La lésion myo-aponévrotique des ischio-jambiers (HSI) est l'une des blessures les plus courantes dans les sports qui impliquent des sprints, accélérations et décélérations. Son impact est considérable sur le plan financier et sportif.
Malgré des efforts scientifiques considérables dans la mise en place des stratégies prophylactiques et curatives, les taux d’HSI continuent à augmenter (2,3% par an depuis 2015).
Il existe de nombreux facteurs intervenant dans la genèse des HSI. Certains de ces facteurs peuvent répondre de manière positive à une intervention thérapeutique bien orientée (3,4).
Bien que l'étiologie des HSI soit multifactorielle, plusieurs études ont indiqué que l’entraînement en force musculaire pourrait réduire le risque de blessure. Il a également été suggéré que les footballeurs professionnels avec un fascicule plus court du BFlh (c.-à-d. <10,5 cm) avaient un risque 4,1 fois supérieur. La probabilité de blessure est réduite de 21% pour chaque augmentation de 1 cm de la longueur des fascicules (4).
En plus d'une courte longueur fasciculaire, de nombreux auteurs ont mis l’accent sur les inhibitions neuromusculaires des ischio-jambiers (IJ) après un premier épisode lésionnel(5,6).
Morin et al. en 2016 (7) ont évalué le rôle des extenseurs de hanche et des fléchisseurs de genou dans la production de force horizontale. La principale constatation de cette étude est qu’un haut niveau de production de force horizontale a été observé chez les sujets ayant le plus grand couple de force des extenseurs de hanche (principalement des ischio-jambiers) et la plus grande activité EMG en fin de phase oscillante des IJ.
Selon Fyfe et al. (9) en 2013 cette inhibition neuromusculaire affecte négativement la capacité du BFlh à supporter une contrainte excentrique en course externe.
Bien que l'on manque encore de preuves dans un large éventail de populations sportives d'élite, ces travaux pionniers tentent de mettre en évidence que la force musculaire (idée remise en cause) et l'architecture pouvaient jouer un rôle important dans la pathogénèse de la lésion myo-aponévrotique.
Des interventions à grande échelle utilisant le nordic hamstring ont rapporté une réduction de 50 à 70% des blessures aux ischio-jambiers dans le football lorsque les athlètes sont compliants au programme (10,11). De plus, les protocoles de rééducation des ischio-jambiers utilisant des exercices long length se sont avérés plus efficaces que les exercices conventionnels pour réduire le délai d’indisponibilité après une blessure (12,13).
Cependant, au cours des dernières années, de plus en plus de travaux ont mis en évidence l'hétérogénéité des schémas d'activation des ischio-jambiers dans différentes tâches (5,14) et l’hétérogénéité des adaptations musculaires aux différents exercices(15,16). Cependant, ces recherches ne semblent pas avoir influençées les directives cliniques pour la sélection des exercices. Une meilleure compréhension de l’impact des différents exercices pourrait permettre aux praticiens de prendre des décisions plus éclairées.
Dans ce contexte, Bourne et al. (14) en 2017 ont réalisé une étude croisée portant sur 24 sportifs amateurs dont l’objectif était d’évaluer par électromyographie de surface (sEMG) les différences d’activation des IJ lors de 10 exercices différents. Les résultats avaient fait ressortir deux éléments principaux :
- Les exercices à dominante hanche engendrent une activation plus importante de BFlh alors que les IJ médiaux (MH) sont les acteurs prioritaires des exercices à dominante genou.
- Le Nordic hamstring recrute de manière préférentielle le semi-tendineux mais est également l’exercice procurant le plus haut niveau d’activation de BFlh.
La même étude fut reproduite en 2019 par Hegyi et al. (17) en tenant compte des différences d’activation longitudinale lors de 9 exercices.
Cette étude apporte un peu de tempérance aux conclusions de Bourne et al. puisque lors de cet essai, seul le 45HE présentait un ratio à l’avantage de BFlh. Les autres exercices à dominante hanche n’ont pas donné de différence significative. Les auteurs précisent également qu’il est particulièrement difficile d’activer de manière préférentielle BFlh.
Les observations ci-dessus suggèrent que la sélectivité des muscles ne peut pas toujours être prédite sur la seule base de la dominante hanche ou genou et peut être affectée par différentes stratégies de contrôle neuronal dans les phases excentrique et concentrique.
De plus, des schémas d'activité intermusculaire dépendant du mode de contraction ont été observé dans certains exercices de cette étude.
Dans le BFlh, les stimuli excentriques peuvent être particulièrement importants pour provoquer l'allongement fasciculaire, dont l’importance a été rapportée à de nombreuse reprise.
Timmins et al. (16) en 2016 avaient précisé que le travail excentrique était la modalité de contraction permettant d’améliorer les paramètres architecturaux de BFlh (angle de pennation et longueur fasciculaire).
Dans l’étude de Hegyi et al. (17) le 45HE a montré la plus grande activité du BFlh par rapport au ST et son impact positif sur l’architecture musculaire a déjà été démontré par Bourne en 2017 (14).
Dans celle-ci Bourne et al. avaient rapporté que le NHE et le 45HE augmentaient de manière significative la longueur fasciculaire de BFlh. Les auteurs avaient également rapporté que le 45HE avait engendré une hypertrophie plus importante de BFlh mettant en avant l’utilité de cet exercice dans les stratégies d’optimisation de l’architecture de BFlh.
Cependant, Hegyi et al. rapportent que la région proximale de BFlh est la plus difficile à activer puisque cette région n'a montré aucune activité supérieure à celle des autres régions dans les exercices de cette étude même si le BB semble être l’exercice le plus équilibré longitudinalement.
Pour le ST, 4 exercices présentaient une dominance d’activation proximale selon les deux modalités de contraction : BB, PLC, SLC et SB.
En plus de cibler des muscles spécifiques, Askling et coll. (12,13) ont suggéré que, pour la prévention des blessures, les exercices effectués à des longueurs relativement longues des muscles ischio-jambiers peuvent être préférables à ceux impliquant des longueurs musculaires courtes
Cependant, les exercices unilatéraux du protocole d'Askling exigent une activité relativement faible des muscles ischio-jambiers, ce qui peut limiter les adaptations protectrices telles que l'allongement des faisceaux et l'amélioration de la force excentrique.
Au contraire, l’exercice Nordic Hamstring(NHE) entraîne une plus grande activité musculaire des ischio-jambiers que les autres exercices.Néanmoins, pendant le NHE l'amplitude de l'allongement des ischio-jambiers actifs est limitée par la position neutre de la hanche et peut être encore réduite dans le scénario courant où l'athlète est incapable de résister à la charge externe lorsqu'il atteint un certain point d'extension du genou
Comparé au protocole de Askling, la longueur de fonctionnement relativement courte des ischio-jambiers pendant le NHE est considérée comme une limitation de cet exercice. Bien que la force élevée et l'activité EMG pendant le NHE contribuent probablement à son effet préventif, on ne sait pas si le fait d'effectuer le NHE à de plus grandes longueurs des ischio-jambiers (c.-à-d. avec les hanches fléchies) modifie le couple de force en flexion du genou et l'activité EMG pendant l'effort. Cette information peut aider les praticiens à comprendre l'impact potentiel de ces variations d'exercice sur les adaptations musculaires.
Par conséquent, l'objectif principal de l’étude de Hegyi et al. (18) en 2019 était d'examiner les différences entre le NHE bilatéral réalisé avec un angle de flexion de hanche neutre (NHE0, longueur musculaire courte) et le NHE bilatéral réalisé avec les hanches fléchies à 90° (NHE90, longueur musculaire longue)en termes de couple en flexion du genou et d'activité EMG de BFlh et ST.
- Le NHE0active sélectivement le ST dans la phase initiale et le BFlh dans la phase finale.
- Le NHE90 a entraîné un couple de force plus élevé, une activité EMG plus faible que le NHE0 et un ratio ST/Bflh à l’avantage du ST.
- NHE90 peut être préférable lorsque l'activation sélective du ST et une force passive élevée sont ciblées sur des longueurs d'ischio-jambiers relativement longues.
- L'effort d'extension de la hanche et l'utilisation de la phase terminale du NHE peuvent être importants lorsque l'activation plus équilibrée du ST et du BFlh est un objectif d'entraînement.
Cependant, on ignore si l'ajout de poids durant les interventions de NHE avec un volume inférieur favorise une augmentation plus importante de ces paramètres.
Récemment, Pollard et al. (21) ont évalué les réponses architecturales du BFlh et de la force de flexion du genou après six semaines d'entraînement NHE avec et sans poids additionnel, ainsi qu'après un entraînement de RNHE (Razor hamstring execise) avec poids additionnel sur une période d’entrainement de 6 semaines.
- Semaines 1 et 2 : 2 sessions par semaines. 4 à 6 répétitions
- Semaines 3 à 6 : 1 session par semaine. 2 séries de 4 répétitions. Repos entre séries 2’
Cette étude visait également à déterminer comment ces variables architecturales ont été influencées par une période de désentrainement subséquente de quatre semaines. Les conclusions de cette étude sont les suivantes :
2) Les entrainements de RHCweighted favorisent spécifiquement l’augmentation de la force durant le RHC.
3) Après une semaine de désentrainement, on a observé une réduction de la longueur fasciculaire de BFlh qui était plus importante dans le groupe NHE weighted
Fait intéressant, Presland et al. (22) ont récemment rapporté qu’un entrainement NHE à faible volume (8 répétitions par semaine) engendrait les mêmes avantages sur l’architecture et la force musculaire des ischio-jambiers qu’un entrainement à volume élevé (100 répétitions par semaine).
A la vue des adaptations positive sur l’architecture et la force des fléchisseurs de genou, le NHE semble être un exercice intéressant à inclure dans les stratégies de prévention et de rééducation.
La récente revue de littérature avec méta-analyse de Soomro N et al. publiée dans le BJSM en mars 2018 (24) avait justement pour objectif d’examiner l’efficacité des programmes de prévention incluant le NHE dans la réduction de l’incidence des blessures des ischios jambiers.
Pour cela, après analyse des critères d’inclusions, 5 études ont été retenue (4455 participants). Les principales caractéristiques de ces études sont résumées ici :
- 4 essais randomisés contrôlés et une étude de cohorte.
- Athlètes masculins de différents niveaux
- Durée d’évaluation de 10 semaines à 8 mois.
- 3 études analysant le FIFA 11+, un programme de prévention incluant le NHE, un programme utilisant seulement le NHE.
L’étude conclut ainsi que les programmes de prévention incluant le NHE sont très efficaces dans la prévention des blessures des ischios jambiers. Cependant, étant donné que cette revue inclue des programmes de prévention variés, l’effet isolé du NHE dans la prévention des blessures reste à valider.
Cette conclusion est particulièrement intéressante car elle met en avant le fait que la prévention des lésions des ischio-jambiers ne peut se contentée uniquement du NHE.
Oakley et al. (2017) (25)insiste sur le fait que le Nordic Hamstring ne peut suffire et doit s’inscrire dans un programme holistique de travail musculaire et de prévention des ischio-jambiers.
La force ne fait pas tout !
La revue systématique de Van Dyk (26) avait pour objectif de mettre en corrélation les pics de force des fléchisseurs de genou évaluée par isocinétisme et au NHE avec le risque de blessure aux ischio-jambiers chez des footballeurs professionnels. Il est intéressant de constater que certains sportifs avec des capacités de force excentrique élevées n’ont pas pour autant été épargné.
Le pathomécanisme étant directement lié au sprint il est important que la rééducation prenne en considération les facteurs intervenant dans celui-ci. La force et le niveau d’activation des IJ sont des facteurs à considérer mais il est important dans la rééducation de se rapprocher rapidement des contraintes qui vont être directement liées à l’activité et de considérer l’ensemble des structures y participant.
En 2017, Higashihara et al. (28) ont évalué le niveau d’activation des ischio-jambiers médiaux et latéraux lors de la phase d’accélération et à vitesse maximale chez 13 sprinters collégiens sains.
Les résultats ont montré que les muscles ischio-jambiers respectifs présentaient des caractéristiques d'activation EMG très différentes entre le contact au sol et la phase oscillante dans le cycle de course. L’activation de BFlh était significativement plus élevée que celle du muscle ST dès le début de la phase d’appui lors de l’accélération, alors que l’activation de ces deux muscles ne différait pas significativement à vitesse maximale.
Le muscle ST montre une forte activation à la fin de la phase oscillante lors du sprint à vitesse maximale lorsque le genou est en extension et qu'un moment de flexion plus élevé est requis. Ces résultats indiquent que les modèles d'activation des muscles BFlh et ST varient avec les phases de performance du sprint. D'après les résultats de la présente étude, un exercice d'extension de hanche qui active sélectivement le BFlh pourrait être plus utile pour améliorer la production de force propulsive au cours de l'accélération ainsi que pour la prévention des lésions du BFlh lors de cette phase.
Dans une étude de cas portant sur 2 athlètes (rugby et football), Mendiguchia et al. (29) ont constaté la persistance d’une altération des capacités de production de force horizontale (≈ 20%) malgré la validation des critères de retour au sport. Cette perturbation peut être la conséquence d’une appréhension de l’athlète ou d’une altération fonctionnelle des ischio-jambiers dans leur rôle de poussée.
Par contre, la vitesse maximale des 2 sportifs n’était pas altérée. Le niveau de contrainte le plus important étant à vitesse élevée, comment une structure présentant un déficit à vitesse faible pourrait être capable de supporter la charge engendrée à haute vitesse ?
Dans ce contexte, la revue systématique de Neto et al. (30) publiée récemment dans le Journal of Sports Science and Medicine avait pour objectif d'analyser l'activation des muscles recrutés dans le Barbell Hip Thrust (BHT)et son potentiel de transfert à des activités sportives qui incluent le déplacement horizontal à des vitesses maximales.
Selon les données rapportées, l'exercice BHT peut induire une activité neuromusculaire élevée des muscles extenseurs de hanche, en particulier du grand fessier, par rapport aux exercices plus traditionnels.
De plus, des variations dans le positionnement des pieds lors de l'exécution peuvent présenter différents niveaux d'activation des muscles du genou et de la hanche et peuvent donc être intégrés à différentes étapes d’un processus de réhabilitation en fonction du niveau de contrainte que la structure pourra supportée.
En ce qui concerne le transfert aigu, quatre études ont démontré une amélioration significative des temps de sprint et deux études ont montré une amélioration de la performance au sprint suite à un entrainement chronique.
En novembre 2019, Hegyi et al. (31) ont rapporté que les schémas d’activation des ischio-jambiers ne différaient pas en fonction de la vitesse de course. Le schéma de recrutement intermusculaire et proximo-distal est identique à toutes les vitesses. Seul le niveau d’activation et la rigidité de l’unité musculo-tendineuse étaient influencé par la vitesse de course. De plus, malgré le large éventail d’exercices proposé aujourd’hui, aucun ne peut atteindre le même niveau de contrainte que le sprint. Cette constatation met l’accent sur l’importance de la reprise de course précoce pour faciliter la récupération neuromusculaire de manière spécifique en course après une lésion.
Ensemble, ces données nous permettent de proposer quelques recommandations pratiques :
- L’exercice analytique présentant les plus hauts niveaux d’activation (BFlh et ST) est le NHE.
- La variante en flexion de hanche (NHE90) aurait un impact plus important sur le squelette aponévrotique et l’unité musculo-tendineuse. Facilitant l’augmentation de la longueur fasciculaire et la rigidité de la MTU.
- Une charge adaptée permet d’optimiser les effets sur la force et l’architecture musculaire des IJ.
- Un entrainement à volume faible présente des bénéfices similaires à un entrainement à volume élevé.
- Les exercices en extension de hanche (45HE, BHT, BB, SB) permettent un bon niveau d’activation de l’ensemble des IJ et vont participer à l’optimisation des capacités de production de force horizontale.
- Vu leur niveau de contrainte faible, GM, RDL et CP, sont des exercices qui pourront être intégrés de manière précoce dans les stratégies de réhabilitation.
- L’intégration de manière précoce d’exercices de course est un choix judicieux afin de restaurer un pattern d’activation spécifique.
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