Les entorses du ligament croisé antérieur du genou sont les blessures au genou les plus fréquemment rapportées chez les sportifs avec près de 300 000 reconstructions du LCA/an aux USA [1].
Bien que la reconstruction du ligament croisé antérieur ne soit pas systématiquement indiquée [2], elle est néanmoins fortement recommandée pour les patients devant exécuter un haut niveau de performance physique. Cela concerne donc les sportifs et particulièrement ceux pratiquant le sport en compétition et / ou des sports à pivots [3]. Des rapports antérieurs indiquent que 98% des chirurgiens orthopédiques recommandent la chirurgie pour les patients souhaitant reprendre le sport [4].
L’objectif principal d’un athlète après reconstruction du ligament, et en particulier celui des jeunes athlètes, est le retour au sport le plus rapidement possible et cela à un niveau de performance équivalent à l’avant blessure [5].
Cependant, une première blessure est souvent associée à un risque majoré de blessures sur le membre controlatéral et/ou à une récidive sur le membre opéré [6]. Il est retrouvé dans la littérature un taux de rupture du transplant ou du LCA controlatéral de 3 à 49% [7]. Cela peut être la conséquence d’un nouveau traumatisme avec comme facteurs incriminés retrouvés l’âge du patient, le sport et le niveau pratiqué ou encore le positionnement du transplant. [7]. Un autre facteur clef est celui d’un retour au sport prématuré [8]. Le risque d’une autre blessure après le retour au sport est 15 fois plus élevé que dans la population normale [6]. C’est pourquoi le sport doit être repris avec précaution après récupération fonctionnelle complète du genou.
Une méta-analyse a montré que le taux de retour au sport dans cette population après 41,5 mois de suivi est étonnamment faible malgré une récupération fonctionnelle du genou considérée comme très satisfaisante [5]. Il est souvent retrouvé des déficits de force musculaire, proprioceptifs et fonctionnels plusieurs mois après l’opération. Pour certains auteurs, ces déficits seraient prédictifs de nouveaux traumatismes [7].
Une meilleure compréhension des variables qui influent sur la capacité des patients à reprendre l’activité sportive apparait comme nécessaire. Les recommandations préconisées sont variées et souvent fondées sur l’expérience clinique, peu d’études indiquant des critères de reprise (ou des associations de critères) objectifs.
Barber-Westin et Noyes en 2011 [7] ont recueilli et classé les critères retenus pour autoriser la reprise sportive dans près de 159 études :
- Délai postopératoire variant de trois à 12 mois (six mois pour 84 études) ;
- Genou sec avec des amplitudes articulaires complètes ;
- Absence d’instabilité ou de laxité clinique ;
- Force musculaire isocinétique des quadriceps ou des ischio-jambiers de plus de 80 % à plus de 90 % ;
- Déficit de périmètre de cuisse inférieur à 0,5 ou 1 cm, en comparaison avec le membre inférieur controlatéral ;
- Déficit inférieur à 10 % par rapport au membre inférieur controlatéral au single leg hop test ou à l’association de quatre tests de sauts monopodaux (single hop, triple hop, crossover hop et timed hop) ;
- Score supérieur à 90 % sur l’échelle d’activité de vie quotidienne du knee outcome survey et sur une échelle d’évaluation globale du genou.
Suite à cette synthèse bibliographique, les auteurs ont proposé leurs propres critères :
- Genou sec ;
- Amplitudes complètes ;
- Pas de trouble de mobilité patellaire ;
- Pas ou peu de craquements patellaires ;
- Activités physiques indolores et sans gonflement, tiroir antérieur inférieur à 3 mm,
- Déficit isocinétique du quadriceps et des ischio-jambiers inférieur à 10 % à 180◦/s et 300◦/s (en l’absence de test isocinétique, on peut réaliser un test de détermination de la force maximale d’une répétition sur presse bien conduit) ;
- Déficit inférieur à 15 % aux sauts monopodaux (single hop, triple hop, crossover hop et timed hop) ;
- Absence de valgus prononcé lors de la réalisation d’un drop jump test (distance séparant les deux genoux supérieure à 60 % de la distance séparant les hanches dans le plan frontal par mesure vidéo).
- Squat unipodal pour évaluer le contrôle postural du membre inférieur ;
- Tests de force musculaire du tronc ;
- Evaluation du VO2 max par test navette de 20 m.
D’autres facteurs qui n’ont pas été évalués par des outils classiques peuvent être associés comme la peur d’une autre blessure, l’anxiété et le manque de confiance en soi [9].
Une revue systématique montre qu’une attitude positive est corrélée à un taux de retour aux sports plus rapide et à un niveau équivalent à l’avant blessure [10].
Une équipe australienne a développé une échelle, l’ACL - RSI (Anterior Cruciate Ligament-Return to Sport after Injury), évaluant l’impact psychologique du retour au sport dans une population opérée suite à une rupture du LCA [11]. Cette échelle a récemment été validée en suédois sur une population de 62 patients opérés [12].
Bohu et col. ont permis de valider ce score en français auprès du comité de lecture du KSSTA (Knee Sport Surgery Traumatology Arthroscopy) et de le publier récemment [13] :
Bohu et col. utilisent ce score en routine pour tous leurs patients opérés d’une ligamentoplastie en pré-opératoire, à 4, 6 et 12 mois post-opératoire.
A 6 mois, l’ACL-RSI est confronté à d’autres scores fonctionnels (IKDC, Lysholm, KOOS), aux évaluations isocinétiques (Qconc 60°/s, 240°/s et IJexc 30°/s, ratio de Croisier) ainsi qu’à des évaluations proprioceptives (single hop, triple hop, triple cross over, 6-meters hop).
Concernant l’ACL-RSI, deux valeurs sont à retenir :
- < 56% à 4 mois = Facteur péjoratif de reprise du sport à 12 mois.
- > 72% à 6 mois = Facteur positif de reprise du sport
Il est à noter que pour une population « normale » sans pathologie du genou, le score est de 80% et de 90% pour une population de sportifs de haut niveau.
Afin de se familiariser avec ce score, les auteurs mettent à disposition on-line un site pour utiliser les scores fonctionnels (IKDC, KOOS, AC-RSI, Lysholm) : http://www.webscore.fr/
L’ensemble des critères présentés, associé à la validation de cette échelle, doivent nous permettre une prise de décision, pour le retour au sport, la plus objective et précise possible chez les sportifs opérés du LCAE.
Par Erwann Le Corre
BIBLIOGRAPHIE
[1] Cohen SB, Sekiya JK. Allograft safety in anterior cruciate ligament reconstruction. Clin Sports Med 2007;26:597–605.
[2]Delince P, Ghafil D (2012) Anterior cruciate ligament tears:conservative or surgical treatment ? A critical review of the literature. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 20:48–61
[3]Fithian DC, Paxton EW, Stone ML et al (2005) Prospective trial of a treatment algorithm for the management of the anterior cruciate ligament-injured knee. Am J Sports Med 33:335–346
[4] Marx RG, Jones EC, Angel M, et al. Beliefs and attitudes of members of theAmerican Academy of Orthopaedic Surgeons regarding the treatment of anterior cruciate ligament injury. Arthroscopy 2003;19:762–70.
[5] Ardern CL, Taylor NF, Feller JA et al (2012) Return-to-sport outcomes at 2 to 7 years after anterior cruciate ligament reconstruction surgery. Am J Sports Med 40:41–48
[6] Paterno MV, Rauh MJ, Schmitt LC et al (2012) Incidence of contralateral and ipsilateral anterior cruciate ligament (ACL) injury after primary ACL reconstruction and return to sport. Clin J Sport Med 22:116–121
[7] Barber-Westin SD et Noyes FR. Factors used to determine return to unrestricted sports activities after anterior cruciate ligament reconstruction. Arthroscopy 2011;27(12):1697—1705
[8] Van Eck CF, Schkrohowsky JG, Working ZM et al (2012) Prospective analysis of failure rate and predictors of failure after anatomic anterior cruciate ligament reconstruction with allograft. Am J Sports Med 40:800–807
[9] Czuppon S, Racette BA, Klein SE et al (2014) Variables associated with return to sport following anterior cruciate ligament reconstruction: a systematic review. Br J Sports Med 48:356–364
[10] Ardern CL, Taylor NF, Feller JA et al (2013) A systematic review of the psychological factors associated with returning to sport following injury. Br J Sports Med 47:1120–1126
[11] Webster KE, Feller JA, Lambros C (2008) Development and preliminary validation of a scale to measure the psychological impact of returning to sport following anterior cruciate ligament reconstruction surgery. Phys Ther Sport 9:9–15
[12] Kvist J, Osterberg A, Gauffin H et al (2013) Translation and measurement properties of the Swedish version of ACL-Return to Sports after Injury questionnaire. Scand J Med Sci Sports 23:568–575
[13] Y. Bohu, S. Klouche, N. Lefevre, K. Webster, S. Herman (2013). Translation, cross-cultural adaptation and validation of the French version of the Anterior Cruciate Ligament-Return to Sport after Injury (ACL-RSI) scale. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc DOI 10.1007/s00167-014-2942-4
Merci au Dr Bohu pour l’envoi de la documentation relative à l’ACL-RSI.