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Rôle des la force musculaire des abducteurs et des rotateurs latéraux de la hanche dans le développement du syndrome tibial d’effort médial



 
Introduction

Le syndrome tibial d’effort médial (STME) est un problème de sur-utilisation commun et complexe dans la population civile, militaire et sportive. [1-3]. Ces douleurs sont souvent le fait des contraintes répétées sur le membre inférieur, particulièrement lors d’une période d’entraînement intense  [4].
 
Le STME est caractérisé par une douleur à l’effort le long du bord postéro-médial de la partie moyenne au tiers distal du tibia, douleurs retrouvées dans les diagnostics de syndrome tibial médial, fracture de fatigue tibiale, syndrome des loges chronique d’effort, ou encore certaines lésions musculaires et tendineuses. [6,7]. Le traitement de ces blessures est souvent difficile, couteux, et consommateur de temps  [8].
 
La blessure peut avoir d’importantes conséquences sur le mode de vie actif  et peut dans certains cas être la raison de la fin de la pratique d’activité [4]. La compréhension des raisons d’une blessure doit être une préoccupation principale.
 
Dans une revue systématique sur la prévention des douleurs tibiales médiales, Thacker et col. [1] concluaient qu’il y avait un manque de preuves sur l’utilisation des moyens de prévention existants dans le cadre de douleurs tibiales médiales. Une des raisons permettant d’expliquer ce manque de preuves est que les facteurs de risques (FDR) des STME ne sont pas bien connus.
 
En règle générale, les facteurs de risque sont communément divisés en 2 catégories : facteurs intrinsèques et extrinsèques. [9]. Neely [10] concluait dans une revue de littérature sur les pathologies de sur-utilisation que de nombreux facteurs intrinsèques étaient retrouvés, particulièrement le genre puisque les femmes étaient les plus touchées. Il a été montré que les femmes sont plus exposées aux mouvements d’adduction et de valgus du genou, de rotation médiale et d’adduction de la hanche  lors de l’atterrissage ainsi que dans d’autres tâches [12].
La contribution des facteurs distaux et proximaux  des membres inférieurs a été étudiée dans plusieurs études [4,11]. La pronation excessive du pied a été largement décrite comme étant un lien dans le développement de certaines pathologies dont le STME. [4,11]. 
Le rôle spécifique des paramètres proximaux dans le développement du STME n’a pas été décrit [6].  A ce jour, aucune étude prospective sur le rôle des paramètres de force de la hanche dans le développement des ETMP n’a été publiée.
 
Objectif de l’étude

L’objectif de l’étude prospective présentée aujourd’hui était de déterminer si la force musculaire de la hanche était un facteur de risque de STME dans une population de jeunes femmes actives, étudiantes en éduction physique.
Les auteurs ont supposé que les athlètes femmes qui développent un STME doivent  avoir une faiblesse de la force musculaire des abducteurs et des rotateurs latéraux de hanche par rapport à des individus sains.

Résultats

Cette étude est la première à s’intéresser de façon prospective aux FDR proximaux  du STME. Les résultats ont permis d’identifier que la diminution de la force concentrique des abducteurs de la hanche était un paramètre prédictif du développement du STME (évaluation réalisée sur appareil isocinétique). Plus spécifiquement, le travail total et la puissance moyenne se sont révélés être les prédicteurs significatifs pour cette pathologie de surcharge du membre inférieur.
 
Revue de littérature
Cette étude étant la première à étudier ces facteurs, la comparaison avec d’autres études est assez difficile. Par ailleurs, dans d’autres publications, la force des muscles de la hanche a principalement été évaluée avec un dynamomètre [14,19]. Néanmoins, des résultats similaires ont été retrouvés dans la littérature récente. Niemuth et col. ont rapporté une faiblesse significative de la force isométrique des abducteurs et des fléchisseurs de la hanche du membre inférieur atteint par rapport au membre inférieur sain dans une population de coureurs loisirs. Plusieurs blessures dues au surmenage ont été incluses dans cette étude transversale rendant les relations de cause à effet difficile à établir [19].
Leetun et col. ont trouvé une diminution de la force musculaire des abducteurs et des rotateurs latéraux de la hanche dans une population d’athlètes. Néanmoins, malgré la conception prospective de cette étude, aucun mécanisme spécifique sur le rôle des paramètres de force de la hanche dans le développement des STME n’a été décrit [14].
 
Pour interpréter les résultats de cette étude, il semble intéressant de décrire un lien possible entre la faiblesse musculaire de la hanche et atteinte du segment jambier, le STME étant généralement induit par des contraintes répétées sur le segment jambier.
 
Les abducteurs de hanche jouent un rôle très important dans l’alignement du membre inférieur dans les mouvements du plan frontal et transversal. La faiblesse de ces muscles peut entraîner une altération de la cinématique du fémur ce qui peut avoir une influence importante dans la chaîne cinétique distale [20,21].
Dans le plan frontal, les abducteurs de hanche aide à la stabilisation du bassin et de la hanche, et par conséquent, empêche le mouvement d’adduction de la hanche lors de l’appui unipodal [14]. Il a été montré que les athlètes féminines avaient une plus grande adduction et rotation médiale de hanche que les athlètes masculins lors des mouvements en appui unipodal [22].

Par conséquent, les athlètes féminines, avec une faiblesse des abducteurs de hanche sont plus vulnérables  à des forces externes subies par le tronc et la hanche, ce qui réduit la capacité à stabiliser les segments [14,22].
 

En plus du rôle de stabilisation dans le plan frontal, les abducteurs de hanche semblent contribuer au contrôle des mouvements dans le plan transversal. Baldon et col. [23] ont observé qu’un plus grand couple de force excentrique des abducteurs de hanche  exposait non seulement à une moindre adduction mais également à une moindre rotation médiale de la hanche.  Il est connu que le muscle moteur principal de l’abduction de la hanche est le glutaeus medius (GM) et que ce muscle peut participer à la rotation latérale (particulièrement par ses fibres postérieures) [20]. Le lien entre force musculaire des abducteurs et mouvements dans le plan transversal peut potentiellement s’expliquer par le GM. Il est possible  qu’un déficit de force du GM puisse augmenter l’adduction et  secondairement la rotation médiale de la hanche [23]. Ce modèle peut ainsi expliquer  une position du genou en adduction et rotation médiale lors de la mise en charge unipodale [24-29].
 
Comme mentionné précédemment, la faiblesse musculaire des muscles de la hanche peut conduire à une modification des mouvements de la hanche ayant des conséquences sur la chaîne cinétique distale [20,21].
 
Ce lien important entre adduction de la hanche, rotation médiale de la hanche et pronation du pied a déjà été décrite  dans la littérature [31]. Une éversion excessive peut être associée à une augmentation des moments de force des inverseurs (pour tenter de contrôler le mouvement) [4]. Cela peut conduire à une traction excentrique excessive sur les fléchisseurs plantaires et les inverseurs de la cheville.
 
Dans une étude cadavérique, Beck et Osternig [32] ont démontré que le site des symptômes ne correspond pas nécessairement aux origines musculaires de sorte que les tractions sur le tibia ne sont pas le résultat direct de la traction de la musculature du membre inférieur  [32]. Pour appuyer ces résultats, Stickley et col. [33] ont décrit la face profonde et postérieure du fascia crural comme site potentiel des tractions plutôt que les muscles eux-mêmes.

En conclusion, la traction résultant de la masse musculaire du membre inférieur peut provoquer une traction sur face profonde et postérieure du fascia crural pouvant être l’explication de la traction imposée au tibia.
 

En général, la plupart des blessures dues au surmenage sont corrélées à la fatigue musculaire, la capacité des muscles à protéger les os de charges excessives étant compromise [34].  Bien que cette étude ne se soit pas intéressée à ce paramètre,  d’autres études portant sur des patients lombalgiques ont confirmé l’impact de la fatigue musculaire. Bien qu’il ne soit pas possible de transférer ces résultats au STME, il est important de garder cette notion en mémoire.
 
Une diminution significative de la force musculaire des rotateurs latéraux de la hanche n’a pas été retrouvée dans cette étude, probablement en raison de la position du sujet lors de l’évaluation isocinétique (cf. image). Le test sur les abducteurs a été réalisé en position fonctionnelle debout alors que celui pour les rotateurs latéraux a été réalisé en position assise. Les rotateurs latéraux ne peuvent produire une force optimale en raison de la position non fonctionnelle. 

Les résultats non significatifs des rotateurs latéraux de la hanche peuvent suggérer les conclusions suivantes :
  • La force des rotateurs latéraux n’est pas un paramètre prédictif de STME,
  • Un protocole de test fonctionnel est nécessaire pour évaluer les rotateurs latéraux de la hanche.
 
Conclusion

Le rôle des abducteurs de la hanche dans la commande du mouvement du membre inférieur semble être important. Les paramètres de force des rotateurs latéraux de la hanche ne sont quant à eux pas facteurs de risques de STME probablement en raison de la position non fonctionnelle durant l’évaluation isocinétique (cf image).
 
Une méthode de dépistage et des programmes préventifs devraient permettre de réduire l’incidence des STME.
 
Par Erwann Le Corre
 
Article original
Verrelst R, Willems TM, Clercq DD, et al. The role of hip abductor and external rotator muscle strength in the development of exertional medial tibial pain: a prospective study. Br J Sports Med 2014;48:1564–1569.



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