attachait, et réussissait, à demeurer la vivante incarnation de la République que ses œuvres, son exil, son retour, et jusqu’à cette récente démission [de l’Assemblée de Bordeaux], avaient fait de lui. La guerre civile, dissolution de la communauté politique et sociale, est à ses yeux le suicide de la République, comme le Second Empire et l’invasion en avaient été l’assassinat. Y participer à quelque titre que ce soit serait pour lui non seulement ajouter au crime, mais l’achever : détruire cette réalité, historique et idéale, qu’il constitue lui-même, qu’il a formée par sa parole et au nom de laquelle il a parlé, et qui, maintenant que Paris et l’Assemblée sont aux prises, demeure une des rares formes sous lesquelles survit la République française.[21]
L’abstention donc, voire la réprobation, l’emportent publiquement sur l’énoncé des points de convergence.
Constat qui doit être modulé, cependant, par l’attitude du journal du « clan Hugo », Le Rappel.
L’attitude du Rappel
Rappelons d’abord que Le Rappel paraît pendant toute la durée de la Commune, jusqu’au premier jour de la Semaine sanglante, sans être inquiété[22]. En revanche, il sera suspendu jusqu’au 1er novembre par les autorités versaillaises, et son rédacteur en chef, Paul Meurice, passera trois semaines en prison.
C’est que le journal se démarque alors assez nettement de l’attitude abstentionniste voire réprobatrice de son illustre mentor.
Certes Le Rappel, comme Hugo, condamne les atteintes aux libertés de la presse, les arrestations arbitraires, le décret des otages, toutes mesures qui « donnent des armes à la réaction » (Lockroy, 7 avril). Certes, le 14 avril Meurice critique le décret qui décide d’abattre la colonne Vendôme, développant une argumentation (la colonne symbolise avant tout la puissance du peuple souverain et la guerre révolutionnaire) et proposant une solution symbolique (arracher la « figure usurpatrice [Napoléon] de ce piédestal sublime » et mettre « à la place La France, ou, mieux, la Révolution, ou, si vous voulez, un soldat, le Soldat français ») que le poème de Hugo « Les deux trophées », rédigé début mai et publié dans Le Rappel le 7 de ce mois, reprend assez fidèlement. Certes Le Rappel s’insurge contre la guerre civile, et ne cesse de soutenir toutes les initiatives qui pourraient la faire cesser.
Il n’en reste pas moins que le ton, l’analyse et la tactique du journal diffèrent sensiblement des propos de Hugo sur le mouvement né du 18 mars.
Dès le numéro du 19 mars, même si le rédacteur s’inquiète de la présence de la Prusse menaçant d’intervenir dans les convulsions françaises, l’écart se mesure à l’intensité de la dénonciation du gouvernement de Versailles, seul responsable du déclenchement de l’insurrection, et surtout à l’enthousiasme qui transparaît dans le récit de l’événement révolutionnaire :
Le gouvernement après de longs tâtonnements s’est décidé au coup de force que lui conseillaient les journaux de la réaction et auquel ne voulaient pas croire les journaux républicains. […]
La responsabilité de la grave situation où nous sommes doit peser toute entière sur le gouvernement qui l’a amenée, qui l’a peut-être voulue. Il a éveillé la guerre civile, croyant pouvoir aisément s’en rendre maître. Mais la preuve qu’il n’y avait à la guerre civile, ni raison, ni prétexte, c’est que la guerre civile n’est pas venue : l’armée envoyée pour combattre la garde nationale l’a simplement embrassée !
Et si nous n’avions pas encore à nos portes la guerre étrangère, - danger dont le pouvoir a voulu se faire un moyen – la « guerre civile » de la journée d’hier n’aurait abouti qu’à la plus admirable et à la plus pacifique consolidation de la République et de la République la plus sincère et la plus forte.[23]
Ce refus d’adopter une position en retrait qui renverrait dos à dos les belligérants va caractériser la ligne éditoriale du journal durant toute la période. Le 3 avril, sous le titre « Ils ont attaqué », Paul Meurice attribue au seul gouvernement la responsabilité de la guerre civile :
Voilà que la bravade [de M. Thiers] se change en attentat et que la rouerie se transforme en crime. […] Nous ne voulons pas pour l’instant voir autre chose : nous laissons là toute question politique, toute appréciation de principe ; […] nous ne voulons voir qu’une chose : le premier coup de feu de la guerre civile a été tiré par le gouvernement. […] La France, en effet, comme ferait une mère dont les deux fils en viendraient aux mains, ne veut pas savoir lequel des deux a tort ou raison, ou quel est le fort et le faible ; mais, pour savoir dans son cœur lequel est coupable, lequel elle doit condamner, lequel elle doit maudire, elle demande : quel est celui qui a commencé ?
Même les mesures liberticides prises par la Commune, qu’il dénonce immédiatement et constamment, ne justifient pas pour Le Rappel la condamnation de l’assemblée communale ni même une répartition égale et « pondérée » des torts de Paris et de Versailles. Ainsi dans l’éditorial de François-Victor Hugo, le 15 avril, intitulé « Rappel aux principes », qui semble d’abord prononcer (comme le fait alors son père depuis Bruxelles) une double condamnation, - pour mieux finalement s’en démarquer :
À Versailles, on fait saisir par le commissaire de police le Mot d’ordre, le Vengeur, le Cri du Peuple, le Rappel.
À Paris, on suspend le Figaro, le Pays, le Constitutionnel, le Journal des débats.
À Versailles, on interdit les clubs.
À Paris, on empêche la réunion de la Bourse[24].
À Paris comme à Versailles, arrestations arbitraires. À Versailles on fouille les poches de ceux qui arrivent ; à Paris, on fouille les maisons de ceux qui sont partis.
Nous savons que les faits reprochés à la Commune de Paris sont démesurément grossis par le gouvernement de Versailles. À Versailles, MM. Vinoy et Galiffet ont fait réellement, au mépris de toutes les lois, fusiller le citoyen Duval et d’héroïques gardes nationaux coupables d’avoir défendu leur droit et leur cité. À Paris, on n’a pas touché un cheveu de la tête d’un seul prisonnier ou d’un seul otage.[25]
Pourquoi donc, du côté de Paris, l’apparence, la simple menace verbale et la violence en paroles, semblent-elles des attentats aussi graves que le sont, du côté de Versailles, d’odieuses et sanglantes réalités ?
C’est que les atteintes au droit paraissent toujours plus condamnables, venant du côté où est le droit.[…]
Ah ! nous comprenons autrement la généreuse pensée populaire qui a présidé au mouvement du 18 mars. Selon nous, Paris, outragé par les campagnes, devait se venger d’elles en faisant mieux qu’elles. [Suit une série de mesures espérées, reprises du programme des républicains de gauche]
Telle est la Commune dont nous rêvions le 18 mars, et que, malgré les erreurs et les déviations des premiers jours, nous ne cessons pas d’espérer.
C’est d’ailleurs dans l’appréciation de l’assemblée communale elle-même que se lit peut-être le plus clairement la différence des positions de Victor Hugo et de « son » journal. Le Rappel, après quelques hésitations dans les premiers jours, soutient clairement le principe et l’opportunité d’une élection communale, alors même que celle-ci peut apparaître comme une rupture avec la légalité, puisque l’Assemblée nationale n’a pas voté la loi municipale qui donnerait à Paris une représentation unique (« nos élections municipales, que s’est laissé arracher la dictature rurale » (27 mars)). Si l’équipe a d’abord hésité à prendre clairement parti pour cette élection, c’est manifestement moins par crainte d’une rupture avec Versailles que dans l’angoisse de voir les maires radicaux élus en novembre 1870 refuser d’y participer, faute d’un accord avec le Comité central de la Garde nationale. L’accord semblant réalisé, Le Rappel soutient l’élection. Mais quand les radicaux se démettent (pour la plupart dès l’annonce des résultats, refusant donc de siéger au conseil), le journal, loin de justifier une décision immédiatement décriée par les Communards (Lissagaray parlera dans son Histoire de la Commune de « désertion »), se contente de reproduire les déclarations des démissionnaires, sans les commenter. Bien vite, il semble même qu’il la réprouve, comme le montre notamment l’appel au vote de Paul Meurice, dans le numéro du 14 avril, à l’occasion des élections complémentaires nécessitées principalement par cette démission des radicaux :
Il faut voter.
[…] Nous espérons que cette fois l’Union républicaine des droits de Paris fera sa liste. Elle ne trouvera pas une meilleure occasion d’intervenir.
Ceux qui s’abstiennent par hostilité à la Commune font le plus imbécile des calculs. Ils ont beau haïr la Commune, elle est, et ils sont exposés à tout ce qu’elle voudra leur faire. Ils sont donc stupides de ne pas employer le seul moyen qu’ils aient de modifier ses éléments, et par suite, ses actes. Alors, qu’ils s’en prennent à eux seuls de tout ce qui pourra leur arriver.
Quant à ceux qui, tout en acceptant la Commune, pensent qu’elle a commis plus d’une maladresse et plus d’une faute, c’est à eux à lui adjoindre des collaborateurs qui l’aident à se maintenir dans l’énergie intelligente et dans la fermeté réfléchie sans lesquelles elle périrait et la République avec elle.
Certes, les réserves sont sensibles, - elles ne vont pas jusqu’à nier à la Commune sa légitimité, ni même sa représentativité. Hugo lui, depuis Bruxelles dans sa lettre à l’Indépendance belge du 26 mai, est bien plus virulent quand il évoque la « réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée[26] ». Il reprend alors à son compte un argument, celui d’une élection faussée par une abstention massive, que Le Rappel, à plusieurs reprises et dès la proclamation des résultats, avait, lui, vigoureusement rejeté :
Les journaux hostiles à Paris font ce qu’ils peuvent pour persuader à leurs lecteurs que Paris n’a pas voté. La Commune, à les en croire, aurait été nommée par un nombre insignifiant d’électeurs, et l’abstention aurait été telle que l’élection serait dérisoire.
Voyons.
Il n’est venu à l’idée d’aucun journal réactionnaire de contester les élections municipales du 5 novembre. Or, les maires sortis les premiers dans les 20 arrondissements réunissaient à eux tous un total de 140 142 suffrages.
Cette fois-ci, les conseillers municipaux sortis les premiers dans les 20 arrondissements réunissent un total de 158 650.
Ce qui donne à la Commune dix-huit mille cinq cents voix de plus qu’à la municipalité.
Les journaux réactionnaires auraient-ils la bonté de nous révéler par quelle espèce d’arithmétique ils réussissent à trouver la municipalité mieux élue que la Commune.[27]
Ce raisonnement n’empêche d’ailleurs pas le Rappel de regretter vivement que la Commune ait validé l’élections des cinq conseillers n’ayant pas obtenu le suffrage du huitième des électeurs inscrits, ni de déplorer la recrudescence de l’abstention lors des élections du 16 avril, abstention qu’il explique par les bombardements et les opérations militaires, la fuite d’une partie de la population, ou encore l’effet démobilisateur de la démission des élus (qu’il déplore). Mais le rédacteur ajoute :
La Commune aura la sincérité d’ajouter à ces raisons les fautes et les maladresses qu’elle a commises ou laissé commettre, les suppressions des journaux, les arrestations arbitraires, la presse des réfractaires de la guerre civile, etc., tout ce qui a grossi les rangs de ses ennemis et éclairci ceux de ses partisans.
La Commune a pour elle le principe ; qu’elle n’ait pas contre elle les actes. Elle a fait de bonnes choses ; plus d’une des mesures qu’elle a prises ont mérité l’approbation des vraiment honnêtes gens ; qu’elle soit énergique sans violence, qu’elle ait la justice à sa droite et la liberté à sa gauche, et sa popularité reviendra entière, et ce jour-là elle pourra appeler au vote : il n’y manquera personne de ceux qui méritent le nom de bons citoyens.[28]
Attitude critique, certes, mêlée d’une certaine amertume, - mais qui ne va pas jusqu’à refuser à l’assemblée communale sa légitimité populaire.
Enfin, jamais Le Rappel ne critique la Commune au nom de l’insuffisance, de l’indignité, de l’ignorance de ses membres, militants socialistes issus pour la plupart de l’aristocratie ouvrière ou de la toute petite bourgeoisie intellectuelle. Or c’est un « argument » récurrent chez Hugo, - peut-être, avouons-le, l’un des moins sympathiques. Dans sa lettre à l’Indépendance belge, dans L’Année terrible (mais pas dans les trois poèmes qu’il envoie au Rappel), il reprend la stratégie satirique de Châtiments (avec peut-être un peu moins de pertinence historique) et mêle attaques ad hominem et dénonciations collectives, appliquées aux deux camps. Encore dans la lettre antidatée du 28 avril 1871, s’il concède (peut-être sur les instances de ces rédacteurs du Rappel auxquels la lettre est adressée) qu’il y a dans la Commune « quoi qu’on en dise, des cœurs droits et honnêtes », il maintient son verdict d’indignité collective de l’assemblée communale :
Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon, mais par des ignorants, ce qui est pire. […]
Se figure-t-on Paris disant de ceux qui le gouvernent : Je ne les connais pas ! Ne compliquons pas une nuit par l’autre ; au problème qui est dans les faits, n’ajoutons pas une énigme dans les hommes. Quoi ! ce n’est pas assez d’avoir affaire à l’inconnu ; il faut aussi avoir affaire aux inconnus !
L’énormité de l’un est redoutable ; la petitesse des autres est plus redoutable encore.
En face du géant il faudrait le titan ; on prend le myrmidon ![29]
Le Rappel sait fort bien être acerbe. Ni l’attaque ad hominem ni l’attaque collective ne l’effraient : Veuillot, Thiers, et peut-être surtout Jules Favre ; les journaux réactionnaires, l’Assemblée des ruraux, les républicains tièdes, en font les frais. Mais pas les Communards. Certaines des mesures de l’assemblée communale peuvent être critiquées, voire dénoncées, mais collectivement l’assemblée est au moins ménagée, et le Rappel saisit toutes les occasions de marquer son approbation du travail politique du conseil. Ainsi, le deux avril :
Ceux qui ont intérêt à voir dans la Commune un tas de fous et d’énergumènes prêts à trancher les questions comme on casse les vitres, seront gênés par l’invitation que la Commune adresse aux sociétés syndicales du commerce et de l’industrie. La Commune, avant de résoudre la question des échéances, les invite à lui écrire leurs observations et tous les renseignements qu’elles jugeront utiles.
Nous ne pouvons, nous, que nous réjouir de ce que la Commune n’improvise pas à tâtons une loi qui touche à tant d’intérêts.
Quant aux individus, Le Rappel évite généralement de les nommer dans ses jugements sur l’action de l’assemblée communale. Il sort de cette réserve le 15 mai, sous la plume de François-Victor, mais c’est pour faire l’éloge de Jourde (et accessoirement de Varlin), et approuver non seulement sa gestion financière mais surtout sa prise de position en faveur de la « minorité » communale, opposée à la tendance autoritaire qui s’est précisée lors de la constitution d’un Comité de Salut public (le 1er mai). Et Hugo fils en profite pour récuser vertement la thèse, plusieurs fois reprise par Hugo père, du malheur de Paris gouverné par des « inconnus », - au nom de la puissance révélatrice des révolutions :
Tous les hommes impartiaux ont lu avec un sympathique intérêt le rapport financier présenté à la Commune par le citoyen Jourde. Ce rapport résumait avec une remarquable netteté et une loyauté parfaite les mouvements de fonds opérés en quarante jours. Il faisait justice de toutes les calomnies versaillaises qui représentent le mouvement municipal comme le triomphe du pillage et du vol. […]
Qui se serait douté, avant la journée du 18 mars, qu’il y avait quelque part, dans les rangs de la classe ouvrière, un Necker inconnu qui sauverait de la banqueroute la première ville du monde ? Les révolutions populaires nous font parfois de ces surprises. Soudain elles mettent en lumière un talent inaperçu, un mérite ignoré, une probité anonyme. Elles rectifient les iniquités du sort en brusquant les renommées et en arrachant la gloire à l’obscurité. Passant, qui es-tu ? – Un pauvre avocat sans cause – Demain tu seras Danton. – Et toi, qui es-tu ? – Un modeste étudiant en droit. – Demain tu seras Camille Desmoulins. Et toi, qui es-tu ? Sergent aux gardes-françaises. – Demain tu seras Hoche. Et toi, qui es-tu ? – Un simple grenadier, fils d’un ouvrier terrassier. – Demain tu seras Kléber !
Le délégué aux finances a conquis l’estime générale, non-seulement par la loyauté et l’habileté de sa gestion financière, mais par les excellentes et saines paroles qui ont servi de commentaire à son rapport. Il a protesté par sa démission contre le rétablissement du Comité de salut public, et, s’adressant à une Assemblée que semblait dominer la tradition jacobine, il a eu le courage de lui dire : Ne revenons pas à 93 !
Outre ces déclarations très politiques, le plus souvent signées par les grands noms de la rédaction, et qui engagent explicitement la « ligne » du journal, il faut faire état de ces « échos », de ces faits parisiens d’importance variable mais à travers lesquels, bien souvent, se lit une évidente adhésion à l’atmosphère révolutionnaire de la capitale depuis le 18 mars. Numéro du 22 mars :
Sur les boulevards et dans les rues, la circulation est aussi active que d’habitude. Bien que les événements accomplis ces derniers jours soient commentés avec animation, les citoyens acceptent franchement le nouvel état des choses, garanti du reste par l’aide et le concours de la garde nationale tout entière.
La troupe régulière a, de son côté, compris que ses chefs ne pouvaient plus lui commander le feu sur les Français, après les avoir fait fuir devant les Prussiens.
Les auteurs de tous nos maux ont quitté Paris sans emporter le moindre regret[30].
Numéro du 27 mars, relatant « La Journée » de la veille, celle des élections à la Commune :
Belle et radieuse journée que celle d’hier. La joie était sur tous les visages et la confiance des esprits s’ajoutait à la sérénité du temps.[31]
Ou encore Auguste Vacquerie, qui dans le numéro du 29 mars relate la laïcisation solennelle de l’église Sainte-Geneviève[32], et en profite pour exprimer son adhésion au drapeau rouge de la Commune au détriment du tricolore :
Les canons de la place du Panthéon saluaient le drapeau qui venait remplacer la croix par laquelle le catholicisme impérial avait marqué sa prise de possession de l’édifice.
La Commune reprenait au clergé ce que le clergé avait usurpé.
Le drapeau était rouge. Nous ne sommes pas de ceux que le rouge effarouche.
Ce n’est pas une couleur nouvelle pour nous. Pendant tout l’exil, le drapeau rouge a été le drapeau de la République proscrite ; et nous trouvons tout simple que la République rentre en France avec son drapeau.
[…]
Le drapeau tricolore, qui a été celui de la première République, a eu, certes, ses jours glorieux ; mais l’empire l’a traîné dans la boue de Sedan, et ce n’est pas nous qui l’y ramasserons.
Ajoutons enfin que le récit des opérations militaires, s’il ne se prive pas de critiquer la stratégie des généraux de la Commune, se fait toujours selon le point de vue parisien, et montre clairement qu’il espère la victoire des fédérés. Ainsi, dans le numéro du 4 avril, relatant la désastreuse sortie parisienne de la veille :
Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu dans les vaillants défenseurs de Paris une résolution et un entrain admirables. Mais leur courage a paru plus d’une fois desservi par l’indécision et l’inexpérience des chefs. Il manquait l’ordre, et aussi les ordres. Mais tout pourra encore être réparé.
Tout cela ne suffit certes pas à faire du Rappel un journal « communard ». À la différence du Vengeur ou du Cri du peuple par exemple, aucun de ses rédacteurs ne siège à la Commune, et le journal, s’il appelle à voter et incite fortement les radicaux à se présenter, ne soutient officiellement aucune liste. Il est clairement dans le camp des « conciliateurs » (même si Lockroy, dans son éditorial du 5 avril, récuse le mot), il soutient la fondation de la Ligue républicaine des droits de Paris, les initiatives des grandes villes républicaines (le Congrès de Bordeaux), et, déchiré, n’appelle jamais directement à prendre les armes contre Versailles. Mais cette tendance « conciliatrice », dominée par les radicaux, est elle-même composite, et Le Rappel se situe clairement à son extrême gauche : par son insistance à réclamer la dissolution de l’Assemblée nationale et ses ménagements à l’égard de l’Assemblée communale, par son regret de ne pas voir siéger les radicaux au sein de cette dernière, par son approbation globale du mouvement du 18 mars et par sa conviction que les responsabilités de la guerre civile sont toutes du côté de Versailles. « Nous avons peu de goût pour les coups d’État, écrivait le 6 avril François-Victor ; mais s’il nous fallait choisir entre l’usurpation de la province et l’usurpation de la capitale, nous n’hésiterions pas. Parisiens, nous ne nous séparerions pas de Paris. » Tel sera en effet l’attitude du Rappel. Or, n’ayant jamais dénoncé l’illégitimité de l’assemblée communale, ni dénié sa représentativité populaire à Paris, le journal aura finalement adopté vis-à-vis de la Commune une position qu’on pourrait qualifier de soutien critique, extérieure, mais non hostile.
Cette attitude s’explique par son analyse fait Commune. Le Rappel voit dans le 18 mars et dans ses suites avant tout un mouvement de défense républicaine, contre les menaces de coup de force royaliste de l’Assemblée de Versailles, mais aussi contre la trahison des idéaux républicains par les modérés[33]. Le peuple de Paris a fait la Commune avant tout pour défendre la République : « Qu’est-ce qu’il veut ? Défendre et garder ce qu’il a si chèrement payé, si vaillamment conquis : la République, son droit, son titre »[34]. Cette République « qui n’est pas « le but », mais qui est le moyen – et le meilleur de tous – de réaliser toutes les réformes et d’accomplir tous les progrès »[35]. Les mesures sociales de la Commune, vitales, mais au fond modestes, seront globalement approuvées par l’équipe du Rappel. C’est qu’elles relèvent à ses yeux de ces « réformes » et de ces « progrès » que rendent possible la République véritable. Bref, le journal ne voit pas dans la Commune une répétition de juin 1848, mais plutôt sa négation, son contre-exemple, la preuve que l’alliance dans, par et pour la République, des ouvriers parisiens et de la petite bourgeoisie, des républicains radicaux et des socialistes, est bien réalisée, au moins réalisable. La lecture de l’événement en terme de guerre sociale à outrance, répétition du traumatisme de Juin, lui semble avant tout le fait de la « réaction », et c’est contre cette lecture, qui réaliserait ce qu’elle veut démontrer, qui ferait le jeu d’une violence de classe qu’il soupçonne bien davantage à Versailles qu’à l’Hôtel de Ville, que l’équipe du Rappel développe ses analyses et fait ses choix : « En 1848 la question sociale, ou plutôt le malentendu social divisait en deux camps opposés, exaltés, acharnés, les prolétaires et les propriétaires. Aujourd’hui rien de semblable. […] La guerre civile n’a pas de raison, pas même de prétexte ; elle serait en quelque sorte artificielle et, plus qu’artificielle, forcée »[36]. Seuls les réactionnaires de Versailles ont intérêt à voir dans l’événement du 18 mars la répétition du 23 juin, seuls ils ont intérêt à déclencher une guerre civile que l’événement ne justifie pas, seuls ils en porteront, aux yeux du Rappel, la responsabilité.
Il est probable que le silence plus ou moins réprobateur de Victor Hugo, son absence même, ait gêné cette équipe du Rappel qui n’a cesse de s’enorgueillir de sa présence au sein du peuple de Paris, de l’attention qu’elle porte à ses actes, à ses gestes, à ses pensées et à ses désirs, et de la fidélité qu’elle lui voue[37]. Il est possible qu’elle ait vu dans ce retrait une attitude déplacée, qui risquait de donner, objectivement, du poids à la lecture de l’événement qu’elle s’efforçait de contrer. Mais on peut admettre que la position du Rappel, recouvrant en quelque sorte le silence du Maître, a permis à celui-ci de conserver à peu près intacte son audience auprès des milieux socialistes et ouvriers de la capitale. Et quand en 1872, avec la publication de L’Année terrible et d’Actes et paroles 1870-1871-1872, les critiques de Hugo à l’égard de la Commune et des Communards pourront être largement connues (comme on le verra plus loin, quelques militants ne les lui pardonneront pas), elle seront amplement compensées par le combat qu’il mène, dès la Semaine sanglante, contre leur répression féroce par les Versaillais, et qui lui vaudra à sa mort le titre de « grand amnistieur ».
Fortune de Hugo chez les anciens Communards
Il faudrait pour finir évoquer brièvement la « réception » de cette attitude politique de Hugo face au phénomène Commune dans les milieux politiques d’extrême gauche, et avant tout parmi les anciens Communards. On a peut-être surévalué l’importance, et surtout la précocité, de la dénonciation par les responsables du mouvement ouvrier français, marxistes ou anarchistes, d’un Hugo petit-bourgeois, incapable de s’élever au-delà des intérêts de sa classe, mal masqués par une phraséologie grandiloquente et un paternalisme sentimental. Dénonciation dont le pamphlet de Lafargue, La Légende de Victor Hugo, rédigé en prison à l’occasion de la mort du poète, constitue l’exemple le plus célèbre[38]. Mais comme le rappelle Madeleine Rébérioux, « Malgré ses fermes espérances, Lafargue ne trouva sur le moment aucun éditeur : son pamphlet parut pour la première fois en 1888 dans Die Neue Zeit, puis, pendant l’été 1891, dans La Revue socialiste non sans de fortes réserves, […] bien nécessaires dans une revue où Victor Hugo comptait tant d’amis. »[39] Cette « lecture sectaire de Hugo par Guesde et Lafargue », dont Jack Ralite a rappelé récemment combien elle a été combattue dans les rangs mêmes du Parti Communiste Français, notamment à l’initiative d’Aragon[40], ne semble guère avoir eu d’audience avant les années 1890, et d’abord sans doute sous l’influence de la montée en puissance du positivisme scientiste au sein du mouvement ouvrier, … et de la disparition ou de la marginalisation des militants contemporains de Victor Hugo. Certes, en 1885, à la mort du poète, on put lire dans L’Ami du peuple un virulent article signé Phillip :
Hugo n’a pas trouvé bon de saluer, avec des strophes comme il savait si magistralement en ciseler, les quarante mille cadavres de la Semaine sanglante.
Hugo a cru même devoir cracher sur ces deux admirables lutteurs : Ferré, Raoul Rigault.
Deux citoyens courageux, honnêtes, qui préférèrent au culte de la Littérature, celui de la Justice.
Deux hommes tombés, deux vaincus.
L’insulte lui échappa dans une heure de colère : heure de surprise : heure à laquelle apparut enfin, béant, le gouffre qui sépare à jamais le Peuple du dernier « Grand Poète » de la classe bourgeoise.
Après soixante ans de mensonges, - et d’ailleurs de perfidies délicieuses – de la part du chantre des « Châtiments » plus un masque sur les visages.
Situation nette.
Et le Peuple seul y gagnera.
- Allons messieurs, nous ne cracherons pas sur les vôtres ; mais ne mêlons pas nos cadavres. [41]
Mais la mauvaise foi de cette dénonciation risquait de nuire à son efficacité : quiconque a lu L’Année terrible sait en effet que leur auteur n’avait guère d’estime pour les blanquistes Ferré et surtout Rigault (tous deux fusillés par les Versaillais), - mais il sait aussi que son auteur y a dénoncé les massacres de la Semaine sanglante, dans des poèmes qui, même s’ils ne sont pas strophiques, n’en sont pas moins « magistralement ciselés ». Surtout, une telle attitude souffre alors de son isolement. « L’hugophobie de gauche, écrit Madeleine Rébérioux, est restée un phénomène très marginal, propre, en 1885, sous sa forme exacerbée, à quelques dirigeants du courant guesdiste, encore très peu nombreux »[42]. Ce qui frappe en ces années d’après Commune, c’est bien plutôt le privilège dont jouit Hugo parmi les anciens Communards. Ces hommes qui s’efforceront de reconstituer le mouvement ouvrier sur une ligne classe contre classe, qui ne pardonnent pas aux Républicains bourgeois « soi-disant avancés » d’avoir laissé massacrer le peuple, en mai 1871 comme en juin 1848, ces hommes qui confondent dans la même opprobre tous les revenants de l’exil, les barbus à larmes de crocodile, les Louis Blanc, les Schœlcher, les Ledru-Rollin, etc., ces hommes qui récusent désormais toute alliance avec la bourgeoisie de quelque tendance qu’elle se proclame, semblent mettre un point d’honneur à exclure de leur vindicte Victor Hugo. Lissagaray n’a que mépris pour les radicaux conciliateurs, et la plupart des « socialistes » de la génération de 48, mais, tout en marquant les distances, il multiplie les marques d’estime à l’égard de Hugo et de son journal. Ainsi dans ce coup de chapeau à « l’incident belge », qui réalise le tour de force d’associer au nom de Hugo celui de Guesde pour le courage et de Proudhon pour la proscription:
Il n’y eut de courageux qu’en province et à l’étranger. Les Droits de l’Homme de Jules Guesde à Montpellier […] dénoncèrent les massacreurs. […]
A Bruxelles, Victor Hugo protesta, dans une lettre fort mal documentée du reste, contre la déclaration du gouvernement belge qui acceptait de rendre les fugitifs.
La presse des fusillards déclara qu’il était devenu fou, Francisque Sarcey l’appela « vieux pitre, héron mélancolique, queue rouge, saltimbanque usé, pauvre homme gonflé de phrases, énormément ridicule ». Un autre illustre, Xavier de Montépin, proposa de l’exclure de la Société des gens de lettres. Louis Blanc et Schœlcher lui écrivirent une lettre de blâme. La maison du poète fut lapidée par une bande d’élégants, et le pays d’Artevelde expulsa Victor Hugo comme il avait expulsé Proudhon.[43]
Plus étonnant encore, Victor Marouck, journaliste guesdiste à L’Égalité, qui appelle dans ce journal le peuple de Paris à boycotter les cérémonies républicaines lors de l’érection de la statue de Ledru-Rollin le 24 février 1885, trouve moyen dans son ouvrage consacré à l’insurrection de juin 1848 (publié en 1880) de « sauver » l’attitude de Hugo, pourtant dans les rangs de « l’ordre », alors qu’il vomit Louis Blanc, coupable d’abstentionnisme :
La conduite de Victor Hugo, pendant les journées de Juin faisait dire à un historien anonyme de l’insurrection : « Victor Hugo a noblement rempli son rôle dans ces jours de combats. » Eh bien ! non ; il n’est jamais noble de concourir à l’écrasement des meurt-de-faim et des déshérités, quand ils se lèvent pour la conquête de leurs droits et qu’ils luttent pour leur affranchissement et l’amélioration de leur sort. Au contraire, et c’est toujours sinon un crime, à tout le moins une grande faute. Et nous sommes sûrs qu’aujourd’hui Victor Hugo ne nous démentirait point.
Victor Hugo d’ailleurs appartenait, en juin 1848, à la droite de l’Assemblée ; il se battit contre les insurgés, il y a loin de son attitude à l’écœurante pusillanimité des Louis Blanc et autres montagnards qui faisaient profession d’aimer et de servir le peuple. Mieux vaut, en somme, un ennemi déclaré que de prétendus amis tremblants et lâches.[44]
Bref, on perçoit comme un mot d’ordre tacite dans ce jeu de massacre des notabilités de la gauche officielle : « on ne touche pas à Victor Hugo ». Respect à celui qui défendit l’amnistie et proclama l’asile, qui « Aux survivants de mai dans la grande hécatombe / […] offrit sa maison »[45]. Respect aussi au poète, et d’abord au poète militant, à celui qui sut donner voix à l’ardeur politique. Contre Guesde ou Lafargue, soucieux d’arrimer l’œuvre de Hugo à la société bourgeoise et à ses profiteurs, un Lissagaray, sans doute beaucoup plus proche de la sensibilité militante du temps, salue à sa mort le poète « qui a rempli de son contingent notre cartouchière »[46]. Encore en 1896, quand le vieux Communard revoie pour sa seconde édition son Histoire de la Commune, il place son dernier chapitre sous les auspices d’un alexandrin de Hugo : « Le cadavre est à terre et l’idée est debout »[47].
On comprendra que l’on achève cette brève revue de la fortune de Victor Hugo chez les Communards en invoquant le témoignage de Louise Michel, déportée en Nouvelle-Calédonie. Témoignage d’autant plus significatif que lorsqu’elle écrit à celui qu’elle appelle toujours « Maître », la « Vierge rouge » dit systématiquement « nous », et parle aussi au nom de ses compagnons d’exil. Ainsi, ayant appris la mort de François-Victor, survenue en décembre 1873, elle écrit au père éploré le 28 mars 1874 depuis la presqu’île Ducos, où meurent alors de privations, d’humiliations et de désespoir la fleur du militantisme socialiste :
Cher Maître,
Il n’y a pas de consolation possible, mais je veux vous dire que nous souffrons tous de votre douleur.
Nous vous envoyons les plus grands regrets en union avec les vôtres.[48]
Et le 23 septembre 1878, alors que les conditions de détention se sont quelque peu adoucies pour les survivants, mais que, malgré les efforts du sénateur Hugo, l’amnistie tarde toujours, ces quelques mots, simples et sans équivoque :
On a publié votre portrait, cher Maître, dans un journal de Nouméa[49], et si nous sommes d’accord sur un point, c’est le respect et l’affection que nous vous portons. […]
Au revoir, notre Maître bien-aimé.[50]
Références bibliographiques
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APRILE, Sylvie, « « Qu’il est dur à monter et à descendre l’escalier d’autrui » , l’exil des proscrits français sous le Second Empire », Romantisme, n°110, quatrième trimestre 2000, pp. 89-100 ; « Victor Hugo et la politique en exil – réflexions historiques autour de Napoléon-le-petit », communication au Groupe de Recherche sur Victor Hugo (Université de Paris-VII), mai 2002, http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/02-05-18Aprile.htm.
GEORGEL, Pierre (sous la direction de), La Gloire de Victor Hugo, catalogue de l’exposition du Grand-Palais, 1985, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1985.
HUGO, Victor, Œuvres complètes, sous la direction de Jacques Seebacher et Guy Rosa, Paris, Robert Laffont « Bouquins », 1985-1987 (notre édition de référence, sauf mention contraire). Œuvres complètes, sous la direction de Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre, 1967-1971.
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Le Rappel, mars-mai 1871.
LISSAGARAY, Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, Paris, La Découverte « Poche », 2000.
MAROUCK, Victor, Juin 1848, Paris, éd. Les Amis de Spartacus, 1998.
MICHEL, Louise, Je vous écris de ma nuit – Correspondance générale 1850-1904, éd. Xavière Gauthier, Paris, Les Éditions de Paris, 1999.
RALITE, Jack, « Victor Hugo, l’homme du progrès social et humain », discours prononcé lors de « l’hommage solennel du Sénat à Victor Hugo à l’occasion du bicentenaire de sa naissance », le 20 février 2002, dans L’Année Victor Hugo au Sénat, Paris, Presses du Sénat, 2003, p. 21-24.
RÉBÉRIOUX, Madeleine, « Victor Hugo dans le débat politique et social », dans La Gloire de Victor Hugo, pp. 201-245, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1985, pp. 201-245.
ROSA, Guy, « Politique du désastre – Hugo durant « l’année terrible », Europe, n° 671, mars 1985, pp. 170-188 ; « Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? », 48/14 – La Revue du Musée d’Orsay, n°8, printemps 1999, pp. 59-69.
ROUGERIE, Jacques, Paris libre, 1871, Paris, Le Seuil, 1971.
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SPIQUEL, Agnès, Du Passant aupasseur : quand Victor Hugo devenait grand-père (1871-1877), Saint-Pierre du Mont, Eurédit, 2002.
ZELDIN, Theodore, Histoire des passions française s- 1848-1945, tome 5 Anxiété et hypocrisie, Paris, Le Seuil « Points Histoire », 1979.
________________________________________
[1] La Légende de Victor Hugo, voir plus loin.
[2] Voir notamment les travaux de Sylvie Aprile.
[3]VIII, 2, O.C., vol. Histoire, p. 125.
[4] « Déclaration aux électeurs de la 6ème circonscription de Paris », reproduite dans Le Rappel du 10 mai 1869.
[5] Voir Maurice Agulhon, « La droite et la gauche », dans Histoire vagabonde – II, p. 234-236.
[6] Voir Actes et paroles – II, O. C., vol. Politique, pp. 623-627.
[7] Cité par William Serman, La Commune de Paris, p. 188.
[8] La liste est la suivante : Flourens, Blanqui, Millière, Pyat, Hugo, Delescluze, Ranvier, Avrial, Mottu. Après discussion, on y ajoute Dorian. Voir Serman, La Commune de Paris, p. 138.
[9] Juin, XVII.
[10] Voir notamment « Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? »
[11] Pendant le siège, et à nouveau pendant la Commune, on permit aux débiteurs de récupérer les gages de faible valeur nécessaires à la vie quotidienne (matelas, couvertures, etc.)
[12] Actes et paroles – III, O. C., vol. Politique, pp. 762-765.
[13] Sans avoir fait acte de candidature, Garibaldi, qui avec ses « chemises rouges » avaient pris part aux combats contre l’Allemagne, avait été élu à Paris, et dans trois autres départements. Le 13 février, alors que l’Assemblée vérifiait les pouvoirs, il demanda la parole pour remercier ses électeurs et, voulant conserver sa nationalité italienne, pour donner sa démission. Un concert de cris et d’injures s’éleva alors des bancs de la droite et, l’Assemblée lui ayant interdit de s’exprimer, vota son invalidation. « Paris ressent comme un affront collectif l’offense infligée par l’Assemblée à Garibaldi, odieusement exclu des débats sans avoir pu adresser un adieu fraternel à la nation française » (Serman, La Commune de Paris, p. 176).
[14] Voir Actes et paroles – III, O. C., vol. Politique, pp. 766-770.
[15] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, p. 113.
[16] Les Misérables, V, I, 1, O. C., vol. Roman II, p. 926.
[17] Œuvres complètes, sous la direction de Jean Massin, Le Club Français du Livre, tome XV-XVI/2, p. 473.
[18] Actes et paroles – III, vol. Politique, p. 788-792.
[19] Repris dans L’Année terrible, respectivement Avril, IV, Avril, V et Mai, I.
[20] Carnets de la guerre et de la Commune, O. C., vol. Voyages, p. 1141.
[21] « Politique du désastre », Euro
Compte rendu de la communication au Groupe Hugo du 13 mars 2004.
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L’attitude de Hugo vis-à-vis de la Commune de 1871 est marquée d’une ambivalence qui rejaillit souvent sur l’interprétation que l’on peut faire a posteriori de cette attitude. Peut-être la compréhension des rapports de Hugo et de la Commune dépend-elle beaucoup de l’idée qu’on se fait de la nature et de la signification politiques de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871, et de ses suites. En forçant quelque peu le trait, on pourrait poser que si l’on voit dans la Commune d’abord une révolution sociale, la première prise de pouvoir du prolétariat et de son avant-garde contre ou tout au moins sans la bourgeoisie (y compris la bourgeoisie républicaine avancée, comme on disait en ces temps lointains), alors Hugo n’aura sans doute pas grand-chose à voir avec les Communards. Alors on mettra l’accent sur son rejet de la lutte des classes, sur son refus de toute remise en cause radicale de la propriété privée, sur sa méfiance à l’égard de Proudhon et de Blanqui, sur sa complète ignorance de Marx, et l’on brandira le pamphlet de Lafargue[1]. Bref, Hugo, poète bourgeois sentimental, ne pouvait évidemment rien comprendre à cette première ébauche de révolution prolétarienne ; au mieux lui accordera-t-on de n’avoir pas hurlé avec les loups, et d’avoir éprouvé quelque pitié envers les vaincus.
En revanche, si l’on prend en compte ce qui dans la Commune de Paris relève d’un mouvement de défense républicaine, dont le style et les réalisations restent au moins en partie liés au mouvement républicain avancé tel qu’il est issu des démocs-socs de la Seconde République et s’est développé sous le Second Empire, alors apparaît assez clairement tout ce qui peut rapprocher Hugo et la Commune. D’abord parce que Hugo, depuis la fin de la Seconde République, et plus encore en exil, est devenu l’un des plus illustres représentants de ce radicalisme républicain dans lequel la Commune plonge au moins quelques-unes de ses racines. Mais pour envisager la question sous ce dernier angle, il convient de replacer l’événement Commune (et les réactions de Hugo à son égard) dans une histoire plus vaste, celle du républicanisme radical sous le Second Empire, celle de la guerre et de la défaite, et même celle de la constitution immédiate d’une mémoire de la Commune, dans laquelle Hugo d’emblée eut sa place, problématique.
La République des proscrits
Dès avant le coup d’État mais plus encore après, une frange majeure des républicains analyse l’échec de la Seconde République comme la conséquence d’un dysfonctionnement profond de l’État et de la représentation politique[2]. À cette critique radicale de l’État, Hugo participe, notamment dans Napoléon-le-Petit (1852). Le huitième livre du pamphlet, intitulé « Le progrès inclus dans le coup d’État », reprenant et approfondissant certains points du discours du 17 juillet 1851 sur la révision de la Constitution, propose un programme de refonte en profondeur des institutions, et affirme que la République authentiquement républicaine devra en finir avec quatre piliers de l’État qui « s’opposent à l’avenir »:
L’armée permanente,
L’administration centralisée,
Le clergé fonctionnaire,
La magistrature inamovible.[3]
Voilà donc ce qu’il faut détruire pour fonder la République. Rien que cela !
Il importe de préciser que Hugo défend ici un programme dont il n’est ni le seul auteur, ni le seul adhérent. Bien au contraire, il représente une tradition républicaine profonde et tenace, - quoique aujourd’hui bien oubliée. Ce programme est issu des plus radicaux (mais aussi des moins jacobins) des démocs-socs de la Seconde République. Il est approfondi et précisé après le coup d’État par les exilés dont la critique de l’État centralisé s’appuie notamment sur une critique assez radicale de la représentation politique. En particulier, leur promotion du communalisme milite d’abord pour une sorte de démocratie directe, opposée à la représentation parlementaire issue de la tradition libérale, ou tout au moins la limitant.
Ajoutons que ce programme peut alors constituer un terrain d’entente, au moins potentiel, entre Républicains et Socialistes : il retrouve une part des travaux de l’éphémère Commission du Luxembourg mise en place après février 1848 et présidée par Louis Blanc ; les proudhoniens (pour longtemps encore les plus représentatif de la sensibilité ouvrière française, surtout à Paris) peuvent plus ou moins s’y retrouver ; enfin la critique radicale de l’État centralisé est conduite également, en des termes souvent proches de ceux de Hugo, par Marx, notamment dans le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte.
Décentralisation administrative au profit d’une fédération de communes largement autonomes ; substitution du jury populaire et des juges élus à la magistrature professionnelle et inamovible ; garde nationale citoyenne au lieu de l’armée permanente ; séparation totale de l’Église et de l’État, - tous ces principes seront repris par tous les républicains de gauche durant l’Empire. Aux élections de 1869, ils constitueront l’essentiel des professions de foi électorales, non seulement d’un Gambetta, d’un Rochefort, ou d’un Bancel, mais tout autant d’un Jules Ferry :
L’expérience - une expérience chèrement acquise - a dû nous apprendre quelles sont, au sein de cette grande démocratie française, les conditions fondamentales du gouvernement libre.
Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer :
L’entière liberté de la presse,
L’entière liberté de réunion,
L’entière liberté d’enseignement,
L’entière liberté d’association.
Ce n’est pas assez de décréter toutes les libertés : il faut les faire vivre.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle vivra dans les liens de la centralisation administrative, ce legs fait par le bas-empire à l’ancien régime, qui le transmit au consulat.
La France n’aura pas la liberté tant qu’il existera un clergé d’État, une Église ou des Églises officielles ; l’alliance de l’Église et de l’État n’est bonne ni à l’État ni à l’Église ; elle nous a valu, entre autres, cette interminable occupation romaine, qui fausse notre position en Europe, et qui tend incessamment, parmi nous, à faire dégénérer les questions politiques en querelles religieuses.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle ne possédera pas une justice sérieusement indépendante du pouvoir.
La France n’aura pas la liberté tant qu’elle s’obstinera dans le système des armées permanentes, qui entretiennent d’un bout de l’Europe à l’autre l’esprit de haine et de défiance; qui, à l’intérieur, éternisent les gros budgets, perpétuent le déficit, ajournent indéfiniment la réforme de l’impôt, absorbent enfin dans des dépenses improductives les ressources qu’exigent impérieusement la grande oeuvre sociale de l’enseignement populaire.[4]
Or, non seulement il serait assez difficile de repérer un quelconque désaccord entre ces propos et les positions de Hugo, mais c’est principalement l’application de ces principes que réclameront les Communards, et qu’ils réaliseront tant bien que mal, - comme avaient tenté de les réaliser les premiers mouvements communalistes et fédéralistes de l’automne 1870.
Tout autant que cette critique de l’État centralisé et de la représentation politique, l’internationalisme est caractéristique de l’esprit républicain radical sous le Second Empire, - et l’on en retrouvera bien des traits pendant la Commune. Mouvement plus ou moins diffus, hérité du Printemps des Peuples de 1848, et qui s’enflamme pour les luttes des nationalités opprimées, travaille à la constitution d’une opinion publique internationale, rêve d’élargir à l’Europe et au monde le combat pour la justice et pour la liberté. Mouvement, en partie au moins, consolidé par l’exil, en ce que l’exil est alors une réalité européenne.
On peut évoquer quelques grandes figures, et quelques grands moments, de cet internationalisme-là : Kossuth, Garibaldi, l’expédition des Mille en 1860, l’insurrection polonaise de 1863… On peut évoquer aussi certaines de ses tentatives d’organisation militante : le Comité révolutionnaire européen (fondé à Londres au début de leur exil par Ledru-Rollin, Kossuth et Mazzini) ; ou, plus tard, quand après Sadowa la guerre européenne menace à nouveau, la reviviscence des Congrès de la paix à l’initiative de la Ligue pour la paix et pour la liberté. Les « étrangers » de la Commune, dont le plus célèbre est le général Dombrowski, et tous ces polonais exilé après l’insurrection de 1863, ou encore ces français qui ont fait le coup de feu un peu partout dans la décennie précédente avant de combattre parmi les Fédérés : Flourens, en Crète, ou Cluseret, en Irlande puis dans les troupes nordistes, - tout cela relève d’abord de cet internationalisme républicain, « garibaldien » pour aller vite, bien plus directement que de la jeune Internationale des Travailleurs[5].
Or Hugo en exil est devenu l’un des piliers, au moins symboliques, de cet internationalisme-là : son activisme interventionniste, interventions le plus souvent sollicitées, le montre. Durant tout l’exil Hugo aura parlé ou écrit pour les Italiens, les Polonais, les Irlandais, les Crétois, les Espagnols, les Suisses, les Mexicains, les Cubains, les Chinois... Et en 1869 il préside le Congrès de la paix, à Lausanne, et il y proclame la réconciliation, voire la synonymie, de la République et du Socialisme, - alors que, comme en 1867, le congrès de l’AIT vient juste de se tenir, deux jours plus tôt, dans une autre ville suisse[6]. Hugo qui durant tout l’exil prône les États-Unis d’Europe, les Peuples-Unis d’Europe, la grande fédération continentale républicaine, prodrome de la République universelle.
Or ce mot d’ordre de République universelle traverse non seulement cette zone du républicanisme de gauche des années 1850-1860, - mais tout autant le mouvement socialiste et ouvrier en cours de formation. Et il sera bien vivant pendant la Commune. Deux exemples. Le 10 mars 1871, la Fédération républicaine de la Garde nationale, qui vient de voter ses statuts et qui va faire l’insurrection huit jours plus tard, déclare solennellement : « Jurons donc de tout sacrifier à nos immortels principes. La République française d’abord, puis la République universelle.[7] » Pendant comme après l’insurrection, Louise Michel termine ses lettres non seulement par « Vive la Commune ! », mais par un aussi vibrant : « Vive la République universelle ! », ou « Vive la République sociale universelle ! »
Il est donc nécessaire, pour comprendre la Commune et les rapports de Hugo avec elle, de prendre en considération cette tradition républicaine, tradition très largement occultée par la suite, en partie, précisément, à cause de la Commune et de son échec, c’est-à-dire de la proximité, évidente pour les contemporains, du mouvement communard et de cette idéologie républicaine.
Hugo et Paris pendant le siège
Lié au républicanisme rouge des opposants à l’Empire, le fait Commune ne peut pas non plus être détaché de son contexte immédiat : la guerre et la défaite. Contexte dans lequel Hugo prend une part significative.
Hugo rentre à Paris le 5 septembre, le lendemain de la proclamation de la Troisième République. Il est accueilli par un déferlement d’enthousiasme populaire. S’il n’exercera pendant tout le siège aucune responsabilité politique officielle, sa popularité sera phénoménale, et cristallisera avec l’extraordinaire succès des Châtiments, le recueil poétique de 1853 étant réédité dès octobre. Cet enthousiasme pour Châtiments conjugue la violence libératoire contre l’Empire tombé et l’appel à la résistance contre l’ennemi, à la guerre à outrance. Sentiment patriotique ardent, très majoritairement partagé par le petit peuple de la capitale, et chauffé à blanc par les déclarations de Hugo « Aux Français » (17 septembre) et « Aux Parisiens » (2 octobre). Durant tout le siège le vieux poète, arborant le fameux képi de garde national, sera parfaitement au diapason de l’esprit populaire du moment. Esprit populaire, et pas forcément « national ». Car malgré les déclarations officielles, la guerre de 1870-1871 ne produit pas d’union sacrée. Très tôt, les républicains modérés, les libéraux, sans parler même des monarchistes, les hommes d’ordre de partout et la plupart des campagnes (à l’exception notable des provinces de l’est, occupées) s’opposent de moins en moins sourdement à la politique de résistance patriotique et de guerre à outrance. Le désir de paix est majoritaire dans le pays, porté par la conscience que l’armée est détruite et par la crainte que la prolongation des hostilités ne débouche sur le chaos social. L’esprit des Châtiments, loin d’être alors celui, consensuel, de l’unité nationale, est celui des républicains « rouges ». Le bellicisme est alors de gauche, et surtout populaire, en tout cas dans la capitale assiégée.
La lecture de sa correspondance et de ses carnets montre que pendant le siège de Paris Victor Hugo reçoit bien plus de visites « politiques » que de visites « littéraires », et pour l’essentiel ces visiteurs sont situés à gauche voire à l’extrême gauche de l’échiquier politique du temps. Et, sans entrer dans le détail des relations diverses qu’il a pu entretenir avec eux, on constate qu’il a au moins croisé, et parfois bien davantage, un certain nombre de futurs responsables de la Commune. Au moins : Flourens, Gambon, Miot, Pyat, Delescluze, Jourde, Cluseret, - auxquels il faut bien entendu ajouter Louise Michel.
Pour toutes ces raisons il n’est pas étonnant que le nom de Hugo apparaisse lors de l’affaire du 31 octobre 1870, sorte de première ébauche de l’insurrection du 18 mars. Pendant cette « journée » insurrectionnelle, militants socialistes et gardes nationaux des quartiers populaires tentent de prendre le pouvoir municipal, voire le contrôle du gouvernement de Défense nationale, taxé de défaitisme. A l’Hôtel de Ville, Flourens fait acclamer la liste d’un Comité de Salut public dans lequel figure Victor Hugo, en compagnie de représentants de l’extrême gauche républicaine et socialiste[8].
Pourtant Hugo rejette ce qu’il considère alors comme une politique putschiste. Certes, il est plus que critique envers la plupart des membres du gouvernement, et surtout du gouverneur militaire de Paris, le général de sensibilité royaliste Trochu, - nom qu’il traduira dans L’Année Terrible en « participe passé du verbe trop choir »[9]. Mais pour l’instant, en présence de l’ennemi, il faut à tout prix (ou presque à tout prix) maintenir l’unité républicaine la plus large possible. D’autant qu’il est loin d’éprouver de la sympathie pour tous les meneurs socialistes. Il redoute le sectarisme, la propension présumée au terrorisme des blanquistes comme Rigault, ou des néo-jacobins comme Delescluze. C’est là, en somme, que gît son futur désaccord avec la Commune.
Mais en attendant, il demeure en phase avec « l’esprit parisien » du moment : le résultat des élections de février 71 à Paris sont claires (d’autant plus claires que le vote parisien, du fait de la désertion des électeurs des beaux quartiers repliés en Province, sur-représente encore la composante populaire et petite-bourgeoise de la capitale) : Hugo est élu second, derrière un autre grand revenant de 48 et de l’exil, Louis Blanc, et devant la figure de proue des jeunes radicaux, Gambetta.
L’Assemblée de Bordeaux
La capitale, ainsi que quelques grandes villes comme Lyon, Marseille, Bordeaux, a donc voté républicain, d’un rouge plus ou moins foncé. Mais, plus encore que sous l’Empire, cette tendance reste minoritaire, et l’Assemblée de Bordeaux, puis de Versailles, sera dominée par des hommes d’ordre, des notables effrayés, revanchards, et monarchistes. Minoritaires, les républicains de toutes tendances doivent composer avec les libéraux menés par Thiers, d’anciens orléanistes pour la plupart, prêts avec leur chef de file à accepter la république comme un moindre mal, si celle-ci garantit l’ordre social et ramène la paix. Alors que la majorité des républicains accepte le « Pacte de Bordeaux », et donc le soutien à Thiers en échange de la garantie que la question du régime ne sera pas posée tant que le rapport de forces parlementaire est si manifestement défavorable aux républicains, Hugo fait partie de ceux qui défendent une politique de rupture avec cette Assemblée monarchiste et capitularde. Comme en 1851 quand il s’opposait à la révision constitutionnelle qui aurait permis à Louis Bonaparte de faire l’économie d’un coup d’État (attitude qui, selon l’hypothèse de Guy Rosa, était motivée avant tout par la crainte d’une dérive autoritaire du régime qui aurait pervertir la nature démocratique de la République et obéré durablement sa charge progressiste et messianique pour en faire un régime parmi d’autres[10]), Hugo pense alors (contre des personnalités pourtant aussi proches de lui que Louis Blanc ou Schœlcher) que la meilleure manière de préserver l’avenir républicain du pays est d’éviter la compromission avec les forces du passé, majoritaires au sein de l’Assemblée.
Plus précisément, deux lignes de fracture éloignent Hugo de cette Assemblée et provoqueront sa démission : la question de la paix (nous ne nous y attarderons pas ici : Hugo refuse la capitulation et la cession de l’Alsace-Lorraine) et la question de Paris. Car le 7 mars et surtout le 10, l’Assemblée va adopter un train de mesures qui mettront aux abois le peuple parisien : retour au fonctionnement normal du Mont-de-piété[11], attribution de la solde de la garde nationale aux seuls indigents (sur présentation d’un certificat), abrogation des décrets qui accordaient un délai aux débiteurs pour le paiement des loyers et des dettes industrielles et commerciales des tout petits entrepreneurs, si nombreux à Paris. Bref, retour à la stricte orthodoxie économique après les mesures sociales prises pendant le siège, et ce alors qu’aucune des conditions nécessaires à la reprise n’est encore réunie. Le politique et le symbolique ne sont pas oubliés : Paris ne sera plus la capitale de la France, et l’Assemblée, sinon le gouvernement, n’y résideront plus. Au pavé brûlant qui avait vu tant de révolutions, les notables préféraient les galeries classiques du palais de Versailles, toutes pleines des souvenirs de l’Ancien Régime, - et de ceux, tout récents, des souverains germaniques qui y avaient établi pendant les opérations leur grand quartier général et venaient d’y proclamer l’Empire d’Allemagne.
Le 6 mars, dans le 11ème bureau de l’Assemblée, Hugo prononce un discours dénonçant l’ensemble de ces mesures projetées, et bientôt votées[12]. Le 8, il démissionne, à l’issue d’une séance particulièrement houleuse pendant laquelle la droite, chauvine autant que capitularde, s’efforcera de l’empêcher de saluer « l’étranger » Garibaldi[13], et où M. le vicomte de Lorgeril s’écriera, écumant debout depuis son banc malgré les rappels à l’ordre du président Grévy : « L’Assemblée refuse la parole à Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français »[14].
Ainsi, l’action de Hugo à Bordeaux demeurait absolument fidèle à l’esprit de ses mandants, et lui conservait intacte toute sa popularité parisienne.
Hugo face à la Commune
Le 15 mars à Bordeaux le fils aîné de Hugo, Charles, meurt subitement d’apoplexie. Par un de ces hasards de l’histoire qui jalonnent l’existence du poète, le corps est transporté de la gare d’Orsay au Père-Lachaise le 18 mars, jour de l’insurrection parisienne. L’ancien communard Prosper-Olivier Lissagaray relate ainsi l’effet produit par le convoi funèbre sur les Fédérés insurgés :
A la Bastille, où le général Leflô manque d’être pris, la garde nationale fraternise avec les soldats. Sur la place, un moment de grand silence. Derrière un cercueil qui vient de la gare d’Orléans, un vieillard tête nue que suit un long cortège: Victor Hugo mène au Père-Lachaise le corps de son fils Charles. Les fédérés présentent les armes et entrouvrent les barricades pour laisser passer la gloire et la mort.[15]
Puis, très vite, dès le 20, Hugo part pour Bruxelles débrouiller la succession de son fils, et c’est depuis la capitale belge qu’il suivra les développements de l’insurrection.
Si l’on excepte, ce qui certes n’est pas rien, les mesures de contre-terreur (décret des otages) et celle, symbolique, de la destruction de la colonne Vendôme, on constate que Hugo ne remet pas en cause le programme et les autres mesures prises par l’assemblée communale : programme, on l’a vu, conforme au républicanisme radical (communalisme et fédéralisme, séparation de l’église et de l’État), et réactivation des mesures sociales prises par Gambetta pendant le siège et supprimées par l’Assemblée de Bordeaux.
Il importe également de ne pas abuser, pour comprendre l’attitude hugolienne, du parallèle classique qui rapproche juin 1848 et mars 1871, - quelle que soit au juste la pertinence historique (sans doute discutable) de ce parallèle. En juin 1848, et même encore pendant l’exil, dans Les Misérables notamment, Hugo refuse au soulèvement ouvrier la légitimité politique, au nom de la légitimité d’une Assemblée nationale élue au suffrage universel : juin 1848 n’a pas le droit, même si on y discerne « la sainte anxiété du travail réclamant ses droits »[16]. De ce point de vue, la situation est toute autre en mars 1871 : Hugo, qui vient de démissionner de l’Assemblée, ne saurait condamner l’insurrection au nom de la légitimité de celle-ci. Il n’a de cesse, comme les Communards, de la contester et d’appeler à sa dissolution. Inversement, il affirme à plusieurs reprises le droit de l’insurrection du 18 mars et de la Commune elle-même, tout au moins dans ses principes fondateurs. Et pourtant, il la désapprouve.
Hugo conteste non le droit, mais l’opportunité de l’insurrection (on n’entre pas en guerre civile sous les yeux de l’ennemi victorieux) ; il dénonce l’isolement des responsables qui ont rompu avec les républicains radicaux ; enfin il récuse une grande partie du personnel politique de l’assemblée communale, et les mouvements plus ou moins groupusculaires qu’ils représentent, les blanquistes comme Rigault ou les néo-jacobins comme Delescluze. Depuis Bruxelles, dans une lettre adressée le 18 avril à Meurice et Vacquerie, il assène : « La Commune, chose admirable, a été stupidement compromise par cinq ou six meneurs déplorables »[17]. Position développée dans la longue lettre adressée aux mêmes, datée du 28 avril 1871 mais sans doute écrite pendant l’été, à Vianden donc, et publiée dans Le Rappel le 6 mars 1872 :
Certes le droit de Paris est patent […] Paris commune est la résultante de la France république […] La vraie définition de la république ; la voici : moi souverain de moi. C’est ce qui fait qu’elle ne dépend pas d’un vote. Elle est de droit naturel, et le droit naturel ne se met pas aux voix. Or une ville a un moi comme un individu ; et Paris, parmi toutes les villes, a un moi suprême. C’est ce moi suprême qui s’affirme par la Commune.
[…]
Le droit de Paris de se déclarer Commune est incontestable.
Mais à côté du droit il y a l’opportunité.
Ici apparaît la vraie question.
Faire éclater un conflit à pareille heure ! la guerre civile après la guerre étrangère ! Ne pas même attendre que les ennemis soient partis !
[…]
Le moment choisi est épouvantable.
Mais ce moment a-t-il été choisi ?
Choisi par qui ?
Qui a fait le 18 mars ?
Examinons.
Es-ce la Commune ?
Non. Elle n’existait pas.
Est-ce le comité central ?
Non. Il a saisi l’occasion, il ne l’a pas créée.
Qui donc a fait le 18 mars ?
C’est l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité.
Circonstance atténuante : elle ne l’a pas fait exprès.
[…]
La Commune est une bonne chose mal faite.
Toutes les fautes commises se résument en deux malheurs : mauvais choix du moment, mauvais choix des hommes.
[…]
Supposons un temps normal ; pas de majorité législative royaliste en présence d’un peuple souverain républicain, pas de complication financière, pas d’ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de Prusse. La Commune fait la loi parisienne qui sert d’éclaireur et de précurseur à la loi française faite par l’Assemblée. Paris, je l’ai dit plus d’une fois, a un rôle européen à remplir. Paris est un propulseur. Paris est l’initiateur universel. Il marche et prouve le mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique à son devoir, il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le droit de la femme et de l’enfant, appeler la femme au vote, décréter l’instruction gratuite et obligatoire, doter l’enseignement laïque, supprimer les procès de presse, pratiquer la liberté absolue de publicité, d’affichage et de colportage, d’association et de meeting, se refuser à la juridiction de la magistrature impériale, installer la magistrature élective, prendre le tribunal de commerce et l’institution des prud’hommes comme expérience faite devant servir de base à la réforme judiciaire, étendre le jury aux causes civiles, proclamer la liberté des banques, proclamer le droit au travail, lui donner pour organisme l’atelier communal et le magasin communal, reliés l’un à l’autre par la monnaie fiduciaire à rente, supprimer l’octroi, constituer l’impôt unique qui est l’impôt sur le revenu ; en un mot abolir l’ignorance, abolir la misère, et, en fondant la cité, créer le citoyen.
Mais, dira-t-on, ce sera mettre un État dans l’État. Non, ce sera mettre un pilote dans le navire.[18]
Désaccord essentiellement tactique, donc. Reste qu’en politique, et surtout en révolution, un désaccord tactique, ce n’est pas rien. En outre, durant l’insurrection elle-même, les interventions publiques de Hugo se limitent à l’envoi au Rappel de trois poèmes (« Un cri », « Pas de représailles », « Les deux trophées »[19]) qui peuvent au moins donner l’impression d’un renvoi dos à dos des violences communardes et versaillaises. Enfin Hugo refuse de rentrer à Paris (alors qu’il le pourrait, les communications n’ayant jamais été totalement coupées), malgré l’annonce du Rappel qui affirme le 27 mars qu’« Aussitôt que les prescriptions légales vont être remplies, et que l’avenir des mineurs va être réglé, Victor Hugo reviendra immédiatement à Paris ». Mais l’intéressé écrit dans ses carnets : « J’ai cru devoir être présent à la guerre étrangère et absent à la guerre civile. »[20]. L’insurrection du 18 mars, mouvement de défense républicaine, dans le droit mais hors de saison, a sans doute à ses yeux le tort majeur, en plongeant la nation dans la guerre civile, de risquer la mort de cette République dont elle se proclame le rempart. C’est l’analyse de Guy Rosa :
De bout en bout tout se passe en effet comme si Hugo s’attachait, et réussissait, à demeurer la vivante incarnation de la République que ses œuvres, son exil, son retour, et jusqu’à cette récente démission [de l’Assemblée de Bordeaux], avaient fait de lui. La guerre civile, dissolution de la communauté politique et sociale, est à ses yeux le suicide de la République, comme le Second Empire et l’invasion en avaient été l’assassinat. Y participer à quelque titre que ce soit serait pour lui non seulement ajouter au crime, mais l’achever : détruire cette réalité, historique et idéale, qu’il constitue lui-même, qu’il a formée par sa parole et au nom de laquelle il a parlé, et qui, maintenant que Paris et l’Assemblée sont aux prises, demeure une des rares formes sous lesquelles survit la République française.[21]
L’abstention donc, voire la réprobation, l’emportent publiquement sur l’énoncé des points de convergence.
Constat qui doit être modulé, cependant, par l’attitude du journal du « clan Hugo », Le Rappel.
L’attitude du Rappel
Rappelons d’abord que Le Rappel paraît pendant toute la durée de la Commune, jusqu’au premier jour de la Semaine sanglante, sans être inquiété[22]. En revanche, il sera suspendu jusqu’au 1er novembre par les autorités versaillaises, et son rédacteur en chef, Paul Meurice, passera trois semaines en prison.
C’est que le journal se démarque alors assez nettement de l’attitude abstentionniste voire réprobatrice de son illustre mentor.
Certes Le Rappel, comme Hugo, condamne les atteintes aux libertés de la presse, les arrestations arbitraires, le décret des otages, toutes mesures qui « donnent des armes à la réaction » (Lockroy, 7 avril). Certes, le 14 avril Meurice critique le décret qui décide d’abattre la colonne Vendôme, développant une argumentation (la colonne symbolise avant tout la puissance du peuple souverain et la guerre révolutionnaire) et proposant une solution symbolique (arracher la « figure usurpatrice [Napoléon] de ce piédestal sublime » et mettre « à la place La France, ou, mieux, la Révolution, ou, si vous voulez, un soldat, le Soldat français ») que le poème de Hugo « Les deux trophées », rédigé début mai et publié dans Le Rappel le 7 de ce mois, reprend assez fidèlement. Certes Le Rappel s’insurge contre la guerre civile, et ne cesse de soutenir toutes les initiatives qui pourraient la faire cesser.
Il n’en reste pas moins que le ton, l’analyse et la tactique du journal diffèrent sensiblement des propos de Hugo sur le mouvement né du 18 mars.
Dès le numéro du 19 mars, même si le rédacteur s’inquiète de la présence de la Prusse menaçant d’intervenir dans les convulsions françaises, l’écart se mesure à l’intensité de la dénonciation du gouvernement de Versailles, seul responsable du déclenchement de l’insurrection, et surtout à l’enthousiasme qui transparaît dans le récit de l’événement révolutionnaire :
Le gouvernement après de longs tâtonnements s’est décidé au coup de force que lui conseillaient les journaux de la réaction et auquel ne voulaient pas croire les journaux républicains. […]
La responsabilité de la grave situation où nous sommes doit peser toute entière sur le gouvernement qui l’a amenée, qui l’a peut-être voulue. Il a éveillé la guerre civile, croyant pouvoir aisément s’en rendre maître. Mais la preuve qu’il n’y avait à la guerre civile, ni raison, ni prétexte, c’est que la guerre civile n’est pas venue : l’armée envoyée pour combattre la garde nationale l’a simplement embrassée !
Et si nous n’avions pas encore à nos portes la guerre étrangère, - danger dont le pouvoir a voulu se faire un moyen – la « guerre civile » de la journée d’hier n’aurait abouti qu’à la plus admirable et à la plus pacifique consolidation de la République et de la République la plus sincère et la plus forte.[23]
Ce refus d’adopter une position en retrait qui renverrait dos à dos les belligérants va caractériser la ligne éditoriale du journal durant toute la période. Le 3 avril, sous le titre « Ils ont attaqué », Paul Meurice attribue au seul gouvernement la responsabilité de la guerre civile :
Voilà que la bravade [de M. Thiers] se change en attentat et que la rouerie se transforme en crime. […] Nous ne voulons pas pour l’instant voir autre chose : nous laissons là toute question politique, toute appréciation de principe ; […] nous ne voulons voir qu’une chose : le premier coup de feu de la guerre civile a été tiré par le gouvernement. […] La France, en effet, comme ferait une mère dont les deux fils en viendraient aux mains, ne veut pas savoir lequel des deux a tort ou raison, ou quel est le fort et le faible ; mais, pour savoir dans son cœur lequel est coupable, lequel elle doit condamner, lequel elle doit maudire, elle demande : quel est celui qui a commencé ?
Même les mesures liberticides prises par la Commune, qu’il dénonce immédiatement et constamment, ne justifient pas pour Le Rappel la condamnation de l’assemblée communale ni même une répartition égale et « pondérée » des torts de Paris et de Versailles. Ainsi dans l’éditorial de François-Victor Hugo, le 15 avril, intitulé « Rappel aux principes », qui semble d’abord prononcer (comme le fait alors son père depuis Bruxelles) une double condamnation, - pour mieux finalement s’en démarquer :
À Versailles, on fait saisir par le commissaire de police le Mot d’ordre, le Vengeur, le Cri du Peuple, le Rappel.
À Paris, on suspend le Figaro, le Pays, le Constitutionnel, le Journal des débats.
À Versailles, on interdit les clubs.
À Paris, on empêche la réunion de la Bourse[24].
À Paris comme à Versailles, arrestations arbitraires. À Versailles on fouille les poches de ceux qui arrivent ; à Paris, on fouille les maisons de ceux qui sont partis.
Nous savons que les faits reprochés à la Commune de Paris sont démesurément grossis par le gouvernement de Versailles. À Versailles, MM. Vinoy et Galiffet ont fait réellement, au mépris de toutes les lois, fusiller le citoyen Duval et d’héroïques gardes nationaux coupables d’avoir défendu leur droit et leur cité. À Paris, on n’a pas touché un cheveu de la tête d’un seul prisonnier ou d’un seul otage.[25]
Pourquoi donc, du côté de Paris, l’apparence, la simple menace verbale et la violence en paroles, semblent-elles des attentats aussi graves que le sont, du côté de Versailles, d’odieuses et sanglantes réalités ?
C’est que les atteintes au droit paraissent toujours plus condamnables, venant du côté où est le droit.[…]
Ah ! nous comprenons autrement la généreuse pensée populaire qui a présidé au mouvement du 18 mars. Selon nous, Paris, outragé par les campagnes, devait se venger d’elles en faisant mieux qu’elles. [Suit une série de mesures espérées, reprises du programme des républicains de gauche]
Telle est la Commune dont nous rêvions le 18 mars, et que, malgré les erreurs et les déviations des premiers jours, nous ne cessons pas d’espérer.
C’est d’ailleurs dans l’appréciation de l’assemblée communale elle-même que se lit peut-être le plus clairement la différence des positions de Victor Hugo et de « son » journal. Le Rappel, après quelques hésitations dans les premiers jours, soutient clairement le principe et l’opportunité d’une élection communale, alors même que celle-ci peut apparaître comme une rupture avec la légalité, puisque l’Assemblée nationale n’a pas voté la loi municipale qui donnerait à Paris une représentation unique (« nos élections municipales, que s’est laissé arracher la dictature rurale » (27 mars)). Si l’équipe a d’abord hésité à prendre clairement parti pour cette élection, c’est manifestement moins par crainte d’une rupture avec Versailles que dans l’angoisse de voir les maires radicaux élus en novembre 1870 refuser d’y participer, faute d’un accord avec le Comité central de la Garde nationale. L’accord semblant réalisé, Le Rappel soutient l’élection. Mais quand les radicaux se démettent (pour la plupart dès l’annonce des résultats, refusant donc de siéger au conseil), le journal, loin de justifier une décision immédiatement décriée par les Communards (Lissagaray parlera dans son Histoire de la Commune de « désertion »), se contente de reproduire les déclarations des démissionnaires, sans les commenter. Bien vite, il semble même qu’il la réprouve, comme le montre notamment l’appel au vote de Paul Meurice, dans le numéro du 14 avril, à l’occasion des élections complémentaires nécessitées principalement par cette démission des radicaux :
Il faut voter.
[…] Nous espérons que cette fois l’Union républicaine des droits de Paris fera sa liste. Elle ne trouvera pas une meilleure occasion d’intervenir.
Ceux qui s’abstiennent par hostilité à la Commune font le plus imbécile des calculs. Ils ont beau haïr la Commune, elle est, et ils sont exposés à tout ce qu’elle voudra leur faire. Ils sont donc stupides de ne pas employer le seul moyen qu’ils aient de modifier ses éléments, et par suite, ses actes. Alors, qu’ils s’en prennent à eux seuls de tout ce qui pourra leur arriver.
Quant à ceux qui, tout en acceptant la Commune, pensent qu’elle a commis plus d’une maladresse et plus d’une faute, c’est à eux à lui adjoindre des collaborateurs qui l’aident à se maintenir dans l’énergie intelligente et dans la fermeté réfléchie sans lesquelles elle périrait et la République avec elle.
Certes, les réserves sont sensibles, - elles ne vont pas jusqu’à nier à la Commune sa légitimité, ni même sa représentativité. Hugo lui, depuis Bruxelles dans sa lettre à l’Indépendance belge du 26 mai, est bien plus virulent quand il évoque la « réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée[26] ». Il reprend alors à son compte un argument, celui d’une élection faussée par une abstention massive, que Le Rappel, à plusieurs reprises et dès la proclamation des résultats, avait, lui, vigoureusement rejeté :
Les journaux hostiles à Paris font ce qu’ils peuvent pour persuader à leurs lecteurs que Paris n’a pas voté. La Commune, à les en croire, aurait été nommée par un nombre insignifiant d’électeurs, et l’abstention aurait été telle que l’élection serait dérisoire.
Voyons.
Il n’est venu à l’idée d’aucun journal réactionnaire de contester les élections municipales du 5 novembre. Or, les maires sortis les premiers dans les 20 arrondissements réunissaient à eux tous un total de 140 142 suffrages.
Cette fois-ci, les conseillers municipaux sortis les premiers dans les 20 arrondissements réunissent un total de 158 650.
Ce qui donne à la Commune dix-huit mille cinq cents voix de plus qu’à la municipalité.
Les journaux réactionnaires auraient-ils la bonté de nous révéler par quelle espèce d’arithmétique ils réussissent à trouver la municipalité mieux élue que la Commune.[27]
Ce raisonnement n’empêche d’ailleurs pas le Rappel de regretter vivement que la Commune ait validé l’élections des cinq conseillers n’ayant pas obtenu le suffrage du huitième des électeurs inscrits, ni de déplorer la recrudescence de l’abstention lors des élections du 16 avril, abstention qu’il explique par les bombardements et les opérations militaires, la fuite d’une partie de la population, ou encore l’effet démobilisateur de la démission des élus (qu’il déplore). Mais le rédacteur ajoute :
La Commune aura la sincérité d’ajouter à ces raisons les fautes et les maladresses qu’elle a commises ou laissé commettre, les suppressions des journaux, les arrestations arbitraires, la presse des réfractaires de la guerre civile, etc., tout ce qui a grossi les rangs de ses ennemis et éclairci ceux de ses partisans.
La Commune a pour elle le principe ; qu’elle n’ait pas contre elle les actes. Elle a fait de bonnes choses ; plus d’une des mesures qu’elle a prises ont mérité l’approbation des vraiment honnêtes gens ; qu’elle soit énergique sans violence, qu’elle ait la justice à sa droite et la liberté à sa gauche, et sa popularité reviendra entière, et ce jour-là elle pourra appeler au vote : il n’y manquera personne de ceux qui méritent le nom de bons citoyens.[28]
Attitude critique, certes, mêlée d’une certaine amertume, - mais qui ne va pas jusqu’à refuser à l’assemblée communale sa légitimité populaire.
Enfin, jamais Le Rappel ne critique la Commune au nom de l’insuffisance, de l’indignité, de l’ignorance de ses membres, militants socialistes issus pour la plupart de l’aristocratie ouvrière ou de la toute petite bourgeoisie intellectuelle. Or c’est un « argument » récurrent chez Hugo, - peut-être, avouons-le, l’un des moins sympathiques. Dans sa lettre à l’Indépendance belge, dans L’Année terrible (mais pas dans les trois poèmes qu’il envoie au Rappel), il reprend la stratégie satirique de Châtiments (avec peut-être un peu moins de pertinence historique) et mêle attaques ad hominem et dénonciations collectives, appliquées aux deux camps. Encore dans la lettre antidatée du 28 avril 1871, s’il concède (peut-être sur les instances de ces rédacteurs du Rappel auxquels la lettre est adressée) qu’il y a dans la Commune « quoi qu’on en dise, des cœurs droits et honnêtes », il maintient son verdict d’indignité collective de l’assemblée communale :
Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon, mais par des ignorants, ce qui est pire. […]
Se figure-t-on Paris disant de ceux qui le gouvernent : Je ne les connais pas ! Ne compliquons pas une nuit par l’autre ; au problème qui est dans les faits, n’ajoutons pas une énigme dans les hommes. Quoi ! ce n’est pas assez d’avoir affaire à l’inconnu ; il faut aussi avoir affaire aux inconnus !
L’énormité de l’un est redoutable ; la petitesse des autres est plus redoutable encore.
En face du géant il faudrait le titan ; on prend le myrmidon ![29]
Le Rappel sait fort bien être acerbe. Ni l’attaque ad hominem ni l’attaque collective ne l’effraient : Veuillot, Thiers, et peut-être surtout Jules Favre ; les journaux réactionnaires, l’Assemblée des ruraux, les républicains tièdes, en font les frais. Mais pas les Communards. Certaines des mesures de l’assemblée communale peuvent être critiquées, voire dénoncées, mais collectivement l’assemblée est au moins ménagée, et le Rappel saisit toutes les occasions de marquer son approbation du travail politique du conseil. Ainsi, le deux avril :
Ceux qui ont intérêt à voir dans la Commune un tas de fous et d’énergumènes prêts à trancher les questions comme on casse les vitres, seront gênés par l’invitation que la Commune adresse aux sociétés syndicales du commerce et de l’industrie. La Commune, avant de résoudre la question des échéances, les invite à lui écrire leurs observations et tous les renseignements qu’elles jugeront utiles.
Nous ne pouvons, nous, que nous réjouir de ce que la Commune n’improvise pas à tâtons une loi qui touche à tant d’intérêts.
Quant aux individus, Le Rappel évite généralement de les nommer dans ses jugements sur l’action de l’assemblée communale. Il sort de cette réserve le 15 mai, sous la plume de François-Victor, mais c’est pour faire l’éloge de Jourde (et accessoirement de Varlin), et approuver non seulement sa gestion financière mais surtout sa prise de position en faveur de la « minorité » communale, opposée à la tendance autoritaire qui s’est précisée lors de la constitution d’un Comité de Salut public (le 1er mai). Et Hugo fils en profite pour récuser vertement la thèse, plusieurs fois reprise par Hugo père, du malheur de Paris gouverné par des « inconnus », - au nom de la puissance révélatrice des révolutions :
Tous les hommes impartiaux ont lu avec un sympathique intérêt le rapport financier présenté à la Commune par le citoyen Jourde. Ce rapport résumait avec une remarquable netteté et une loyauté parfaite les mouvements de fonds opérés en quarante jours. Il faisait justice de toutes les calomnies versaillaises qui représentent le mouvement municipal comme le triomphe du pillage et du vol. […]
Qui se serait douté, avant la journée du 18 mars, qu’il y avait quelque part, dans les rangs de la classe ouvrière, un Necker inconnu qui sauverait de la banqueroute la première ville du monde ? Les révolutions populaires nous font parfois de ces surprises. Soudain elles mettent en lumière un talent inaperçu, un mérite ignoré, une probité anonyme. Elles rectifient les iniquités du sort en brusquant les renommées et en arrachant la gloire à l’obscurité. Passant, qui es-tu ? – Un pauvre avocat sans cause – Demain tu seras Danton. – Et toi, qui es-tu ? – Un modeste étudiant en droit. – Demain tu seras Camille Desmoulins. Et toi, qui es-tu ? Sergent aux gardes-françaises. – Demain tu seras Hoche. Et toi, qui es-tu ? – Un simple grenadier, fils d’un ouvrier terrassier. – Demain tu seras Kléber !
Le délégué aux finances a conquis l’estime générale, non-seulement par la loyauté et l’habileté de sa gestion financière, mais par les excellentes et saines paroles qui ont servi de commentaire à son rapport. Il a protesté par sa démission contre le rétablissement du Comité de salut public, et, s’adressant à une Assemblée que semblait dominer la tradition jacobine, il a eu le courage de lui dire : Ne revenons pas à 93 !
Outre ces déclarations très politiques, le plus souvent signées par les grands noms de la rédaction, et qui engagent explicitement la « ligne » du journal, il faut faire état de ces « échos », de ces faits parisiens d’importance variable mais à travers lesquels, bien souvent, se lit une évidente adhésion à l’atmosphère révolutionnaire de la capitale depuis le 18 mars. Numéro du 22 mars :
Sur les boulevards et dans les rues, la circulation est aussi active que d’habitude. Bien que les événements accomplis ces derniers jours soient commentés avec animation, les citoyens acceptent franchement le nouvel état des choses, garanti du reste par l’aide et le concours de la garde nationale tout entière.
La troupe régulière a, de son côté, compris que ses chefs ne pouvaient plus lui commander le feu sur les Français, après les avoir fait fuir devant les Prussiens.
Les auteurs de tous nos maux ont quitté Paris sans emporter le moindre regret[30].
Numéro du 27 mars, relatant « La Journée » de la veille, celle des élections à la Commune :
Belle et radieuse journée que celle d’hier. La joie était sur tous les visages et la confiance des esprits s’ajoutait à la sérénité du temps.[31]
Ou encore Auguste Vacquerie, qui dans le numéro du 29 mars relate la laïcisation solennelle de l’église Sainte-Geneviève[32], et en profite pour exprimer son adhésion au drapeau rouge de la Commune au détriment du tricolore :
Les canons de la place du Panthéon saluaient le drapeau qui venait remplacer la croix par laquelle le catholicisme impérial avait marqué sa prise de possession de l’édifice.
La Commune reprenait au clergé ce que le clergé avait usurpé.
Le drapeau était rouge. Nous ne sommes pas de ceux que le rouge effarouche.
Ce n’est pas une couleur nouvelle pour nous. Pendant tout l’exil, le drapeau rouge a été le drapeau de la République proscrite ; et nous trouvons tout simple que la République rentre en France avec son drapeau.
[…]
Le drapeau tricolore, qui a été celui de la première République, a eu, certes, ses jours glorieux ; mais l’empire l’a traîné dans la boue de Sedan, et ce n’est pas nous qui l’y ramasserons.
Ajoutons enfin que le récit des opérations militaires, s’il ne se prive pas de critiquer la stratégie des généraux de la Commune, se fait toujours selon le point de vue parisien, et montre clairement qu’il espère la victoire des fédérés. Ainsi, dans le numéro du 4 avril, relatant la désastreuse sortie parisienne de la veille :
Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu dans les vaillants défenseurs de Paris une résolution et un entrain admirables. Mais leur courage a paru plus d’une fois desservi par l’indécision et l’inexpérience des chefs. Il manquait l’ordre, et aussi les ordres. Mais tout pourra encore être réparé.
Tout cela ne suffit certes pas à faire du Rappel un journal « communard ». À la différence du Vengeur ou du Cri du peuple par exemple, aucun de ses rédacteurs ne siège à la Commune, et le journal, s’il appelle à voter et incite fortement les radicaux à se présenter, ne soutient officiellement aucune liste. Il est clairement dans le camp des « conciliateurs » (même si Lockroy, dans son éditorial du 5 avril, récuse le mot), il soutient la fondation de la Ligue républicaine des droits de Paris, les initiatives des grandes villes républicaines (le Congrès de Bordeaux), et, déchiré, n’appelle jamais directement à prendre les armes contre Versailles. Mais cette tendance « conciliatrice », dominée par les radicaux, est elle-même composite, et Le Rappel se situe clairement à son extrême gauche : par son insistance à réclamer la dissolution de l’Assemblée nationale et ses ménagements à l’égard de l’Assemblée communale, par son regret de ne pas voir siéger les radicaux au sein de cette dernière, par son approbation globale du mouvement du 18 mars et par sa conviction que les responsabilités de la guerre civile sont toutes du côté de Versailles. « Nous avons peu de goût pour les coups d’État, écrivait le 6 avril François-Victor ; mais s’il nous fallait choisir entre l’usurpation de la province et l’usurpation de la capitale, nous n’hésiterions pas. Parisiens, nous ne nous séparerions pas de Paris. » Tel sera en effet l’attitude du Rappel. Or, n’ayant jamais dénoncé l’illégitimité de l’assemblée communale, ni dénié sa représentativité populaire à Paris, le journal aura finalement adopté vis-à-vis de la Commune une position qu’on pourrait qualifier de soutien critique, extérieure, mais non hostile.
Cette attitude s’explique par son analyse fait Commune. Le Rappel voit dans le 18 mars et dans ses suites avant tout un mouvement de défense républicaine, contre les menaces de coup de force royaliste de l’Assemblée de Versailles, mais aussi contre la trahison des idéaux républicains par les modérés[33]. Le peuple de Paris a fait la Commune avant tout pour défendre la République : « Qu’est-ce qu’il veut ? Défendre et garder ce qu’il a si chèrement payé, si vaillamment conquis : la République, son droit, son titre »[34]. Cette République « qui n’est pas « le but », mais qui est le moyen – et le meilleur de tous – de réaliser toutes les réformes et d’accomplir tous les progrès »[35]. Les mesures sociales de la Commune, vitales, mais au fond modestes, seront globalement approuvées par l’équipe du Rappel. C’est qu’elles relèvent à ses yeux de ces « réformes » et de ces « progrès » que rendent possible la République véritable. Bref, le journal ne voit pas dans la Commune une répétition de juin 1848, mais plutôt sa négation, son contre-exemple, la preuve que l’alliance dans, par et pour la République, des ouvriers parisiens et de la petite bourgeoisie, des républicains radicaux et des socialistes, est bien réalisée, au moins réalisable. La lecture de l’événement en terme de guerre sociale à outrance, répétition du traumatisme de Juin, lui semble avant tout le fait de la « réaction », et c’est contre cette lecture, qui réaliserait ce qu’elle veut démontrer, qui ferait le jeu d’une violence de classe qu’il soupçonne bien davantage à Versailles qu’à l’Hôtel de Ville, que l’équipe du Rappel développe ses analyses et fait ses choix : « En 1848 la question sociale, ou plutôt le malentendu social divisait en deux camps opposés, exaltés, acharnés, les prolétaires et les propriétaires. Aujourd’hui rien de semblable. […] La guerre civile n’a pas de raison, pas même de prétexte ; elle serait en quelque sorte artificielle et, plus qu’artificielle, forcée »[36]. Seuls les réactionnaires de Versailles ont intérêt à voir dans l’événement du 18 mars la répétition du 23 juin, seuls ils ont intérêt à déclencher une guerre civile que l’événement ne justifie pas, seuls ils en porteront, aux yeux du Rappel, la responsabilité.
Il est probable que le silence plus ou moins réprobateur de Victor Hugo, son absence même, ait gêné cette équipe du Rappel qui n’a cesse de s’enorgueillir de sa présence au sein du peuple de Paris, de l’attention qu’elle porte à ses actes, à ses gestes, à ses pensées et à ses désirs, et de la fidélité qu’elle lui voue[37]. Il est possible qu’elle ait vu dans ce retrait une attitude déplacée, qui risquait de donner, objectivement, du poids à la lecture de l’événement qu’elle s’efforçait de contrer. Mais on peut admettre que la position du Rappel, recouvrant en quelque sorte le silence du Maître, a permis à celui-ci de conserver à peu près intacte son audience auprès des milieux socialistes et ouvriers de la capitale. Et quand en 1872, avec la publication de L’Année terrible et d’Actes et paroles 1870-1871-1872, les critiques de Hugo à l’égard de la Commune et des Communards pourront être largement connues (comme on le verra plus loin, quelques militants ne les lui pardonneront pas), elle seront amplement compensées par le combat qu’il mène, dès la Semaine sanglante, contre leur répression féroce par les Versaillais, et qui lui vaudra à sa mort le titre de « grand amnistieur ».
Fortune de Hugo chez les anciens Communards
Il faudrait pour finir évoquer brièvement la « réception » de cette attitude politique de Hugo face au phénomène Commune dans les milieux politiques d’extrême gauche, et avant tout parmi les anciens Communards. On a peut-être surévalué l’importance, et surtout la précocité, de la dénonciation par les responsables du mouvement ouvrier français, marxistes ou anarchistes, d’un Hugo petit-bourgeois, incapable de s’élever au-delà des intérêts de sa classe, mal masqués par une phraséologie grandiloquente et un paternalisme sentimental. Dénonciation dont le pamphlet de Lafargue, La Légende de Victor Hugo, rédigé en prison à l’occasion de la mort du poète, constitue l’exemple le plus célèbre[38]. Mais comme le rappelle Madeleine Rébérioux, « Malgré ses fermes espérances, Lafargue ne trouva sur le moment aucun éditeur : son pamphlet parut pour la première fois en 1888 dans Die Neue Zeit, puis, pendant l’été 1891, dans La Revue socialiste non sans de fortes réserves, […] bien nécessaires dans une revue où Victor Hugo comptait tant d’amis. »[39] Cette « lecture sectaire de Hugo par Guesde et Lafargue », dont Jack Ralite a rappelé récemment combien elle a été combattue dans les rangs mêmes du Parti Communiste Français, notamment à l’initiative d’Aragon[40], ne semble guère avoir eu d’audience avant les années 1890, et d’abord sans doute sous l’influence de la montée en puissance du positivisme scientiste au sein du mouvement ouvrier, … et de la disparition ou de la marginalisation des militants contemporains de Victor Hugo. Certes, en 1885, à la mort du poète, on put lire dans L’Ami du peuple un virulent article signé Phillip :
Hugo n’a pas trouvé bon de saluer, avec des strophes comme il savait si magistralement en ciseler, les quarante mille cadavres de la Semaine sanglante.
Hugo a cru même devoir cracher sur ces deux admirables lutteurs : Ferré, Raoul Rigault.
Deux citoyens courageux, honnêtes, qui préférèrent au culte de la Littérature, celui de la Justice.
Deux hommes tombés, deux vaincus.
L’insulte lui échappa dans une heure de colère : heure de surprise : heure à laquelle apparut enfin, béant, le gouffre qui sépare à jamais le Peuple du dernier « Grand Poète » de la classe bourgeoise.
Après soixante ans de mensonges, - et d’ailleurs de perfidies délicieuses – de la part du chantre des « Châtiments » plus un masque sur les visages.
Situation nette.
Et le Peuple seul y gagnera.
- Allons messieurs, nous ne cracherons pas sur les vôtres ; mais ne mêlons pas nos cadavres. [41]
Mais la mauvaise foi de cette dénonciation risquait de nuire à son efficacité : quiconque a lu L’Année terrible sait en effet que leur auteur n’avait guère d’estime pour les blanquistes Ferré et surtout Rigault (tous deux fusillés par les Versaillais), - mais il sait aussi que son auteur y a dénoncé les massacres de la Semaine sanglante, dans des poèmes qui, même s’ils ne sont pas strophiques, n’en sont pas moins « magistralement ciselés ». Surtout, une telle attitude souffre alors de son isolement. « L’hugophobie de gauche, écrit Madeleine Rébérioux, est restée un phénomène très marginal, propre, en 1885, sous sa forme exacerbée, à quelques dirigeants du courant guesdiste, encore très peu nombreux »[42]. Ce qui frappe en ces années d’après Commune, c’est bien plutôt le privilège dont jouit Hugo parmi les anciens Communards. Ces hommes qui s’efforceront de reconstituer le mouvement ouvrier sur une ligne classe contre classe, qui ne pardonnent pas aux Républicains bourgeois « soi-disant avancés » d’avoir laissé massacrer le peuple, en mai 1871 comme en juin 1848, ces hommes qui confondent dans la même opprobre tous les revenants de l’exil, les barbus à larmes de crocodile, les Louis Blanc, les Schœlcher, les Ledru-Rollin, etc., ces hommes qui récusent désormais toute alliance avec la bourgeoisie de quelque tendance qu’elle se proclame, semblent mettre un point d’honneur à exclure de leur vindicte Victor Hugo. Lissagaray n’a que mépris pour les radicaux conciliateurs, et la plupart des « socialistes » de la génération de 48, mais, tout en marquant les distances, il multiplie les marques d’estime à l’égard de Hugo et de son journal. Ainsi dans ce coup de chapeau à « l’incident belge », qui réalise le tour de force d’associer au nom de Hugo celui de Guesde pour le courage et de Proudhon pour la proscription:
Il n’y eut de courageux qu’en province et à l’étranger. Les Droits de l’Homme de Jules Guesde à Montpellier […] dénoncèrent les massacreurs. […]
A Bruxelles, Victor Hugo protesta, dans une lettre fort mal documentée du reste, contre la déclaration du gouvernement belge qui acceptait de rendre les fugitifs.
La presse des fusillards déclara qu’il était devenu fou, Francisque Sarcey l’appela « vieux pitre, héron mélancolique, queue rouge, saltimbanque usé, pauvre homme gonflé de phrases, énormément ridicule ». Un autre illustre, Xavier de Montépin, proposa de l’exclure de la Société des gens de lettres. Louis Blanc et Schœlcher lui écrivirent une lettre de blâme. La maison du poète fut lapidée par une bande d’élégants, et le pays d’Artevelde expulsa Victor Hugo comme il avait expulsé Proudhon.[43]
Plus étonnant encore, Victor Marouck, journaliste guesdiste à L’Égalité, qui appelle dans ce journal le peuple de Paris à boycotter les cérémonies républicaines lors de l’érection de la statue de Ledru-Rollin le 24 février 1885, trouve moyen dans son ouvrage consacré à l’insurrection de juin 1848 (publié en 1880) de « sauver » l’attitude de Hugo, pourtant dans les rangs de « l’ordre », alors qu’il vomit Louis Blanc, coupable d’abstentionnisme :
La conduite de Victor Hugo, pendant les journées de Juin faisait dire à un historien anonyme de l’insurrection : « Victor Hugo a noblement rempli son rôle dans ces jours de combats. » Eh bien ! non ; il n’est jamais noble de concourir à l’écrasement des meurt-de-faim et des déshérités, quand ils se lèvent pour la conquête de leurs droits et qu’ils luttent pour leur affranchissement et l’amélioration de leur sort. Au contraire, et c’est toujours sinon un crime, à tout le moins une grande faute. Et nous sommes sûrs qu’aujourd’hui Victor Hugo ne nous démentirait point.
Victor Hugo d’ailleurs appartenait, en juin 1848, à la droite de l’Assemblée ; il se battit contre les insurgés, il y a loin de son attitude à l’écœurante pusillanimité des Louis Blanc et autres montagnards qui faisaient profession d’aimer et de servir le peuple. Mieux vaut, en somme, un ennemi déclaré que de prétendus amis tremblants et lâches.[44]
Bref, on perçoit comme un mot d’ordre tacite dans ce jeu de massacre des notabilités de la gauche officielle : « on ne touche pas à Victor Hugo ». Respect à celui qui défendit l’amnistie et proclama l’asile, qui « Aux survivants de mai dans la grande hécatombe / […] offrit sa maison »[45]. Respect aussi au poète, et d’abord au poète militant, à celui qui sut donner voix à l’ardeur politique. Contre Guesde ou Lafargue, soucieux d’arrimer l’œuvre de Hugo à la société bourgeoise et à ses profiteurs, un Lissagaray, sans doute beaucoup plus proche de la sensibilité militante du temps, salue à sa mort le poète « qui a rempli de son contingent notre cartouchière »[46]. Encore en 1896, quand le vieux Communard revoie pour sa seconde édition son Histoire de la Commune, il place son dernier chapitre sous les auspices d’un alexandrin de Hugo : « Le cadavre est à terre et l’idée est debout »[47].
On comprendra que l’on achève cette brève revue de la fortune de Victor Hugo chez les Communards en invoquant le témoignage de Louise Michel, déportée en Nouvelle-Calédonie. Témoignage d’autant plus significatif que lorsqu’elle écrit à celui qu’elle appelle toujours « Maître », la « Vierge rouge » dit systématiquement « nous », et parle aussi au nom de ses compagnons d’exil. Ainsi, ayant appris la mort de François-Victor, survenue en décembre 1873, elle écrit au père éploré le 28 mars 1874 depuis la presqu’île Ducos, où meurent alors de privations, d’humiliations et de désespoir la fleur du militantisme socialiste :
Cher Maître,
Il n’y a pas de consolation possible, mais je veux vous dire que nous souffrons tous de votre douleur.
Nous vous envoyons les plus grands regrets en union avec les vôtres.[48]
Et le 23 septembre 1878, alors que les conditions de détention se sont quelque peu adoucies pour les survivants, mais que, malgré les efforts du sénateur Hugo, l’amnistie tarde toujours, ces quelques mots, simples et sans équivoque :
On a publié votre portrait, cher Maître, dans un journal de Nouméa[49], et si nous sommes d’accord sur un point, c’est le respect et l’affection que nous vous portons. […]
Au revoir, notre Maître bien-aimé.[50]
Références bibliographiques
AGULHON, Maurice, Histoires vagabondes – II : Idéologies et politique dans la France du XIXe siècle, Paris, Gallimard « Bibliothèque des Histoires », 1988.
APRILE, Sylvie, « « Qu’il est dur à monter et à descendre l’escalier d’autrui » , l’exil des proscrits français sous le Second Empire », Romantisme, n°110, quatrième trimestre 2000, pp. 89-100 ; « Victor Hugo et la politique en exil – réflexions historiques autour de Napoléon-le-petit », communication au Groupe de Recherche sur Victor Hugo (Université de Paris-VII), mai 2002, http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/02-05-18Aprile.htm.
GEORGEL, Pierre (sous la direction de), La Gloire de Victor Hugo, catalogue de l’exposition du Grand-Palais, 1985, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1985.
HUGO, Victor, Œuvres complètes, sous la direction de Jacques Seebacher et Guy Rosa, Paris, Robert Laffont « Bouquins », 1985-1987 (notre édition de référence, sauf mention contraire). Œuvres complètes, sous la direction de Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre, 1967-1971.
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[1] La Légende de Victor Hugo, voir plus loin.
[2] Voir notamment les travaux de Sylvie Aprile.
[3]VIII, 2, O.C., vol. Histoire, p. 125.
[4] « Déclaration aux électeurs de la 6ème circonscription de Paris », reproduite dans Le Rappel du 10 mai 1869.
[5] Voir Maurice Agulhon, « La droite et la gauche », dans Histoire vagabonde – II, p. 234-236.
[6] Voir Actes et paroles – II, O. C., vol. Politique, pp. 623-627.
[7] Cité par William Serman, La Commune de Paris, p. 188.
[8] La liste est la suivante : Flourens, Blanqui, Millière, Pyat, Hugo, Delescluze, Ranvier, Avrial, Mottu. Après discussion, on y ajoute Dorian. Voir Serman, La Commune de Paris, p. 138.
[9] Juin, XVII.
[10] Voir notamment « Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? »
[11] Pendant le siège, et à nouveau pendant la Commune, on permit aux débiteurs de récupérer les gages de faible valeur nécessaires à la vie quotidienne (matelas, couvertures, etc.)
[12] Actes et paroles – III, O. C., vol. Politique, pp. 762-765.
[13] Sans avoir fait acte de candidature, Garibaldi, qui avec ses « chemises rouges » avaient pris part aux combats contre l’Allemagne, avait été élu à Paris, et dans trois autres départements. Le 13 février, alors que l’Assemblée vérifiait les pouvoirs, il demanda la parole pour remercier ses électeurs et, voulant conserver sa nationalité italienne, pour donner sa démission. Un concert de cris et d’injures s’éleva alors des bancs de la droite et, l’Assemblée lui ayant interdit de s’exprimer, vota son invalidation. « Paris ressent comme un affront collectif l’offense infligée par l’Assemblée à Garibaldi, odieusement exclu des débats sans avoir pu adresser un adieu fraternel à la nation française » (Serman, La Commune de Paris, p. 176).
[14] Voir Actes et paroles – III, O. C., vol. Politique, pp. 766-770.
[15] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, p. 113.
[16] Les Misérables, V, I, 1, O. C., vol. Roman II, p. 926.
[17] Œuvres complètes, sous la direction de Jean Massin, Le Club Français du Livre, tome XV-XVI/2, p. 473.
[18] Actes et paroles – III, vol. Politique, p. 788-792.
[19] Repris dans L’Année terrible, respectivement Avril, IV, Avril, V et Mai, I.
[20] Carnets de la guerre et de la Commune, O. C., vol. Voyages, p. 1141.
[21] « Politique du désastre », Euro