Depuis déjà de nombreuses années, la prise en compte du système nerveux central dans la préparation physique et la réhabilitation est connue. Et ce, que ce soit au travers de l’imagerie mentale (visualisation de performance, contractions musculaires maximales imaginées…) ou du renforcement musculaire croisé par le biais du membre controlatéral sain de façon volontaire, involontaire (électrostimulateur) ou imaginée [1]. Ces mécanismes, bien que cliniquement et scientifiquement prouvés, ne sont encore aujourd’hui pas totalement élucidés. Ils dépendraient vraisemblablement des centres spinaux et supra-spinaux et l’IRM fonctionnelle a donc encore de belles heures devant elle [2].
Mais le rôle du système nerveux n’est pas toujours bénéfique. Parfois, un aiguillage « anarchique » des influx nerveux ou mal interprétés par le cortex cérébral peut entrainer la genèse de certaines pathologies ou symptômes complexes plus ou moins chroniques comme entre autres, la lombalgie, la fibromyalgie, le syndrome douloureux régional complexe (algoneurodystrophie), les syndromes myo-fasciaux ou les douleurs projetées.
Le rôle du système nerveux central dans la pathologie tendineuse n’est pas totalement nouveau. Depuis quelque temps, des études sortent et pointent l’action délétère de ce dernier dans la pathogenèse des tendinopathies [3]. Lors d’un précédent speed meeting, nous avions montré qu’un traitement chirurgical unilatéral par peignage d’une tendinose chronique bilatérale achilléenne améliorait également la symptomatologie sur le tendon du membre inférieur controlatéral [4].
Une récente revue systématique avec méta-analyse publiée dans le BJSM ce mois-ci [5] a continué dans cette voie en cherchant à comprendre, à travers différentes études, l’implication du système nerveux central dans l’existence de déficits sensitifs (sensibilité profonde et superficielle) et moteurs (force musculaire) au niveau du membre controlatéral chez des patients atteints de tendinopathie unilatérale (5791 études sélectionnées, dont 20 retenues : épicondylalgie latérale (17), rotulienne (1), achilléenne (1) et coiffe des rotateurs (1)).
Les résultats ont montré que tant les déficits sensitifs que moteurs étaient présents de façon bilatérale dans les tendinopathies unilatérale [5, 6]. Face à un tel constat, les auteurs émettent alors la forte hypothèse que ces déficits pourraient être attribués à des anomalies de traitement de la douleur centrale dû à un mauvais « aiguillage » des influx nociceptifs au niveau de la corne postérieure de la moelle. De même, il serait tentant d’y voir également une sorte de forme négative du « renforcement croisé » : la pathologie tendineuse d’un membre entrainant par voies nerveuses « défectueuses » le déconditionnement du membre controlatéral. Cette notion a déjà été soulevé par une étude ayant montré que lors d’une arthrose du genou symptomatique, la perte d’endurance musculaire du quadriceps du membre controlatéral « sain » était plus importante que du côté atteint [7]. Encore ici, une atteinte potentielle du système nerveux central.
Ces différentes constatations scientifiques sont intéressantes et amènent à différentes conclusions ; elles indiquent tout d’abord que la réhabilitation devrait envisager systématiquement, dans toute pathologie, le côté opposé à l’atteinte. Et ceci, pour une double raison. Premièrement, lutter contre le déconditionnement potentiel dû à l’atteinte controlatérale et secondairement, jouer sur le côté positif de l’effet croisé.
Enfin, ces résultats démontrent clairement que le côté opposé du corps ne peut pas être utilisé, de manière absolue et sans réserve, comme une norme de référence pour l'évaluation, que ce soit dans la pratique clinique ou la recherche scientifique.
Texte écrit par A. Douville de franssu
[1] Farthing JP, Borowsky R, Chilibeck PD, et al. Neuro-physiological adaptations associated with cross-education of strength. Brain Topogr 2007;20:77–88
[2] Huang L, Zhou S, Li X, et al. A functional MRI investigation of bilateral cortical activation during unilateral voluntary motor activity and electromyostimulation. J Sci Med Sport 2006; 9 (Supplement):15
[3] Andersson G, Forsgren S, Scott A, et al. Tenocyte hypercellularity and vascular proliferation in a rabbit model of tendinopathy: Contralateral effects suggest the involvement of central neuronal mechanisms. Br J Sports Med 2011;45:399–406.
[4] Alfredson H, Spang C, Forsgren S. Unilateral surgical treatment for patients with midportion Achilles tendinopathy may result in bilateral recovery. British Journal of Sports Medicine, 2012.
[5] Heales LJ, Lim ECW, Hodges PW, et al. Sensory and motor deficits exist on the non-injured side of patients with unilateral tendon pain and disability—implications for central nervous system involvement: a systematic review with meta-analysis. Br J Sports Med Published Online First: 21 October 2013 doi:10.1136/bjsports-2013-092535
[6] Chourasia AO, et al. Effect of lateral epicondylosis on grip force development. J Hand Ther 2012;25:27–37.
[7] Coombes B, Bisset L, Vicenzino B. Thermal hyperalgesia distinguishes those with severe pain and disability in unilateral lateral epicondylalgia. Clin J Pain 2012;28:595–601.
[8] Elboim-Gabyzon M, Rozen N, Laufer Y. Quadriceps femoris muscle fatigue in patients with knee osteoarthritis. Clin Interv Aging. 2013; 8:1071-7. doi: 10.2147/CIA.S42094. Epub 2013 Aug 13