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Pourquoi le biceps fémoral est-il (presque) toujours le bouc émissaire des ischio-jambiers ?



Les lésions musculaires et particulièrement celle des ischio-jambiers sont légions dans le sport et le buzz déclenché sur la toile par la « guérison miracle » du joueur brésilien du PSG David Luiz, n’est pas sans nous le rappeler tous les jours de ce mois d’avril 2015. Particulièrement présentes dans les sports de vitesse comme le football [1], le rugby [2] ou l’athlétisme [3], elles peuvent néanmoins se retrouver également dans les activités sportives comme la danse ou la gymnastique rythmique et sportive où des amplitudes articulaires importantes à haute vélocité mais aussi à basse vélocité sont exigées. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans les travaux intéressants de C. Askling et de ses pairs [3-6] qui soulignent la localisation préférentielle des atteintes des ischio-jambiers selon la nature de l’activité physique pratiquée. Pour des lésions arrivant dans les sports de course de vitesse (sprinting type), la longue portion du biceps est plus souvent atteinte alors que chez les danseurs (stretching type), on retrouve plus fréquemment le semi-membraneux [7]. De même, le biceps fémoral et sa longue portion, pour être plus précis, est de loin la localisation lésionnelle la plus retrouvée au sein du complexe musculaire des ischio-jambiers (80% des cas).
 
            Les raisons d’une telle prédominance du biceps fémoral comparativement au semi-membraneux ou semi-tendineux n’est pas clairement établi aujourd’hui. Des pistes ont été suivies par certains chercheurs mais sans arriver à un constat clair, immuable. Ces dernières avançaient l’innervation particulière, car double, du biceps fémoral [8], des angles articulaires de flexion de genou et de hanche différents par rapport aux ischio-jambiers médiaux [9], des variations de longueur influencées par des considérations posturales [10] ou une quantité de fibres de type II plus importante [11]. De même, nous avions vu dans un précèdent speed meeting [12] que l’atteinte majoritaire du biceps fémoral dans les courses de vitesse pouvait également trouvée sa raison au niveau biomécanique. Les résultats de l’étude en question [13] supportaient l’idée que, premièrement le biceps fémoral (BF), puis secondairement le semi-tendineux (ST) sont enclins à subir une lésion dans les courses à haute vitesse où la charge excentrique est intense. Quand le semi-tendineux ne peut plus assumer son rôle prédominant dans la résistance et la production de force lors de charges excentriques intenses, le biceps fémoral compensera ce déficit fonctionnel. Possédant des deux muscles la plus petite longueur fasciculaire [14], le biceps fémoral est moins capable de résister et d’emmagasiner la grande quantité d’énergie produite lors de la phase finale excentrique du cycle de course. Par voie de conséquence, même le plus petit déficit fonctionnel chez le semi-tendineux que ce soit au niveau de la force ou de la coordination causera au sein de la synergie du couple ST-BF un déséquilibre important. Ce dernier amènera un ou les deux muscles à la lésion. L’étude suggérait donc que la lésion musculaire du BF et/ou du ST arrive probablement parce que le biceps fémoral n’est pas fait pour emmagasiner une force importante à la fin du cycle oscillatoire et que le ST, probablement plus sujet à une acidification prématurée et à une apparition de la fatigue précoce, ne joue plus son rôle final de freinateur.
 
            Ce constat architectural de petite longueur fasciculaire du biceps fémoral rejoint les conclusions d’une étude de 2005 [15] qui au travers d’une modélisation expérimentale d’un sprint réalisé sur tapis roulant, avait démontré que le changement de longueur du biceps fémoral était plus important que celui des autres ischios. Cela étant dû probablement à l’insertion plus latérale du biceps fémoral [16]. Une étude plus récente soulignait également que le biceps fémoral est plus enclin à s’étirer (étirement définit comme le ratio du changement de longueur par rapport à la position de repos) que les ischio-jambiers médiaux [17] mais ce changement reste indépendant de la vitesse de course [18]. Cela corrobore les conclusions de travaux qui montrent que bien les forces excentriques augmentent fortement lors d’une accélération et sont à leur apogée lors de la plus grande vitesse de course, l’étirement des ischio-jambiers est quant à lui jamais maximal. Cette difficulté qu’a le biceps fémoral à résister à de grandes forces excentriques constitue encore ici un argument pouvant expliquer sa faiblesse évidente.
 
Enfin, la fatigue musculaire peut jouer un rôle non-négligeable. La production de force dans les muscles fatigués est altérée par rapport aux muscles non fatigués [19]. Des observations dans les sports impliquant des répétitions de sprints ont aussi démontrées un facteur de risque significatif  avec une prédominance des blessures musculaires à la fin de chaque mi-temps de sports collectifs [20, 21]. Si le biceps fémoral est le muscle qui est atteint majoritairement dans les courses à haute vélocité comme nous l’avons souligné ci-dessus, le semi-tendineux est le deuxième muscle le plus touché. Les études réalisées grâce à l’imagerie confirme cette position et soulignent par voie de conséquence que le semi-membraneux est le muscle le moins atteint dans ce cas de patho-mécanisme (sprint) [4-6].
 
Pour toutes les raisons évoquées précédemment (double innervation, petite longueur fasciculaire, fatigue métabolique du semi-tendineux, asynchronisme musculaire…), nous avons bien compris que le biceps fémoral est en première ligne de la lésion myo-aponévrotique des ischio-jambiers de par sa difficulté à résister à un pic excentrique plus important lors de la phase oscillatoire du cycle de course. Causé en partie par sa problématique à devoir exercer plus de force excentrique afin de s’étirer convenablement dans le même délai temporel que les autres ischio-jambiers, on ne peut qu’encourager une nouvelle fois un travail assidu de prévention par un renforcement spécifique localisé tant du biceps fémoral que des autres muscles. Ce travail sera réalisé par une position segmentaire corporelle différente selon les muscles ischio-jambiers visés.
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Texte écrit par Arnaud Douville de franssu
 
[1] Arnason A, Sigurdsson SB, Gudmundsson A, Holme I, Engebretsen L, Bahr R. Risk Factors for Injuries in Football. Am J Sports Med. 2004;32(1S):5S-16S.
 
[2] Brooks JH, Fuller CW, Kemp SP, Reddin DB. Incidence, Risk and Prevention of Hamsting injury in professional rugby union. Am J Sports Med. 2006 34(8):1297-1306.
 
[3] Askling CM, Tengvar M, Saartok T, Thorstensson A. Acute first-time hamstring strains during high speed running: a longitudinal study using clinical and magnetic resonance imaging findings. Am J Sports Med. 2007;35(2):197-206.
 
[4] Verrall GM, Slavotinek JP, Barnes PG, Fon GT. Diagnostic and Prognostic Value of Clinical Findings in 83 Athletes with Posterior Thigh Injury. Comparison of Clinical Findings with Magnetic Resonance Imaging Documentation of Hamstring Muscle Strain. Am J Sports Med. 2003;31(6):969-973.
 
[5] Connell DA, Schneider-Kolsky ME, Hoving JL, et al. Longitudanal study comparing sonographic and MRI assessment of acute and healing hamstring injuries. AJR. 2004;183(4):975- 984.
 
[6] Slavotinek JP, Verrall GM, Fon GT. Hamstring Injury in Athletes: The Association between MR Measurements of the Extent of Muscle Injury and the Amount of Time Lost from Competition. AJR. 2002;179:1621-1628.
 
[7] Askling CM, Tengvar M, Saartok T, Thorstensson A. Acute first-time hamstring strains during slow-speed stretching: clinical, magnetic resonance imaging, and recovery characteristics. Am J Sports Med. 2007;35(2):197-206.
 
[8] Burkett LN. Investigation into hamstring strains: the case of the hybrid muscle. J Sports Med. 1975; 3(5):228-231.
 
[9] Chleboun GS, France AR, Crill MT, Braddock HK, Howell JN. In vivo measurement of fascicle length and pennation angle of the human biceps femoris muscle. Cells Tissues Organs. 2001;169(4):401-409.
 
[10] Gajdosik RL, Albert CR, Mitman JJ. Influence of hamstring length on the standing position and flexion range of motion of the pelvic angle, lumbar angle, and thoracic angle. J Orthop Sports Phys Ther. 1994;20(4):213-219.
 
[11] Garrett WE, Mumma M, Lucareche CL. Ultrastructural differences in human skeletal muscle fiber types. Orthop Clin North Am. 1983;14:431-425.
 
[12] Speed meeting : « Biceps fémoral et semi-tendineux dans la lésion musculaire des ischio-jambiers ».
 
[13] Schuermans J, Van Tigegelen D, Danneels L, Witvrouw E. Biceps femoris and semitendinosus—teammates or competitors? New insights into hamstring injury mechanisms in male football players: a muscle functional MRI study. Br J Sports Med 2014;48: 1599-1606 doi:10.1136/bjsports-2014-094017.
[14] Kellis E, Galanis N, Kapetanos G, et al. Architectural differences between the hamstring muscles. J Electromyogr Kinesiol 2012;22:520–6.
 
[15] Thelen DG, Chumanov ES, Hoerth DM, et al. Hamstring muscle kinematics during treadmill sprinting. Med Sci Sports Exer. 2005;37(1):108-114.
 
[16] Thelen DG, Chumanov ES, Best TM, Swanson SC, Heiderscheit BC. Simulation of biceps femoris musculotendon mechanics during the swing phase of sprinting. Med Sci Sports Exer. 2005;37(11):1931-1938.
 
[17] Schache AG, Dorn TW, Blanch PD, Brown NA, Pandy MG. Mechanics of the Human Hamstring Muscle during Sprinting. Med Sci Sports Exerc. 2012;44(4):647-658
 
[18] Thelen DG, Chumanov ES, Hoerth DM, et al. Hamstring muscle kinematics during treadmill sprinting. Med Sci Sports Exer.2005;37(1):108-114.
 
[19] Mair S, Seaber A, Glisson R, Garrett WE. The role of fatigue in susceptibility to acute muscle strain injury. Am J Sports Med. 1996;24(2):137-143.
 
[20] Small K, McNaughton L, Greig M, Lovell R. The effects of multidirectional soccer-specific fatigue on markers of hamstring injury risk. J Sci Med Sport. 2010;13(1):120-125.
 
[21] Garrett WE Jr. Muscle strain injuries: clinical and basic aspects. Medicine and Science in Sports and Exercise.1990;22:436-443.